Ah, la pauvre Eva ! Ce qu’elle s’est pris. Et comme ça n’a pas traîné... Pourtant d’autres, avant elle, ils l’avaient tenté. On n’en avait pas fait toute une affaire. Ou alors, j’ai oublié… Il est vrai aussi, qu’ils n’étaient pas franco-quelque chose, les iconoclastes d’hier. Or donc, on les considérait avec commisération, voire, on ne leur accordait pas la moindre importance. Circulez (ou : défilez !) y’a rien à voir, pas plus à entendre ! Mais là, bon sang, Joly, elle a mangé chaud !
Pourtant, à bien y réfléchir, c’est pas idiot, sa proposition.
D’autant qu’à bien y regarder, aux origines, c’est pas si clair que ça, cette histoire de 14-Juillet… On fête quoi, au juste ? La Nation ?... Fort bien. Mais peut-elle se réduire aux militaires ?
Tenez, nos voisins, les démocrates principalement, pour leurs fêtes nationales, s’adonnent-ils à ce genre de démonstrations cadencées ?
Pas vraiment…
Certes, on en trouve, en farfouillant un peu. Mais, convenez, qu’ils ont moins la démocratie chevillée au drapeau... Ainsi la Corée du Nord, la Russie, la Chine ou l’Iran. Citons itou, le Liban, la Turquie, la Biélorussie, Cuba et tutti… La Grèce, quant à elle, ayant arrêté les frais, et pas pour des questions de protection de l’environnement. Juste de finances.
Mais bon, sans aller jusque sur ce terrain (celui de la comparaison avec des pays étranges, comparaison pas si bienvenue que cela au demeurant) et considérant plutôt notre Histoire, celle de France, qui n’est pas celle, c’est avéré, de Russie ou de Chine, demandons-nous simplement si un défilé militaire est, tout bien pesé, le seul, unique vecteur propre à exacerber positivement notre – tadam ! – identité nationale ; ou, pour être plus large, notamment d’esprit, à nous rapprocher les uns des autres, fiers que nous serions de fêter un pays, et pas n’importe lequel, messire, puisque la patrie des Droits de l’Homme ?
En quelque sorte, envisager le 14-Juillet comme le rendez-vous de tous et de chacun, un lieu de retrouvailles, avec moult victuailles, et des plus diverses, allant du cassoulet au couscous, de la choucroute à la paëlla, que sais-je encore !
Et peu importe que la carne fût Hallal ou Casher ; et je vous passe le picrate…
Ce serait le jour dit du « vivre ensemble » en majuscules et cotillons, et cette fois, pour de vrai, à la concrète, avec tables et chaises sorties, à même les rues ; ah la joyeuse ribambelle, viens donc goûter ce nectar Marcel, m’en dire des nouvelles Mohamed, et voulez-vous danser, mademoiselle ? Un vrai festival… Du lien social.
Oh bien sûr, on ne pourrait éviter les sempiternels Gaétan Roussel, Grégoire et autre Yannick Noah, qui viendraient, assommants au possible, nous mal réciter leurs ritournelles ; mais que voulez-vous ! il en faut pour tout le monde ! Et ce jour-là, plus que tous les autres…
Oui, monsieur, je ne vous dis point le contraire, ça ressemblerait à une sorte de carnaval, immense et débridé ! Mais sans déguisement. Tu viens comme tu es, comme dit le géant du diabète…
Une fête monstrueuse et bon enfant, à la fois.
Avec des flonflons, ce qu’il faut d’improvisation, de jeux.
Une nouba citoyenne.
Une fête du partage. Avant tout.
Je sais, ça fait moins rêver que marrer... C’est que le monde est triste, Madame ! Désespérant. Ou cruel. Et la France, idem. De cette chienlit planétaire, elle prend sa part, notre France, et comment !
Alors j’entrave, cinq sur cinq, vos histoires de fête citoyenne, c’est bien joli (ou : Joly) mais c’est de l’utopie... Et même, je vous dirais : ça tournerait mal. Oh si ! Y’en a qu’en profiterait pour venir y mettre le boxon, de la malveillance, de la provocation.
Au moins, avec les militaires, tout le monde se tient à carreau, comme une image, sage. Pour la photo… Y’a bien de la casse, oui, aux alentours, de la caisse qui brûle, mais ça ne passe pas à la télévision. On ne communique pas sur le sujet. Sur ordres du ministère. Faut préserver les apparences, vous comprenez... Et le prestige. Celui de l’armée.
Et pis le peuple, ce sagouin, si on lui confiait ce jour-là, du 14-Juillet, il en ferait quoi ? Sinon des saloperies, à la vinasse, aux dégueulis, et qui sait, peut-être aurait-il dans l’idée, ce gueux, un des ces quatre (ou Quatorze) de reconquérir une Bastille ?...
Non, vraiment non, le 14-Juillet est une affaire trop sérieuse pour ne pas la confier à qui que ce soit d’autres qu’aux militaires ! Tant pis si cela fait Russe ou Chinois ; tant pis aussi pour le Grenelle de l’Environnement.
Or donc, renvoyez-moi l’Eva dans sa Norvège et par le premier Drakkar ! Ils ont dit…
Dommage, c’eût été une belle fiesta, de la copieuse, de celle dont on se souvient. Dont on aime à narrer les moindres détails. Et plus d’une fois. Et toutes ces belles rencontres qu’on aurait faites, qu’on ne soupçonnait même pas, tellement qu’on est ficelés, le reste du temps, devant cette pourrie de télévision. Enfermés comme des cons. Dès qu’on est nés. Tant pis, tu la verras pas ta foule sentimentale, elle ne t’emportera point, ni de joie, ni de rien ; tu resteras avec ta Patrouille de France et tes blindés… Et un dictateur pour les mirer. En loge VIP.
Dommage, oui, parce qu’avec un peu de bonne volonté, celle des braves gens de légende, on aurait pu contenter les uns, les autres.
Avec un 14-Juillet citoyen, festif, ébouriffant, or donc rénové, réformé, et – puisque certains semblent y tenir, mordicus – plus tard, un autre jour, le sacro-saint défilé militaire... Par exemple, tiens, le 11-Novembre ! Voilà qui me semble plus approprié, pour lancer sur le pavé et dans les airs tout cet attirail guerrier de chez Lagardère, Dassault et consorts...
C’est que dites, s’il y a une date qui ressemble à une victoire militaire, peu ou prou, et sans chercher la petite bête, c’est bien celle-ci. Celle des tranchées, des poilus, ah c’que c’était chouette, dis, Verdun !
Ah que voilà un 11-Novembre qu’aurait de la gueule !... Cassée, certes, mais faut c’qui faut !
On ranimerait la flamme pour conclure, et fermez le ban ! Tout le monde en aurait pour son artiche. Ceusses qui désirent un 14-Juillet citoyen et les autres qui veulent du militaire [*].
Poire en deux, que ça s’appelle.
Modernité insupportable, diront d’aucuns.
Blague à part (d’où le : « Mais… » dans le titre, messire) y’aurait bien d’autres sujets. Autrement plus urgents que le 14-Juillet, avec ou sans défilé.
Mais que voulez-vous, le débat politique, aujourd’hui, c’est plus grand-chose. C’est du grand buzz…
Entre les rumeurs, les petites phrases, et les propositions iconoclastes qui ne sont destinées qu’à éviter d'aborder l’essentiel, celui qui turlupine, comme la dette, le chômage, ce pouvoir d’achat qui revient pas nom de Dieu, cette jeunesse qui se morfond, ses vieux qui s’emmerdent, enfin tous ces sujets qui nous préoccupent au quotidien, qu’on soit Joly ou Fillon, de droite, du centre, de la gauche ou de Tartempion, on se gêne pas. Pour faire diversion… Sur le tapis, y mettre du futile, de l’accessoire, du polémique à balle deux, là on est champion... Et de défiler, ensuite, dans les médias, on est pas les derniers, non plus. Pour alimenter le merdier qui sert à rien. Armés, comme de bien entendu, jusqu’aux dents d’outrances et d’autres simagrées…
C’est vous dire si le 14-Juillet de la politique, la belle, la noble, vous pouvez l’attendre encore longtemps. C’est pas la présidentielle qui vous la rendra. Au contraire !
Or donc, supprimer le désuet, oui, mille fois oui, mais faudrait-il, avant, et plus vite que ça, s’atteler au principal. Qu’est tout sauf militaire. Qui concerne la paix sociale. Un projet pour ce pays qu’agonise…
Vous pensez vous y mettre quand, les gars qu’êtes candidats ?
[*] Ceci dit, c’est négociable. J’entends bien que, question météorologie, le 11-Novembre n’est pas très recommandable. Ça sent la pluie, le blizzard, parfois même, la neige.
Or donc, pas de chichis, si vous y tenez, on vous le fout, votre militaire défilé, le 8-Mai. C’est pas vraiment une victoire, enfin, pas une française (de souche comme les autres barbares y disent), mais à la guerre, comme à la guerre ; n’est-ce pas ?