Dans le Marais déserté pour l'été, j'erre un peu, à la recherche de quelques galeries ouvertes; pas grand chose à découvrir. Mais si, chez Marian Goodman, dans l'exposition consacrée au thème du départ (jusqu'au 30 juillet), à côté de belles photographies d'Yto Barrada et de Jeff Wall, une pièce de hasard de Christoph Keller remettant son sort au destin (si le courant m'emmène vers Tokyo, je serai artiste, s'il m"emmène vers le nord, je serai scientifique) et surtout une place de choix donnée à Bouchra Khalili et à ses vidéos cartographiques retraçant le trajet d'immigrés clandestins (un Marocain et ses pérégrinations à la recherche d'un travail en France, Italie, Espagne, et un Bengali passant ses années de jeunesse en Afrique à tenter d'atteindre l'Italie, terre promise) et celui d'un Palestinien de Ramallah tentant de rejoindre son amoureuse à Jérusalem malgré les checkpoints, le tout sans visage, seulement une voix et une main qui dessine un trajet sur une carte (Mapping Journey).
Je reçois beaucoup de cartons d'invitation, que je classe par priorités de visite ou que je jette. Un carton pour l'exposition d'une artiste inconnue de moi dans un centre où je n'étais encore jamais allé, va normalement dans la case 'peut-être, si j'ai le temps'; mais l'image qui ornait celui-ci, reçu il y a déjà quelque temps, avait une telle force que, pour cette seule raison, il s'est retrouvé en haut de ma pile (me laisser entraîner ainsi par la seule image du carton d'invitation m'est assez rare - trop rare sans doute - mais en général bénéfique). J'ai enfin pu y aller aujourd'hui, et je ne regrette pas une seconde mon intuition.
Sabrina Biancuzzi est une jeune photographe et graveuse belge, férue de techniques anciennes et dont les photographies sont retravaillées avec des pigments sombres au travers desquels l'image émerge comme une seconde révélation, après un long travail alchimique. La série qu'elle expose au Centre Iris (jusqu'au 10 septembre) s'intitule le crissement du temps; je suis peut-être moins sensible à la dimension sonore de ses images, crissantes, bruissantes, frémissantes, mais il y est bien question de temps, du temps qui passe, du temps qu'on tente de figer, de geler pour l'éternité, il y est question de mémoire, de vestiges, de traces. On y voit peu d'humains, ou alors ce sont des fantômes, dans une maison enchantée comme celle du Grand Meaulnes, hors du monde, hors du temps. Du coup, j'explore ses travaux plus anciens et je regrette d'avoir manqué sa précédente exposition. Il s'en dégage un charme assez étrange, rêveur, un peu inquiétant, qui doit bien correspondre à mon humeur de ce début d'été.