Syndicats et immigrés aux États-Unis

Publié le 16 juillet 2011 par Kak94


Mathieu Bonzom
Université François Rabelais, Groupe de recherches anglo-américaines de Tours
Le problème de l’immigration apparaît aux États-Unis parallèlement à l’industrialisation et à l’émergence de la classe ouvrière. À cette époque, les syndicats adoptent une orientation défavorable aux immigrés. Cette position, qui se superpose aux rapports de race et aux stratégies de mobilisation, va marquer durablement le mouvement syndical. Il faudra attendre l’émergence de mobilisations pilotées par des immigrés pour que les syndicats américains revoient leur orientation sur la question migratoire.
L’histoire des États-Unis est loin de correspondre au mythe d’un « pays d’immigration » qui s’assume sans restriction. Dans le premier pays indépendant issu de la colonisation européenne des Amériques, la population blanche dominante va jusqu’à s’inventer, au cours du xixe siècle, une identité nationale de population native. L’apparition de ce « nativisme » et la construction d’un « problème de l’immigration » au sens contemporain accompagnent l’industrialisation. Le mouvement ouvrier émerge au même moment, et des organisations comme les Knights of Labor  [ 1 ] puis l’ American Federation of Labor adoptent une orientation défavorable aux immigrés, voire hostile. Loin d’être un épisode isolé, ce choix en accompagne d’autres, concernant les rapports sociaux et les stratégies de mobilisation, qui marquent durablement le mouvement syndical. « Races » et classes
Il y a près d’un siècle, syndicalistes anti-immigrés et employeurs se joignent en une étrange coalition qui obtient la stricte limitation de l’immigration. Les nombreux immigrés asiatiques et européens, considérés comme des « concurrents », avaient pourtant donné des forces précieuses au mouvement ouvrier, partout où il avait pu surmonter la xénophobie. Ces relations difficiles s’inscrivent dans l’histoire longue et complexe des relations ethnoraciales aux États-Unis. Avant même la création d’une opposition « natifs/immigrés », la conquête de l’Amérique du Nord s’est en effet construite sur des distinctions plus marquantes, appelées « rapports de race », qui isolent les populations indigènes et les esclaves noirs. Les Indiens d’Amérique, décimés par la colonisation, furent en effet pratiquement exclus de la société coloniale. Quant aux Noirs américains, la surexploitation et la ségrégation qui suivent l’esclavage vont influencer durablement les rapports de classe dans tout le pays.
La séparation radicale entre esclaves et travailleurs blancs fait obstacle à la solidarité parfois observée dans les premiers temps. Les travailleurs blancs revendiquent une appartenance au « travail libre » par opposition à l’esclavage ou toute autre forme d’asservissement. On retrouve cette idée dans les débats fondateurs du mouvement ouvrier, alors que l’industrialisation attire de plus en plus de migrants européens et asiatiques, souvent perçus comme asservis eux aussi. Immigration industrielle
Une partie des syndicats, notamment ceux constitués d’ouvriers qualifiés, a contribué à la construction d’un « problème de l’immigration ». Au xixe siècle, les immigrés, pauvres et embauchés comme non qualifiés, sont souvent perçus comme des concurrents responsables de la déqualification et de la baisse des salaires orchestrées par les industriels. La xénophobie « nativiste », d’abord développée contre les Irlandais dans les années 1850, frappe ensuite les Chinois présents dans l’Ouest. Les salariés blancs, « libres », y voient encore souvent des travailleurs asservis menaçant leur situation, malgré l’interdiction des contrats spéciaux de « coolies ». Les violences antiasiatiques sont nombreuses et une campagne unissant des employeurs et des syndicats de salariés blancs, obtient l’arrêt de l’immigration chinoise en 1882. Dans les décennies qui suivent, les Européens de l’Est et du Sud sont les plus nombreux. Souvent catholiques ou juifs, ils se heurtent à un renouveau du racisme favorisant les « peuples anglo-saxons ».
Les syndicats permettent toutefois la participation sociale et politique de nombreux immigrés. La croissance syndicale est favorisée par une immigration politisée, des exilés français de 1871 aux immigrés allemands plus nombreux et marqués par le mouvement ouvrier de leur pays d’origine. L’histoire de certaines organisations y est même étroitement liée, comme pour les syndicats du textile animés par des socialistes juifs du mouvement du Bund . Des courants radicaux comme les Industrial Workers of the World tentent par exemple de remettre en cause la subordination des femmes, les rapports internes hiérarchiques, ainsi que les barrières ethno-raciales.
Mais l’attitude majoritaire dans les syndicats tend à renforcer ces barrières. Les conditions d’admission et les frais d’entrée pouvaient être plus exigeants et dissuasifs pour les immigrés, notamment dans les métiers les plus établis, où les syndicats avaient le plus de contrôle sur la production et l’embauche. De façon générale, la croissance syndicale de la période ne s’est pas traduite par une plus grande inclusion des nouveaux immigrés. (...)
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Cet article est extrait du n° 89 de la revue Plein droit   (juin 2011),
  « Étrangers, syndicats  : "Tous ensemble"  ? »
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