« Évidemment, tout cela est soigneusement mis en scène. » Au Figaro, Charles Jaigu s'agace parfois de son objet d'analyse quotidienne. Ainsi, lundi 10 juillet, l'envoyé spécial du quotidien de Sarkofrance nous dévoilait le menu de la semaine concocté par les conseillers élyséens : Sarkozy serait chef de guerre. Chacun de ses faits et gestes seraient aux couleurs kaki. Visite d'un hôpital militaire, défilé du 14 juillet, déjeuner avec des soldats rentrant d'opérations, etc. Même Carla Bruni fut mise à contribution. Contrainte au repos à Brégançon, elle reçut, jeudi 14 après-midi, une dizaine d'épouses de militaires de la région.
Divertissements militaires
Mais le clou de cette séquence thématique était le voyage surprise, mardi 12 juillet, en Afghanistan. Il fallait faire oublier l'enlisement en Libye. Il y a deux mois, Sarkozy avait promis qu'il viendrait à Benghazi. Puis, il espéra que le colonel Kadhafi tomberait avant le 14 juillet, afin de permettre un défilé triomphal de soldats rebelles libyens sur les Champs Elysées. Il avait même fait livré quelques armes et munitions voici 3 semaines. Las, rien n'y fait. La guerre en Libye est plus complexe que le raisonnement binaire de Nicolas Sarkozy. Chaque tribu reste sur ses positions. Kadhafi attend le début du ramadan, le 1er août prochain. Maigre consolation, le groupe de contact (et les Etats-Unis) ont reconnu le CNT comme seul gouvernement légitime de Libye.
Dès lundi soir, le Monarque s'envolait donc pour l'Afghanistan, 6 heures sur place, au milieu des soldats dans la région de Kapisa. Une petite estrade avait été dressée dans une base avancée. Sarkozy avait des accents bushiens : « Soldaaaaats ! ! La France est fière de vous !! » Car, évidemment, nous défendons là-bas la « libertééééé » contre l'obscurantisme. En Syrie, bien plus près, un dictateur continue ses massacres de civils.
Ce jour-là, la France perdit surtout 5 nouveaux soldats, puis un sixième le lendemain, portant à 70 le nombre de tués de cette intervention française. Depuis longtemps, on se demande ce que l'on fait encore là-bas. Même Sarkozy s'interrogeait quand il promit, en avril 2007, de retirer les troupes françaises. Seulement voilà, notre Monarque est une girouette et la Sarkofrance, en Afghanistan, un supplétif. Au printemps 2008, Sarkozy réintégra le commandement militaire de l'OTAN, puis renforça de 700 hommes nos forces en Afghanistan. Quand Barack Obama, sans doute enfin conscient de l'impasse militaire et du coût insupportable de l'opération décida de lâcher prise, Sarkozy sans remords ni gêne suivit la volte-face en quelques heures à peine.
Evidemment, devant les soldats de la base avancée de Tora, notre Monarque loua l'initiative et l'indépendance de la France. Personne n'était dupe et le moral des troupes n'est pas bon. La France n'a plus les moyens de ses ambitions, même quand celle-ci sont modestes. les pays est fauché. En Libye, environ 200 millions d'euros ont été engloutis en 4 mois d'opérations. Or le budget de la Défense devait « rendre » quelque 3 milliards d'euros cette année (sur 42 milliards), pour cette autre grande cause nationale, le redressement des comptes publics.
Jeudi, le 14 juillet fut donc salement gâché par cette hécatombe imprévue. Si gâché que Sarkozy organisa un « conseil de sécurité » à l'Elysée juste après les cérémonies, et dépêcha le chef de l'armée de terre à Kaboul pour qu'il lui étudie comment mieux protéger les troupes. A quarante-huit près, c'est bien bête... il aurait pu voler sur Air Sarko One.
Triste réalité
Au pied des Champs Elysées, Nicolas Sarkozy eut quelques mots pour les caméras de TF1 et France 2. Il promit à tous les dictateurs du monde la Cour pénale internationale. On avait presque oublié qu'il y a tout juste an, la France adaptait notre droit pénal à la Cour pénale internationale d'une façon bien légère et bien protectrice pour les Méchants de ce monde : « notre » loi contre les crimes de guerre protégeait leurs auteurs si ces dernier ne connaissaient l'illégalité de leurs actes et soumettait les poursuites en France à plusieurs conditions.
Cette malheureuse séquence militaire était initialement destinée à nous divertir. Il fallait oublier ces méchants rapports de la Cour des comptes, de la dérive des finances publiques à la mauvaise gestion de nos forces de sécurité, ou ce dernier si critique contre le dernier dada du monarque Nicolas, la video-surveillance. Il fallait éviter de commenter l'absence de coup de puce du SMIC. Au 1er juillet, date habituelle pour cette revalorisation, le gouvernement avait dit qu'il attendait le 1er août. Et bien finalement, grâce aux soldes, l'inflation a fléchi en juillet juste ce qu'il fallait pour retomber en de-ça du seuil d'indexation automatique !
Il fallait penser à autre chose que la crise de la zone euro, voire, pire, que ces méchantes affaires qui avaient pollué l'été dernier.
Il y a un an, le 12 juillet 2010, Nicolas Sarkozy était intervenu à la télévision. Lors d'un entretien d'une grosse heure, quarante-huit heures avant les cérémonies du 14 juillet, il avait voulu « innover », en évitant la traditionnelle intervention post-défilé qui faisait les beaux jours des présidences Mitterrand et Chirac. Ce 12 juillet 2010, Nicolas Sarkozy avait surtout été contraint et forcé à réagir à une actualité agitée. De l'affaire Woerth/Bettencourt, démarrée le jour même de la présentation du projet de réforme des retraites un mois plus tôt, aux cigares de l'éphémère Christian Blanc, au vol en jet privé d'Alain Joyandet, son équipe était secouée et à bout de souffle. On attendait le Grand Remaniement, nous eûmes droit aux petites explications.
Un an plus tard, Sarkozy pouvait croire que ce sale climat est derrière nous, que les scandales politico-judiciaires ne sont plus que de l'histoire ancienne. Eric Woerth n'est plus ministre depuis plus de 6 mois (même si Sébastien Proto, son jeune directeur de cabinet proche du milieu des jeux en ligne vient de refaire surface au cabinet de Valérie Pécresse). Sarkozy est parvenu à nous faire oublier les invitations privées chez des autocrates arabes (Fillon, Alliot-Marie, Longuet et lui-même) et par quatre mois de raids aériens en Libye. Au Figaro, ses conseillers confiaient, lundi dernier au Figaro, que Sarkozy est « à l'abri des éventuels rebondissements de l'affaire Karachi ». Cette semaine pourtant, le site Mediapart lâchait de foudroyantes révélations sur les liens anciens et rémunérateurs entre Ziad Takieddine, l'un des intermédiaires des ventes de sous-marins au Pakistan en 1994 (à l'origine du Karachigate) et le cercle proche de Nicolas Sarkozy : des photos publiées, on comprend que l'homme a généreusement invité Hortefeux, Copé, Gaubert (cet ancien chef de cabinet de Sarkozy à Neuilly perquisitionné par la police voici 10 jours), Charon, Guéant. Avis d'impositions à l'appui, on découvre que M. Takieddine ne paye aucun impôt sur la fortune et ses revenus, pourtant très conséquents depuis les affaires confiées par le gouvernement Balladur en 1994-1995.
Campagne électorale
Mardi 12 juillet, Eva Joly fut désignée candidate écologiste. Elle fit scandale, deux jours plus tard, quand elle proposa de remplaça notre pompeux déploiement de forces armées par un défilé citoyen. Fillon l'accusa de ne pas être « assez française »; le député UMP Guy Tessier, pourtant président de la commission de la Défense, la qualifia d'anti-France, une expression rarement usitée depuis Pierre Laval et le Maréchal Pétain.
Mercredi 13 juillet, les candidats aux primaires socialistes devaient se déclarer. François Fillon, lui, recevait les parlementaires UMP pour son traditionnel rendez-vous. L'Etat « impartial » était presque là : Bernard Accoyer (président de l'Assemblée nationale), Gérard Larcher (président du sénat), ... il ne manquait plus que Nicolas Sarkozy. Le candidat avait fait sa propre réunion de campagne la semaine dernière. Triste France, triste clan.
Nos amis sarkozystes pouvaient se réjouir. Pour la première fois depuis des lustres, leur champion fait enfin jeu égal avec ses concurrents socialistes Hollande et Aubry dans les sondages de premier tour de l'élection présidentielle. Sarkozy peut donc gagner. Sur ce blog et ailleurs, nous ne cessons de le répéter.
Vendredi, Nicolas Sarkozy partit rejoindre son épouse. Cette semaine de 4 jours n'avait que trop duré. Un temps, on a cru qu'un conseil européen exceptionnel se tiendrait à Bruxelles. Ce sera finalement pour le 21 juillet. En quelques jours, le Portugal puis la Grèce ont vu leur note de crédit dégrader par les agences de notation. L'Italie, menacée à son tour, était sauvée in extremis par l'adoption d'un nouveau plan de rigueur jeudi.
Ni les agences ni les marchés ne croient plus à la solidarité européenne. Sarkozy, sur ce terrain, a bien changé depuis les premiers mois de son mandat. En 2007-2008, il s'agitait pour sortir l'Europe de son blocage institutionnel. En 2009-2010, crise oblige, la gouvernance économique européenne était l'objet de tous ses discours, crise oblige. Cette année, il se fait discret. La frénésie des bourses européenne favorise un climat anxiogène très favorable à sa nouvelle posture de campagne électorale. Dans un monde agité, suivez le Guide !
Cette instrumentalisation permanente de l'actualité, parfois excessivement dangereuse, reste l'un des fondamentaux de l'attitude sarkozyenne.
Ami sarkozyste, où es-tu ?