Suite du précédent billet : « bibbé laddé »
Pour ces chères tâches ménagères si fidèles aux femmes, Sira fut étonnée de constater le sens de l’organisation presque parfaite de Diarra qui n’était pas censée les maîtriser. Il faut dire que son père l’en en avait éloigné par certains gestes, sans peut être en avoir conscience. C’est comme s’il voulait l’orienter vers des métiers dont il ne voulait pas que les femmes soient privées, qui sont le privilège des garçons...Ce père, contrôleur de train, qui n’hésitait pas à l’emmener avec lui les samedis ou dimanches dans ses trajets Dakar/Bamako, ne songeait-il pas à l’extraire de l’apprentissage des tâches domestiques généralement effectués les jours de congés scolaires ? Cela ne voulait-il pas dire que ne pas assimiler les tâches ménagères ne constituent pas un handicap pour une femme ?
Quoi qu’il en soit, pour un homme de sa génération, c’était une chose exceptionnelle dans l’environnement hostile de l’époque.
Ces interrogations de Sira furent interrompues par cette réflexion d’une dame. Celle-ci, face à la profusion des mets, rassurait sa copine qui avait des scrupules d’être là sans avoir été invitée : « je t’avais dit de ne pas t’en faire, chez ces hôtes il y a toujours à manger».
Ce sont bien des scrupules qui étouffaient Sira, et la cantonnaient dans la cuisine au lieu, comme à son habitude, d’aller respirer l’air du jardin. Il n’était pas question pour elle de jouer les aînées, et laisser tout le travail à ses deux jeunes cousines Oumou Dem et Kadia Sall, ou pire encore à l’hôtesse de cette journée qu’elle voulait réussie. Car, pour cette dernière, il s’agissait de rendre le teddunggal à la mère de la mariée qui avait organisé le premier accueil. Cette mariée qui était à la fois sa belle-fille, sa belle-sœur et sa « fausse coépouse » (du fait que le marié est homonyme de son époux.)
De la composition des plantes de son jardin, on pourrait dire qu’elle reflète d’une certaine manière l’état d’esprit de Diarra, elle aussi une biddo laddé. En effet les plantes y sont aussi diverses que les individus qu’elle fréquente, dans leur particularité.
Elle a fait accueillir à cette terre des Yvelines habituée à voir germer et bourgeonner de la betterave et du blé, d’autres plantes du soleil qui lui étaient inconnues, tels le folléré, le niébé, l’arachide. Ces plantes immigrées prospèrent à côté d’un abricotier et d’un prunier autochtones qui ont retenu leur ombre pour les laisser bénéficier du soleil, participant ainsi à leur épanouissement.
Tout invite à recenser sans poser des questions incommodantes dans cette diversité humaine au milieu d’une diversité végétale : des maghrébines, des congolaises, des sahéliennes...
C’est ainsi qu’une sérère s’impose comme du temps où son groupe était parmi les premiers occupants de ce qui est devenu la Mauritanie d’aujourd’hui, et se moque gentiment de ses « toucouleurs » dont certains sont restés fidèles à la langue wolof qui continue de garder son importance chez eux même en l’absence des wolofs.
Une certaine harmonie règne chez ces invités pluriels qui ont du plaisir à découper des poulets fait à l’algéroise, servis dans des plats de Limoges, de boire le tiakri dans de jolis bols inspirés de l’art de la Chine ancienne, et ce en soulignant l’indiscutable générosité de l’hôtesse.
A côté de cette générosité déjà évoquée ICI dans HAAYOO, cette njudu jeeri (citadine) qui n’en perpétue pas moins scrupuleusement qu’une djudu Fuuta (campagnarde), certaines valeurs traditionnelles, qui font de sa maison un endroit où on n’est pas gêné de gêner, un caractère de daga* est à l’affût, et qui, à la moindre égratignure peut se révéler par une injure si inattendue qu’elle en devient savoureuse.
Comme celle qu’elle a infligé aux deux garçons qui, parce qu’ils venaient de réussir au bac, s’étaient permis de s’amuser de son rôle de mère au foyer. « Le bac, leur répondit-elle, je l’ai eu il y a 30 ans, et si je me suis assise sur ma licence comme sur un coussin, c’est par pur esprit de sacrifice ». Qui la connaît bien ne s’étonnerait pas en découvrant que les garçons en question étaient ses propres enfants. C’est dire que d’où qu’elle vienne, l’égratignure lui est difficilement supportable. (Pardon néené).
Elle n’a pas eu tort de riposter, car celle en qui son père voyait, dès l’enfance, un futur grand médecin, avait une route toute tracée. Cette route qu’elle avait déjà entamée, l’aurait naturellement installée dans un salon climatisé, sur une banquette, au milieu de coussins soyeux, entourée d’une nombreuse domesticité, comme pour la plupart de celles de son rang.
Mais l’amour des siens et un cœur altruiste se fraient quelquefois un destin inattendu et infiniment riche.
*daga : félin de la famille des tigres.
***Ce texte est dédiée à Aliou Ba, le au fils aîné de Diarra.