Editions Actes Sud, 2008
" Danser, c'est altérer le vide.
Pourquoi inscrire un mouvement dans le rien ? Elle voudrait tant pouvoir juste contempler et habiter simplement, sans bouger. Elle envie ceux qui le peuvent. Elle, elle n'y arrive pas.
....
Alors elle danse. Il faut qu'elle trace, avec son corps, les lignes qui permettent d'intégrer l'espace. Seule la beauté du mouvement peut la sauver.
C'est sa façon de trouver place dans la vie.
Léa est chorégraphe par nécessité"
Formidable histoire que celle de Léa, qui danse, qui ne peut s'arrêter de danser. Mais pourquoi ? Lorsque son compagnon Bruno, artiste peintre, lui demande de poser pour lui, de se figer dans l'immobilité, pourquoi s'enfuit-elle en courant ?
Léa sent bien que ce comportement par rapport à son corps vient de sa mère, qu'elle va d'ailleurs solliciter pour sa prochaine chorégraphie.
Alors, cette nuit de tempête, elle va se réfugier dans la vieille maison normande pour tenter de comprendre, pour mettre les mots sur la souffrance de sa mère. La vieille Suzanne va alors lui livrer son secret.
Le récit va alterner le présent de Léa et le passé de Romilda, la mère italienne, devenue en France Suzanne. Quelle est ce secret inavouable ?
Cette magnifique histoire de corps et de mots s'intègre parfaitement dans l'oeuvre de Jeanne Benameur.
Cette difficulté de dire, de mettre en mots se retrouve aussi bien dans Les demeurées que dans Les insurrections particulières.
Ce long accouchement pour se dire et se trouver est toute l'histoire de Romilda,la mère de Léa.
Et ce secret, expliquera le pourquoi et l'origine de l'amour de la danse.
Une magnifique histoire de corps immobiles où en mouvement, sur le pouvoir de notre inconscient. Une belle métaphore aussi sur le lien entre les arts et le corps que ce soit à travers la peinture ou la danse.
Prendre possession des corps à travers la peinture, le libérer et l'élever, le maintenir en équilibre à travers la danse.
Assurément l'un des plus beaux textes de Jeanne Benameur écrit dans une langue tout très scandée ; une respiration haletante, rendue par des phrases très courtes. Une très belle musique du coeur....
"Elle imagine. De toute sa force, elle imagine.
Dans le corps de sa mère, elle pénètre, elle se lève.
Elle insuffle la danse.
Par ce que la danse, c'est ça. C'est toujours ça. Des corps qui se relèvent.
Et il faut toucher terre d'abord.
Il faut bien.
Alors Léa touche terre.
Pour elles deux.
Le péril est là. Total. Il faut affronter.
est-ce que les mots peuvent tuer ?
Dans sa tête, elle invente une danse. Juste pour elle et sa mère. Contre les mots de Romilda. Pour qu'eles restent à l'air libre toutes les deux. Qu'elles demeurent. Vives.
Dans sa tête, avec la danse, elle revisite le corps de sa mère. Comme un nageur. Elle écarte tout...
Elle redessine dans le ventre de sa mère des voies neuves...."