Il s'agit donc, dans un premier temps, de photographes (et souvent de photographies) choisi(e)s par Twombly lui-même, un panthéon éclectique qui va de la fin du XIXème siècle à des contemporains, avec un certain nombre de peintres ou sculpteurs utilisant la photographie, soit comme motif, soit pour représenter leurs oeuvres, tel
Rodin (qui recouvre les photographies de ses statues de gouache pour mieux les calibrer, les cerner, comme dans un écrin; en haut
Fugit Amor) et Brancusi (dans quelques jours mon billet sur l'exposition Barncusi photographe à Pompidou). Une des plus impressionnantes est cette photo par
Degas d'une jeune
danseuse, vers 1900 (ci-contre), où la pénombre, les taches lumineuses (dues à l'inexpérience de Degas, ou aux failles de l'appareil), les rayures, l'incertitude des traits créent une atmosphère fantomatique, douce et sensuelle assez similaire à celle du voyeur tchèque que j'aime tant.
Quant à
Bonnard, si amoureux de Marthe qu'il la peint et la photographie sans cesse dans son éternelle jeunesse, qu'a-t-il donc inclus dans sa composition au premier plan de cette
Marthe nue au bain (ci-contre)? J'ai d'abord cru voir une échine, un vieillard peut-être; est-ce une serviette au bord du tub ? Ou serait-ce une bavure photographique, un raté de la plaque, comme un fantôme spirite en somme qui viendrait par erreur s'inviter dans l'image ?
L'exposition s'organise de manière très épurée, très thématique : une salle de séries (Muybridge, Ruscha, LeWitt), trois horizons marins de Sugimoto (deux brumeux, le troisième, caribéen, très linéaire et dur), de nombreux Lartigue (certains en stéréo, plus une curiosité qu'autre chose), des tirages très connues de Arbus, des photos-citations de
Louise Lawler (
Baudelaire; ci-contre) avec le portrait original par
Carjat un peu plus loin : comme un jeu d'écho, une résonance.
Une salle entière, très belle, est consacrée à
Sally Mann, comme un joyau précieux. Ci-dessous
Jessie #30, de 2004, sans plus de mots. Aussi deux vidéos de David Claerbout, d'une lenteur sublime : un arbre au feuillage légèrement agité par le vent alors qu'autour rien ne bouge, et pour cause, et une dame sur un rocking chair sudiste, vue de face et de dos; toujours le passage du temps.
On en vient enfin aux photographies de Cy Twombly, aux couleurs passées, aux teints délavés, d'une intensité sourde; quand le rouge d'une fleur éclate trop vivement, on se recule, choqué. C'est un travail commencé il y a 60 ans et peu ou pas vu jusqu'ici. Il m'a semblé que Twombly n'était pas un très bon portraitiste
(et d'ailleurs c'est un genre qu'il abandonne après Cage et Rauschenberg) et qu'il n'était pas non plus un grand paysagiste (ses vues de plage sont affligeantes de banalité). Quand il s'essaie à des compositions compliquées (et qu'il leur donne des titres amphigouriques, comme cette photo d'une de ses sculptures, Le rêve mathématique d'Assurbanipal), on peut craindre le pire. Par contre ses photographies quasi abstraites d'objets tout simples sont époustouflantes. En 1951, à 23 ans au Black Mountain College, il prend quelques photos de vases et bocaux sur une étagère et c'est une nature morte digne de Morandi (
Still life, ci-contre)
Il y a deux ans, il photographie ses pinceaux à Gaeta et là encore, on est devant une composition si forte, si simple, qu'on ne peut que retenir son souffle (
Brushes).
Et ces simples citrons grumeleux ont une matière, une présence tout à fait picturales, ce qui ne devrait guère être étonnant, somme toute (
Lemons).
Photos courtoisie du service de presse.