Elles ne sont que trois. Elles agissent dans l’ombre. Elles ont un pouvoir tentaculaire. Elles répondent aux noms de Moody’ s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings. On les appelle les agences de notation. Mais, à l’opposé du professeur Tournesol, elles ne distribuent pas les notes avec générosité, elles ne donnent que des punitions. La semaine dernière, les autorités européennes et quelques chancelleries se sont inquiétées à haute voix sur les agissements de ces venimeux serpents. Mieux vaut tard que jamais. Ces agences sont des structures privées opaques, créées par les systèmes bancaires et les fonds financiers pour noter les budgets des Etats et la situation des… banques, celles-là mêmes qui prêtent de l’agent aux Etats. Vous avez dit conflit d’intérêts !?
Ces structures que personne ne rencontre jamais font la pluie et le beau temps, en lien avec les intérêts supérieurs des seuls marchés financiers qui les rémunèrent. Lorsqu’elles abaissent comme on dit la note d’un Etat, celui-ci doit payer plus cher l’argent qu’il emprunte sur ces mêmes marchés financiers. C’est d’ailleurs pour conserver une bonne note que M. Sarkozy avait défendu et fait voter la contre-réforme des retraites, qu’il aggrave encore en augmentant comme il l’a fait la semaine dernière le nombre de trimestres de cotisation. Et ce n’est pas fini puisque le 10 juin dernier l’une de ces sorcières, Standard & Poor’s, a rendu publique une note dans laquelle on peut lire ceci : « si les autorités françaises ne poursuivent pas la réforme des retraites, ne continuent pas à modifier la sécurité sociale… il est incertain que nous maintenions la note AAA de la France ».
Autrement dit, après les retraites, demain on passe à la sécurité sociale. C’est l’abaissement brutal de la note du Portugal qui a mis le feu aux poudres. Voila un pays dans lequel le parti de M. Barroso, président de la Commission européenne, vient de gagner les élections, à qui, comme pour la Grèce et l’Irlande, le triumvirat totalitaire – composé de cette même Commission de Bruxelles ; du Fonds monétaire international ; de la Banque centrale européenne – est en train d’imposer une insupportable austérité et qui doit emprunter de l’argent aux banques privées à 12 % parce que sa note a été dégradée. Ce même argent que ces mêmes banques auront emprunté à 1% auprès de la BCE.
Ainsi les rapaces des institutions financières se gavent de l’existence et de l’aggravation de la dette, grâce aux charges financières qui constituent pour elles une rente facile que payent les travailleurs, les retraités, les jeunes, en réduction de salaires, de niveaux de retraite, en destruction de services publics et d’emplois. Les dirigeants européens peuvent bien protester. Ce sont eux, en osmose totale avec le grand capital international, qui ont donné carte blanche aux marchés financiers et à leurs fameuses agences. Dans une incroyable logique, celles-ci sont l’exact contraire des publicités pour les tombolas. A tous les coups l’on perd. Un Etat qui n’applique pas l’austérité et la destruction de ses systèmes sociaux est suspect, donc sa note est dégradée. Quelques mois plus tard, le même Etat, qui applique une purge sociale sans nom, se voit aussi dégrader sa note parce que l’agence considère que la récession dans laquelle il est plongé empêche toute croissance donc tout redressement. A cela va s’ajouter la dîme que prélèvent les secteurs financiers sur les Etats via les taux d’intérêt. Où va- t-on ainsi ? Vers une catastrophe sociale et économique inconnue jusque-là.
Voilà pourquoi il faut en finir avec ce système. Mettre fin à ces agences de notation privées et créer des instruments publics de mesure à partir d’autres critères, notamment ceux du développement humain ; du travail et de sa qualité ; des investissements sociaux et publics d’avenir ; de la transition écologique et économique des systèmes productifs et de consommation ; des progrès de l’éducation, de la santé, de la protection sociale, de la retraite. L’exigence doit grandir d’un audit public sur les dettes, avec la participation des syndicats, des élus, des citoyens, pour décider rapidement d’en annuler les parties illégitimes parce qu’elles résultent des taux d’intérêts exorbitants. L’expérience montre de plus en plus clairement que les cures d’austérité appliquées notamment à la Grèce, à l’Irlande, au Portugal et dans toute l’Europe, ne font qu’aggraver la crise. Une question essentielle doit désormais être posée, quelle que soit l’appartenance politique de ceux qui gouvernent : l’action publique doit-elle servir les financiers ou l’intérêt général ? Aujourd’hui, ceux qui sont au pouvoir dans tous les pays européens préfèrent le premier terme du choix, et ce indépendamment des étiquettes politiques qu’ils portent. Rien à voir donc avec une gestion démocratique des sociétés. Rien à voir avec les intérêts populaires. Dans ces conditions, à quoi servirait-il de changer de pouvoir si c’est pour le soumettre à la dictature de la haute finance ? N’est-ce pas là l’un des débats fondamentaux en vue des élections présidentielles et législatives ? Toute la question est de savoir si nos concitoyens réussiront à l’imposer en lieu et place du sordide feuilleton newyorkais qui occupe depuis des mois lucarnes et unes de magazines.
Patrick Le Hyaric. L'Humanité.