La civilisation mycénienne précède la Grèce classique de plusieurs centaines d’années. Recouvrant une période de quatre siècles (du 16e siècle au 12e siècle av. J.C), cette civilisation a fondé Thèbes, Pylos et les cités fortifiées de Mycènes et de Tyrinthe. Tandis que la civilisation crétoise, qui lui est contemporaine, se rattache aux légendes du Labyrinthe et du Minotaure, la civilisation mycénienne est contée par Homère dans l’Iliade et par Sophocle, Eschyle et Euripide dans les tragédies qui concernent la famille des Atréides (Agamemnon, Electre, Oreste…).
Au 19e siècle, Henrich Schliemann, qui avait découvert Troie, explore les sites de Mycènes et de Tyrinthe, fait le rapprochement avec les récits de l’Iliade et attribue le nom d’Agammemnon à l’un des masques funéraires retrouvés sur le site de Mycènes. Ce masque daterait du 16e siècle av. J-C., soit trois siècles avant la guerre de Troie [1]. S’il n’appartient pas au roi légendaire, à qui appartenait-il ?
Ce masque d’or n’est que l’un des masques funéraires trouvés dans le cercle des tombes royales A, auquel mène la porte des Lionnes, nommée ainsi à cause de la plaque triangulaire qui la surplombe, sur laquelle sont représentés deux lions dos à dos.
Cette porte fait elle-même partie d’un ensemble plus vaste, puisqu’on trouve également une entrée plus modeste du côté sud, un autre cercle de tombes royales (appelés cercle des tombes royales B), neuf "tombes à tholos", en forme de ruches enterrées dans le sol, une enceinte cyclopéenne et les restes d’un palais au sommet de la colline. Tyrinthe n’est pas construite autrement.
Si l’on remet en cause l’attribution du masque d’Agamemnon au roi de la légende, on continue de penser ces vestiges comme les restes d’un palais royal. Mais a-t-on vraiment affaire à un palais ?
Un ensemble d’éléments nous laissent à penser le contraire :
la construction des tholos et le contenu des cercles de tombes montrent l’importance des personnes qui y étaient enterrés (aux ossements s’ajoutaient un mobilier funéraire,des figurines, de la céramique, des masques d’or et des bijoux) ; or, enterrer les morts n’est pas une coutume mycénienne, comme on le voit dans l’Iliade, quand Achille brûle le corps de Patrocle mort devant les murailles de Troyes ;
du palais il ne reste que les vestiges d’un mégaron, un foyer entouré de quatre colonnes pour soutenir la toiture ; or, l’architecture des mégarons se retrouve également dans les temples grecs, la présence d’un mégaron ne suffit donc pas pour attribuer une fonction au bâtiment ;
la forteresse de Mycènes aurait été abandonnée au 12e siècle, à l’époque de l’invasion des Peuples de la Mer, mais les découvertes récentes montrent qu’il n’y a pas eu d’invasion brutale mais une immigration successive, alors pourquoi a-t-elle été abandonnée ?
Notre hypothèse est que Mycènes ne constituait pas une forteresse et que les murs cyclopéens ne protégeait par le palais d’une invasion, mais que Mycènes constituait une nécropole et que les murs cyclopéens protégeait le roi défunt à la manière des mastaba pour les pharaons.
Mastaba de Meresankh III à Gizeh
Il existe en effet plusieurs éléments qui montre l’influence de la civilisation égyptienne sur l’architecture et les objets retrouvés sur ce site :
les tholos sont précédés par un long corridor (un dromos), qui descend vers une porte monumentale [2] ; or les mastaba [3] et les temples égyptiens [4] étaient précédés d’une allée menant au temple, tandis qu’une porte monumentale, souvent violée par les pillards, menait à un couloir qui s’enfonçait sous la surface [5] ;
Escalier menant à tholos mycénien
Entrée sous la pyramide de Djoser
les dromos sont en forme de "ruches", or l’abeille symbolise la royauté dans les hiéroglyphes égyptiens ;
les dromos sont construits à partir de la technique d’encorbellement, également utilisée dans les pyramides égyptiens [6] ;
les masques en or découverts dans les tombes semblent imiter la coutume égyptienne de recouvrir la momie d’un pharaon d’un masque d’or ;
les deux lions de la Porte des Lions sont également présents dans l’iconographie égyptienne : "L’image du double lion (…) symbolise les deux temps extrêmes de la Douat. L’un des lions représente "hier" et regarde l’Occident ; l’autre se nomme "doua" (demain) et regarde l’Orient. Tous les deux tournent le dos au soleil de "l’horizon" qui est, nécessairement, celui d"hier" donc descendu sous l’horizon. Ils sont dans la nuit, parce que le soleil voyage, invisible, dans la Douat." [7].
En résumé, la Porte des Lions signifierait que le visiteur rentre dans le royaume des morts et que les morts qui voyagent dans le royaume souterrain (celui de la mort) renaîtront comme Horus dans le ciel. Cela expliquerait pourquoi il existe une sortie de l’autre côté. Les pierres monumentales, quant à elles, viseraient à protéger les tombeaux des personnes royales qui y sont enterrées à la manière des pharaons.
Cette interprétation reste évidemment à confirmer, par de nouvelles fouilles par exemple [8]. Si notre hypothèse s’avérait exacte, il resterait encore à savoir si les Mycéniens cherchaient à copier les rites funéraires égyptiens - sans en avoir la parfaite maîtrise - ou si la nécropole de Mycènes révèle une influence plus importante de la civilisation égyptienne sur la civilisation mycénienne et le monde grec en général ?
Serait-ce si étonnant ? Nous savons par ailleurs que la civilisation crétoise entretenait des relations avec l’Egypte à la même époque, que le lion à visage humain apparaît sous le nom de "sphinx" à Gizeh et dans la légende thébaine [9] et qu’à partir du 7e siècle av. J-C au mois, le voyage d’Egypte constituait un voyage d’étude pour les philosophes grecs [10].
Si, comme nous le supposons, les archéologues se trompent sur la fonction des monuments de Mycènes, c’est toute l’histoire de l’Helladique qu’il faut revoir, car cela signifierait que Mycènes n’était pas un peuple guerrier qui cherchait à se défendre d’envahisseurs par de puissantes murailles, car cela signifierait que le palais du roi Agammemnon, s’il existe, ne se trouve pas à Mycènes, car cela interrogerait sur l’origine du rite de l’inhumation et dans la croyance d’une vie après la mort sur le continent grec [11]…
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Le monde est étrange, vous ne trouvez pas ?
Voir le plan de Mycènes
[1] La guerre de Troie aurait eu lieu au 12e siècle, en même temps que l’invasion des Peuples de la Mer qui ont attaqué les côtes anatoliennes et égyptiennes au 12e siècle av. J.-C.
[2] par exemple la tombe dite « Trésor d’Atrée », est précédée d’un dromos de 36 m de long et de 6 m de large, elle est surmontée d’un linteau en deux parties, mesurant 9,50m x 1,20m et pesant 120 tonnes ; au-dessus de ce linteau se trouve une plaque triangulaire identique à celle de la porte des Lionnes ; tandis que la coupole à l’intérieur s’élève à 14 m.
[3] par exemple la mastaba à deux degrés de Shepseskaf, appelé El-Faraoun par les arabes
[4] comme celui de Louxor
[5] comme à Djoser par exemple
[6] au-dessus de la chambre du roi, dans la pyramide rouge de pyramide rouge de Daschour par exemple)
[7] Schwaller de LUBICZ, Contribution à l’Egyptologie, article "Douat", Ed. Le Caire, 1950, Ed. MCOR, coll. La Table d’Emeraude, 2006, pp. 15-16.
[8] Plus profondes, afin de vérifier s’il n’existe pas d’autre chambre souterraine, et plus large, afin de chercher le palais des rois en dehors de la nécropole.
[9] Le sphinx apparaît comme une créature qui met à l’épreuve le roi Oedipe
[10] Nous savons, par les Grecs eux-mêmes, que Thalès, Solon, Pythagore, Héraclite, Empédocle et Platon ont voyagé - ou prétendaient avoir voyagé - en Egypte, que ce soit pour y développer leurs connaissances ou pour donner un argument d’autorité à leur philosophie.
[11] Les cultes à mystère ont-ils nécessairement un lien avec le mythe osirien de la résurrection ou s’agit-il d’une communauté de pensée ?
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