Ne l'oublions pas, l'euro est un atout. Farce en 480 mots.

Publié le 17 juillet 2011 par Edgar @edgarpoe

Le Monde a publié un éditorial le 15 juillet qui est une belle illustration du tour orwellien que prend l'argumentaire de certains défenseurs de l'Union.

L'euro est en effet un pari économique et politique dont tout le monde savait dès le début qu'il comportait des risques. Ma conviction est que les avantages attendus de l'euro n'étaient pas économiques mais politiques : sceller l'achèvement de l'état européen. En tout cas, c'est un projet avec avantages et inconvénients.

L'éditorialiste de la pravda du soir se moque de tout rapport au réel comme de tout souci de la nuance : l'euro est un atout. Ce n'est même pas une opinion personnelle, c'est une injonction : n'oubliez pas amis pharmaciens, dentistes, notaires, curés et bien pensants : l'euro est un atout aujourd'hui, demain et pour l'éternité. Et surtout dormez tranquilles.

Il serait au contraire temps de se réveiller pendant que les citoyens se font voler leur pays en plein jour, transféré à un aréopage de fonctionnaires bienveillants (le demos des demos de Paddoa-Schiopa).

Lisons ce morceau d'anthologie ligne à ligne :

L'actualité de la zone euro est tellement sinistre - l'interminable tragédie grecque et les risques que celle-ci contamine plusieurs autres pays - qu'on prendrait volontiers la monnaie unique pour une malédiction. Une de ces bonnes idées qui aurait mal tourné.

Ici le message est simple : la Grèce est une pomme pourrie qui contamine cette oeuvre si pure qu'est l'euro.

Rien n'est plus faux : l'euro est un atout. Il a bien servi l'union monétaire depuis sa mise en circulation en 2002.

Comme l'euro c'est l'union monétaire et vice-versa, on est là typiquement dans la tautologie dont Barthes faisait la marque de la pensée de droite : l'euro a bien servi l'euro, réjouissons-nous.

Il est l'un des éléments qui font que l'Europe a un avenir dans le monde de demain.

Oui, en effet, si l'Europe doit avoir un avenir en tant qu'Etat unitaire, ce qui est le rêve des partisans de l'euro, il lui faut une monnaie. Mais c'est une raison entièrement politique, liée au projet souverainiste européen, sans aucune justification économique.

Cela, il faut le répéter au moment où la crise née de la dette souveraine européenne fait douter de l'euro. Celui-ci n'est pour rien dans l'état désastreux des finances publiques grecques, dans l'endettement bancaire irlandais, ni dans celui des comptes publics du Portugal.

Là c'est un monument. L'euro est bien la cause de la crise des finances publiques de pays qui ne peuvent plus rien vendre à l'extérieur puisqu'ils sont contraints à vendre dans une monnaie surévaluée.

Pour la Grèce, par exemple, sur le graphique ci-dessous, le déficit de la balance commerciale évolue spectaculairement mal après l'entrée dans l'euro (2001, avec quelques années de préparation à l'euro auparavant, assorties de l'adoption d'une parité fixe)  :

En conséquence, la dette publique a crû spectaculairement peu après :

Dette publique brute - Pourcentage du PIB - Eurostat

Ne l'oublions pas, de 1995 à 2005, la Grèce a une dette publique élevée mais stable.

Le montant du déficit fédéral américain ou celui de la dette publique britannique montrent que les déséquilibres budgétaires ne sont nullement l'apanage de la zone euro.

Les Etats-Unis sont en effet malades d'un rejet des impôts qui ferait passer le contribuable grec pour un mécène. Le Royaume-Uni est au milieu d'une zone qui fait de son mieux pour tuer la croissance et y arrive, avec probablement aussi un effet néfaste. Par ailleurs il n'aura pas échappé à l'éditorialiste que la city est la première place financière mondiale et qu'il n'est donc pas étonnant que les finances publiques du pays se ressentent de la crise financière... Rendons justice au Monde : il y a des tas de raisons autres que l'euro d'avoir une crise des dépenses publiques. Retenons juste que l'euro peut parfois en être une.

Les philosophes devront s'interroger un jour sur cette caractéristique des démocraties occidentales en ce début de XXIe siècle : elles sont toutes lourdement endettées. Et, pour l'essentiel, cet endettement public précède la crise financière de 2008-2009.

C'est à la fois grandiloquent, comme si la dette publique relevait d'une maladie de l'âme, et inexact : la Suède a divisé par deux son déficit public en quelques années, la Bulgarie par 5. Je suis sûr qu'en cherchant un peu, sans même être philosophe, on trouverait dans chaque cas, des raisons parfaitement rationnelles et non philosophiques à l'état des finances publiques, qu'il se soit amélioré ou ait empiré.

On estime que seuls 20 % à 30 % du déficit de ces pays sont imputables aux mesures de relance prises en 2008-2009 pour lutter contre la récession. Le reste relève d'une singulière propension à la dette, dont les causes ne sont sans doute pas qu'économiques.

Certainement. Les 70% inexpliqués ne peuvent être dûs à l'euro. Ce doit être le poumon vous dis-je, ou le phlogistique ou la glande pinéale. Cet article est du 15 juillet 2011 mais il relève d'une rhétorique moyenâgeuse ou d'une volonté de ne pas voir ce qui est pourtant hidden in plain sight.

Exprimé en monnaies nationales, il est à peu près certain que cet endettement aurait conduit nombre de pays aujourd'hui membres de la zone euro, notamment la France, à dévaluer plusieurs fois ces dernières années - et la perte de valeur d'une monnaie est une perte de pouvoir d'achat qui touche d'abord les plus pauvres.

Là, ça relève du triple salto arrière : la vérité en effet c'est que sans l'euro, et face à des balances commerciales en plongeon, la Grèce, l'Espagne et d'autres auraient pu dévaluer. Et la perte de valeur extérieure de la monnaie dévaluée touche tout le monde, mais permet aussi aux fabricants de biens exportés de conserver leur travail. Globalement, une économie gagne à conserver un taux de change qui soit en rapport avec la valeur réelle de ce qu'elle produit, mais ça c'est sans doute trop compliqué pour un édito du Monde, qui attendra probablement qu'un autre philosophe se penche sur cette question.

C'est l'un des grands mérites de l'euro : il a été un bouclier contre les chocs financiers de l'époque. Il a permis à ceux qui l'ont adopté de maintenir l'inflation sous contrôle et de connaître des taux d'intérêt historiquement bas.

Triple axel : les taux d'intérêt historiquement bas n'auraient-ils pas un rôle direct dans la formation de bulles ? Non, répond le philosophe, ça relève de la psychologie de l'âme. Par ailleurs, garder l'inflation under control, anglicisme de bas étage, aux relents militaristes, n'a aucun intérêt en soi surtout pas si ce résultat est obtenu au prix d'un étouffement de la croissance.

Sa relative bonne tenue face aux autres grandes devises - certains jugent même l'euro surévalué - a diminué le prix auquel les membres de la zone achètent leurs matières premières. Enfin, supprimant le risque de change, il a présidé à un accroissement sans précédent du commerce intra-européen.

D'aucuns murmureraient que peut-être l'euro serait surévalué ma pauvre dame. Pas grave, ça fait baisser

le cours du pétrole. C'est doublement faux et madame Michu, invitée par le Monde à rédiger un éditorial, se trompe donc deux fois. D'abord, elle oublie que pour acheter il faut vendre ou s'endetter. Les matières premières achetées moins cher le sont dans l'exacte mesure où nos produits sont renchéris à l'exportation.

Le résultat pour la France est une dégradation constante de sa balance commerciale, qui n'a certainement aucun rapport avec l'euro selon Le Monde :

Source : Banque de France via le blog de Jean-Pierre Chevallier

Et par ailleurs, au moins pour le pétrole, il est avéré que son prix est lié à celui de l'euro : quand l'euro monte, le pétrole aussi. Donc au final les matières premières ne coutent pas moins cher (sans compter le fait que la libéralisation des marchés fait également croître les coûts des anciens services publics).

Ne comptez pas sur Madame Michu pour vous informer sur ce point (sur le pétrole, je vous renvoie à un article du Financial Times qui lui ne renvoie pas ses questions aux philosophes, mais montrait, dès 2008, que le pétrole monte avec l'euro : http://www.ft.com/intl/cms/s/0/78b80a4e-3710-11dd-bc1c-0000779fd2ac.html#axzz1SN08Xoex).

Tout cela, qui est considérable, se traduit en précieux points de croissance que nous n'aurions pas eus sans la monnaie unique. Le monde de demain sera organisé autour de trois à quatre blocs monétaires. L'Europe sera l'un d'eux avec l'euro : c'est la garantie de peser un peu dans la compétition globale.

Là c'est un orgue de Staline, un feu d'artifice. Les pétitions de principe et arguments d'autorité s'enchaînent : le monde de demain sera-t-il organisé en trois ou quatre blocs monétaires ? A mon avis il est aussi probable que la Californie adopte sa monnaie que de voir un jour le monde divisé en trois ou quatre blocs monétaires. Pour ce qui est des points de croissance gagnés grâce à l'euro, imprimer de telles contre-vérités dans un journal relève de la tromperie sur la marchandise. Même Olivier Ferrand, européiste engagé, relevait dans l'Europe contre l'Europe,  que la zone euro a la plus faible croissance du monde. L'euro ne garantit donc rien sinon une asphyxie progressive de ses membres.

Il y a un prix : l'euro suppose une coordination des politiques budgétaires, encore balbutiante. Et qui peut heurter la sensibilité des plus attachés à la souveraineté nationale. Mais, si l'on en croit les sondages, une majorité des Européens sont disposés à aller plus avant dans l'harmonisation des politiques budgétaires. C'est du côté des politiques que le souffle manque.

In cauda venenum. Après un festival de mensonges et d'omissions, où à peu près aucune ligne n'est sensée ou véridique, voilà que Diafoirus a son remède : la méthode Monnet. Encore un petit pas vers la souveraineté européenne. Ca ne marche pas, c'est encore une fois parce que nous n'avons pas assez d'Europe. Le fédéralisme budgétaire s'impose. Comme si transférer à une administration non élue la gestion de l'intégralité des budgets des états membres avait un sens, sans même parler de légitimité. En tout cas, au Monde, les souverainistes européens sont à la manoeuvre. Il est d'ailleurs bien normal qu'ils préfèrent se référer aux sondages que de respecter les résultats de référendums.

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Bon, enfin. Ne l'oublions pas, l'euro est un atout ! Et le Monde mérite-t-il de rester un journal de référence ?