La controverse qui procède des propos d'Eva Joly, candidate à l'élection présidentielle, sur la pertinence du défilé militaire du 14 juillet, présente, sur le fond, assez peu d'intérêt à l'échelle des enjeux de la planète. Sur la forme, la structure de cette controverse est intéressante car trés classique. Essai pour prendre du recul.
A la faculté de droit, j'avais été trés impressionné par le cours du Professeur Jacques Lagroye et son livre "Sociologie politique" aux éditions Dalloz demeure pour moi une référence pour apprendre à penser. Pour apprendre aussi à décrypter et analyser les vagues de controverse médiatique qui déferlent régulièrement sur les ondes et dans les journaux.
Exemple : Le Professeur Lagroye enseignait à ces étudiants, outre la théorie du "cens caché", les ressorts des débats entre candidats à la veille d'un second tour d'élection présidentielle. Ces débats changent-ils les clés du scrutin et l'avis des téléspectateurs ? Généralement non. Ils contribuent plutôt à ce que les téléspectateurs convaincus de leur vote avant le débat le soient encore plus aprés. Une confirmation d'opinion pas un changement.
La controverse ouverte à la suite du "rêve" d'Eva Joly de voir cesser le défilé militaire du 14 juillet doit aussi être analysée dans sa forme.
Car cette controverse respecte tous les codes et tous les canons de tout débat politique susceptible de se propager comme une traînée de poudre d'un côté à l'autre de l'hexagone. La structure de cette polémique est absolument classique : petite phrase clé/réactions qui transforment la petite phrase en grande polémique/créaction d'un clivage simpliste et donc médiatique/alimentation de la polémique par les éditorialistes connus ou anonymes/floppée de sondages sur l'avis des français ("Pour ou contre le défilé ?)/fin de la polémique dés lors qu'un autre évènement interviendra dans l'actualité.
Sur la forme, la polémique en cours sur le défilé du 14 juillet ressemble donc à la plupart des autres polémiques passées. La polémique qui déchaine les passions est un genre trés attendu par les médias, surtout dans une période creuse comme un mois de juillet. "Creuse" de manière trés relative car si l'on franchit les frontières, l'actualité est au contraire trés dense : l'Europe se bat contre la multiplication des crises financières de la Grève à l'Espagne en passant par l'Italie, le Printemps arabe se poursuit dans le sang en Syrie et en Lybie et la centrale de Fukushima n'en finit pas d'agoniser... Nous sommes au point de bascule entre l'ancien monde et le nouveau monde à tous points de vue mais...
Disons que l'actualité hexagonale est trop peu chargée ? La petite phrase d'Eva Joly a donc été prononcée au bon moment. Elle a de plus profité d'un effet multiplicateur : le "storytelling". Le récit politique et médiatique a besoin d'histoires comme l'a si bien écrit Christian Salmon. Or, au milieu des réactions consternantes sur sa nationalité et sa culture, Eva Joly a une histoire à raconter et elle le fait, de plus, avec une image. Deuxième effet multiplicateur assuré car depuis les évangiles rien ne vaut une image ou une parabole pour faire passer un message : elle "ne descend pas d'un Drakkar" ! Succès garanti et il suffit d'écouter ce matin la radio.
Prochaine étape de cette polémique : les sondages. Nul doute que nous aurons droit dans les jours à venir à une vague de sondages tout aussi consternants pour savoir si les français tiennent au défilé (oui) mais s'ils seraient d'accord pour développer le caractère citoyen de la fête nationale (oui aussi). L'analyse sondagière du débat permettra ainsi de simplifier à outrance le débat en tentant de créer un clivage noir ou blanc.
Ainsi : Eva Joly est elle une antimilitariste béate ? Non car elle a déjà soutenue une intervention militaire en Lybie. La droite est-elle seule à réagir vivement ? Non car ce sont des responsables de gauche qui ont été les premiers à prendre position contre les propos d'Eva Joly et certains se sont montrés encore plus à cheval sur les "valeurs" que d'autres à droite. Bref, les choses sont complexes et la polémique s'achèvera dans la confusion. Complexes car si la déclaration du Premier ministre - navrante sur la culture pas assez ancienne d'Eva Joly - n'était pas intervenue, la polémique se serait surtout développée à l'intérieur de la gauche et aurait permis aux candidats à la primaire socialiste - premiers à s'exprimer - d'affaiblir la candidate et donc le partenariat avec le parti écolgiste. Le Premier ministre a donc victimisé Eva Joly, la plaçant ainsi au centre des attentions et contraignant enfin le parti socialiste a changer de fusil d'épaule pour le braquer alors vers la droite. La calculette politique ne s'arrête jamais. La déclaration d'Eva Joly sur le défilé du 14 juillet n'a donc pas offert la possibilité au "principal parti de gauche"de remettre à sa place - derrière - la candidate du parti vert.
N'oublions pas non que si les acteurs de cette controverse sont en désaccords sur le fond : ils y ont un intérêt commun sur la forme : faire parler de soi. Participer à la controverse permet moins d'exprimer une idée que de faire parler de soi.
Ironie de l'histoire, le Chef de l'Etat avait récemment - et sans succès - tenté de lancer un débat sur l'identité nationale. Voilà qui est fait même si ce deuxième débat sur l'identité nationale ne devrait pas durer fort longtemps. Nul doute qu'un évènement médiatique de haute importance - si possible un marronnier comme les bouchons sur les routes des vacances - viendra chasser la question du défilé.
Tout ceci ne vous fait pas penser à une chanson de Boris Vian ?