Ces derniers temps, on a vu des jeunes gens rentrer chez les cavistes avec à la main un manga intitulé Les gouttes de Dieu, dans les pages cornées duquel ils ont surligné quelques noms. Signée des Japonais Tadashi Agi et Shu Okimoto, cette étrange bible est en fait l’histoire exaltante d’une initiation : pour prendre possession de l’inestimable collection de grands vins d’un célèbre œnologue, ses deux héritiers potentiels doivent identifier 13 mystérieux vins à l’aide d’énigmes. Parsemé de noms de châteaux plus ou moins abordables, le manga est pour certains lecteurs le premier contact avec le monde du vin – un contact plus naturel que ne l’aurait été la lecture d’un docte volume tel qu’il y en a de plus en plus dans les rayons des librairies taiwanaises, dont Le goût du vin d’Emile Peynaud et Jacques Blouin qui vient de sortir en traduction chinoise.
Rouge et français
Les vins français sont nettement en tête des ventes à Taiwan depuis une décennie, s’arrogeant environ 55% d’un marché qui pesait, en 2008, 66 millions d’euros.
En 2009, selon les statistiques des douanes taiwanaises, Taiwan a importé plus de 10,5 millions de litres de vin en bouteille, sans compter les vermouths et autres vins aromatisés. Sur ce total, les importations en provenance de France s’élevaient cette année-là à 4,2 millions de litres, loin devant le Chili (1,15 million), l’Australie (1,1 million) et les Etats-Unis (900 000 litres)
Pour la France, qui en 2008 a exporté pour 6,8 milliards d’euros de vins de raisin selon des statistiques d’Ubifrance, le marché taiwanais n’est pas le plus grand, mais il a son importance. Selon une étude publiée par Vinexpo en 2007, Taiwan était en 2005 au 4e rang des pays consommateurs de vins tranquilles en Asie, derrière la Chine (Hongkong inclus), le Japon et la Corée du Sud. A Taiwan, lit-on dans le rapport préparé par Vinexpo, la consommation de vins tranquilles a augmenté de 70,83 % entre 2001 et 2005. Selon les professionnels, après un creux en 2009, la consommation est repartie de façon très encourageante.
Les rouges se vendent beaucoup mieux que les blancs. La proportion tourne aujourd’hui autour de 70% pour les rouges contre 30% pour les blancs, ces derniers faisant actuellement une percée. Quant au champagne et aux vins pétillants, ils ne représentent qu’une infime partie du marché, les Taiwanais étant d’une manière générale assez réticents face aux boissons gazeuses, alcoolisées ou non.
Pourquoi les vins rouges ? Dans les années 90, sans doute, c’est la couleur qui a été la principale motivation des acheteurs, car c’est celle du bonheur dans la culture chinoise. Le vin rouge se prête donc particulièrement aux occasions festives comme les mariages et les banquets où, ces dix dernières années, il a progressivement remplacé le cognac et les vins chinois au moment des traditionnels toasts.
Il doit aussi une partie de sa popularité à la réputation de « boisson santé » qui lui a été forgée dans les médias. Comme le chocolat noir, le vin rouge est, pour les Taiwanais, souvent paré de l’auréole du remède miracle. On en boit contre les maladies cardiovasculaires (sous l’influence d’une abondante littérature sur le fameux French Paradox), l’insomnie… Associé au fromage, il est même parfois conçu comme la base d’un régime amaigrissant ! Valérie Pearson, formatrice à la dégustation, qui analyse les tendances du marché taiwanais depuis juillet 2007 et a travaillé dans l’île pour des grands groupes de distribution, raconte ainsi avoir souvent entendu qu’il était bon pour les personnes âgées de boire un petit verre de vin rouge le soir avant de dormir…
Auteur : Laurence Marcout pour Taiwan Aujourd'hui.