Combien de fois, l’index menaçant et la voix grave, le roi, père de Miralette, dit-il à sa fille : « Mon enfant, tu vois cette arbalète, il ne faut la toucher ? » Combien de fois, l’air sournois et la voix douce, Miralette répondit-elle : « Oui, mon père ? »
Je ne saurais vous le dire plus que je n’ai pu compter les étoiles.
Mais ce que je puis par contre vous affirmer, c’est que, chaque fois qu’il renouvelait ses recommandations, que ce fût à propos d’une arquebuse à rouet, d’un couteau de chasse ou d’un épieu, le père de Miralette était inquiet, et que, chaque fois aussi, en acquiesçant, Miralette était pleine de sages résolutions et de curiosité troublante. Le roi, père de Miralette, eût pu mettre son arquebuse, son arbalète, ou son couteau, ou son épieu, hors de la portée de sa fille si, grand chasseur, il n’eût tant besoin de couteaux, d’arbalètes et d’arquebuses, que toujours il en traînait quelqu’un ou quelqu’une en quelque endroit du palais ; c’est pourquoi ses recommandations se renouvelaient constamment.
Obéissante et douce, Miralette ne touchait à rien, je dois le dire ; mais un jour que, se promenant dans le grand parc autour du palais, elle aperçut un pavillon couvert de chaume, bâti en bois rustique avec une grande ramure de renne clouée au-dessus de la porte, elle eut la curiosité de pénétrer dans ce logis. On ne lui avait point donné la permission d’y venir, mais on ne lui avait point interdit l’accès, n’ayant jamais eu l’occasion de lui parler de ce coin mystérieux. Miralette posa la main sur le loquet et la porte s’ouvrit tout de suite, toute grande, sans effort et sans grincement ; cela déjà l’eût dû mettre en éveil, car il apparaissait clairement que tout concordait pour l’attirer dans cet endroit.
Il faisait, dans la pièce unique, un demi-jour où les objets s’apercevaient sans être complètement distincts : point d’arquebuses, d’arbalètes, d’épées, ni de couteaux ; des paniers aux formes étranges et variées, des filets aux vieilles mailles, des cercles de fer grands et petits en forme de mâchoires édentées ou hérissées de crocs aigus, une foule de choses bizarres, mais point intéressantes, sauf de petits maillets de bois où des pierreries étaient montées. Miralette s’approcha, en prit un : ce n’était ni arquebuse, ni arbalète, ni épée, ni couteau ; l’objet pivota, il se composait de petits miroirs lançant des feux multicolores.
Miralette s’amusa à faire de la sorte osciller l’instrument et, pendant qu’elle jouait, elle n’apercevait pas le nain étrange qui dans un coin la guettait.
Il était vêtu de drap couleur feuilles-mortes, bancal et louche, les doigts crochus, l’air mauvais ; il poussait doucement, vers la fillette, une de ces étranges machines luisantes, si bien que Miralette la toucha de son pied.
Plouc ! la rude mâchoire se ferma d’un coup. C’était un piège à loup.
Miralette, poussa un cri de surprise effrayée ; elle voulut reculer, le pied était happé, retenu, mordu.
Le gnôme grimaça : « C’est ainsi qu’on prend l’alouette au miroir, » dit-il. Mais le peton de Miralette était tout petit dans la longue pantoufle d’hermine, et les dents n’avaient mordu que la fourrure blanche. Miralette tira, tira, tira, si bien que le peton se dégagea, laissant seulement la précieuse chaussure en gage dans le piège à loup.
Emue, troublée, elle se hâta vers la porte ; il fallut, en se brisant les ongles, beaucoup de peine pour la rouvrir ; enfin, à la nuit tombante, Miralette délivrée se mit à courir vers le palais.
La route, si courte en venant, était bien longue au retour. Miralette clopin-clopant avec son pied déchaussé boitait : elle sentit soudain une petite piqûre : caillou aigu, débris de verre, épine sèche ? Elle ne sut ?
Comme ce n’était qu’une éraflure, Miralette n’y prit point garde, ne voulant pas qu’on se doutât d’ailleurs de son aventure.
Mais, le lendemain, son pied enfla, la fit souffrir. Miralette dut s’étendre sur des coussins, ne pouvant se tenir debout
Le médecin du palais vint examiner le mal, prit ses lunettes d’or, les yeux tout ronds, se gratta le front sans rien comprendre. Il manda un confrère, un autre, un autre encore. Le palais s’emplit de robes noires, à grandes manches, de bonnets carrés, sans qu’on fût avancé pour cela davantage. La nourrice de Miralette se moqua de ces savants, et fit mander une vieille, vieille femme qui connaissait toutes les simples ; mais la pauvre eut beau écarquiller ses yeux plissés et, de ses doigts fripés, gratter son front ridé, elle ne put que hausser ses épaules cassées par l’âge, en signe d’incompréhension.
Ce fut alors le défilé de tous les sorciers, magiciens, charlatans, empiriques, bohémiens, gens de toutes sortes, étranges, bizarres, sauvages, tous impuissants. Le défilé des rebouteux chaque jour s’accroissait, car chaque jour le père de Miralette, le roi, promettait des sommes croissantes pour la guérison de son enfant.
Enfin, un matin, il offrit à qui la sauverait tout ce que l’on voudrait, même la couronne ; on vit alors parmi la procession arriver un beau prince vêtu d’azur, tenant en laisse un grand lévrier blanc.
« Salut, roi, fit-il de sa voix sonore ; courage, princesse, » ajouta-t-il d’une voix douce.
Le grand lévrier blanc que Miralette caressait lui léchait doucement les mains ; il alla doucement de sa langue rose lécher le pauvre pied et le mal s’envola.
« Sire, je suis le prince Fidélio, je vous demande la main de votre fille. »
Le matin des noces, Miralette heureuse d’épouser le prince, reconnaissante à son futur époux de l’avoir sauvée, voulut naturellement se faire belle en son honneur. Elle mit sa robe de damas blanc, quadrillée de perles. Une collerette de Venise donna à sa jeune frimousse l’air d’un bouton de rose dans le papier découpé d’un bouquet. Mais voici que, soudain, au moment de se chausser, Miralette s’aperçut qu’il lui manquait une pantoufle d’hermine. Elle ne pouvait décemment aller à la noce à cloche-pied, et les autres chaussures ne s’accordaient pas à sa robe ; seules les pantoufles de blanche hermine convenaient à cette heure.
« Bah ! se dit Miralette, je vais aller chercher où je l’ai abandonnée. »
Elle se rendit au pavillon rustique qu’elle aperçut aussitôt : la porte céda sans peine à son premier geste ; elle entra.
Dans le coin, elle aperçut aussitôt son bien. Elle avança avec précaution cette fois. Elle se pencha vers le sol, examinant attentivement sa pantoufle, réfléchissant. Deux grosses dents de fer la mordaient, elle tira doucement pour ne rien déchirer.
Les dents tenaient ; Miralette tira encore un peu plus fort, patiente, tenace ; il lui sembla que peu à peu on lui cédait. Elle ne voyait pas le vilain nain qui, derrière elle, grimaçait.
Enfin, sur un geste du gnôme, la mâchoire de fer lâcha sa proie.
"Ah ! la voilà !" fit Miralette. Mais, quand elle voulut se retourner pour regagner la porte, Miralette ne put bouger ; ses pieds restaient immobiles, comme cloués au sol.
Elle essaya de s’arracher à cette étreinte, elle ne voyait maintenant nul piège qui la pût retenir.
Elle se pencha, du doigt toucha ce sol : il était mou et visqueux, Miralette y était arrêtée, immobilisée, captive. Le gnome lança en ricanant : « Ah ! ah ! quand on ne peut pas prendre des alouettes au miroir, on capte les oiseaux à la glu. »
Cependant, au palais, le cortège était prêt pour la cérémonie, les dames d’honneur venaient quérir Miralette, et le prince en grand uniforme l’attendait au perron, avec son lévrier blanc. « Où est-elle, où est-elle ? » s’écriait-on de toutes parts.
Le roi levait les bras au ciel, la nourrice pleurait, chacun courait de ci, de là. « Où est-elle ? » Le prince souriait.
Il ouvrit la main ; son grand lévrier blanc huma l’air, flaira la piste et fila droit vers le chalet. On le suivit, le prince ouvrit la porte d’un geste. On eut toutes les peines du monde à arracher Miralette du sol englué ; il fallut quatre hommes très forts pour la délivrer de l’attache ; encore perdit-elle cette fois les deux pantoufles qu’elle avait mises, toutes souillées de cette glu.
Puis il fallu avouer à son père l’aventure, que dis-je ? Les deux aventures.
Quand il le sut, le roi prit sa voix grave et son index menaça : « Ma fille, outre les arquebuse, les arbalètes, les couteaux et les épées, il faut te méfier des pièges à loups, de la glu à passereaux. » Miralette de sa voix obéissante répondit : « Oui, mon père… », et elle ajouta :
« Si, par hasard, je rencontre de méchantes gens qui me tendent des pièges, j’ai maintenant un époux pour me défendre et me sauver.
- Oui, fit le prince, mais souvenez-vous tout de même que, dans la vie il faut être prudente, et que bien des embûches que l’on ne voit pas sont semées sous nos pas ! »
Jérôme DOUCET