Il n’est pas dans mes habitudes de rédiger des billets polémiques sur ce blog d’une part parce que je n’en vois pas la nécessité, et d’autre part parce que je ne suis pas très doué en polémique.
Cela dit, ce matin sur France Inter, j’ai entendu certains propos qui m’ont quelque peu énervé par leur lénifiante appartenance au consensus très à la mode depuis pas mal de temps. René Koering, directeur du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon était l’invité de Pierre Weil et répondait aux questions des auditeurs.
A l’un de ces auditeurs qui lui demandait ce qu’il pensait de ces mises en scène lyriques qui assassinent les œuvres sous des prétextes divers –dont celui de la « modernisation », voire du « dépoussiérage »- et érigent la laideur, l’incohérence et le contre sens en « manifeste de la modernité », René Koering, très diplomate (donc faux cul) répondit (je résume) qu’il y avait comme dans toutes choses des excès mais que le théâtre évoluant, l’opéra devait également évoluer (surtout dans le mauvais sens, NDR) et que les inepties étaient également monnaie courante sur les scènes lyriques au 19ème siècle.
Bon. Evitons de dire à Monsieur Koering qu’il enfonce les portes ouvertes et que sa réponse se mord la queue sur le plan de la stricte logique ; évitons également de lui faire remarquer qu’elle élude remarquablement bien le problème. Accordons-lui qu’effectivement, dans toutes choses, il y a des excès …
L’ennui, c’est que les excès en question se multiplient de plus en plus. J’ai déjà traité ici de certaines mises en scène (Katia Kabanova, Le Chevalier à la rose) qui m’ont franchement révulsé par leur hideur et leur façon de dénaturer l’œuvre par une interprétation qui ferait les délices des psychanalystes et des psychiatres. Que les metteurs en scène aient des problèmes existentiels et psychologiques, ça, d’accord. La névrose est une des caractéristiques de l’être humain. Mais qu’ils choisissent une scène d’opéra pour exposer sur la place publique leur délire, là, je suis beaucoup moins d’accord. Pour preuve, j’ai lu sur un blog (cliquez ici) la description d’une mise en scène de Tannhäuser en Allemagne. Pour faire bref : le héros est un cinglé hallucinatoire, enfermé dans un asile, bourré de médocs, et Elisabeth à la fin se suicide en avalant les cachets destinés à son bien-aimé. Quid de la dimension spirituelle de l’œuvre ? Eh ben apparemment, elle a disparu… (A moins que dieu ne se soit réfugié dans les neuroleptiques, qui sait ?) Cela ne semble pas trop gêner l’auteur de ce blog qui explique longuement le pourquoi du comment de cette « interprétation ». On dira ce qu’on voudra, mais la psychanalyse (surtout à la petite semaine) aura fait des dégâts considérables dans pas mal de domaines…
Cela dit, cet article n’a pas pour but de vitupérer une fois de plus les metteurs en scène d’opéra. La question de l’auditeur et la réponse de Koering m’ont fait réfléchir sur un autre problème, qui découle d’ailleurs du premier : face à cette déferlante de médiocrité et de ratage, quelle est l’attitude du public ? L’anesthésie, l’endormissement et un béni oui-ouisme absolument affligeant. Où est passé le temps des tomates balancées sur la scène quand le spectacle était raté, des huées, des scandales, bref le temps extrêmement sain où le public manifestait un esprit critique et ne se privait pas de réagir quand il estimait qu’on se foutait de sa gueule ? Une pluie de légumes pourris sur la tronche de certains metteurs en scène, chanteurs, chanteuses, les ferait certainement revenir à une conception un petit peu plus saine (elle aussi) de leur métier. Bon, d’accord, ils joueraient à coup sûr les martyres et les incompris, relayés en cela par les médias, toujours friands de ce genre de scandale. Mais peut-être qu’à force de se faire huer, et de se ruiner en facture de pressing pour effacer les taches de tomate, arriveraient-ils à ranger leur ego surdimensionné au vestiaire (vœu pieux, une fois qu’on l’a sorti, celui-là, difficile de le remettre à sa place) et à avoir une vision plus modeste de leur « mission ».
Je rêve, je sais. Il est fini le temps où l’on apostrophait les artistes, où des énergumènes criaient en plein milieu d’une représentation de Tosca « sortez-là, elle gueule ! ». (Expérience vécue à Lyon dans les années 70, et ils avaient raison, ce n’était pas du chant mais du cri : n’est pas Callas qui veut. D’ailleurs, en parlant de Callas, elle-même a connu les sifflets et les gueulantes, quand les aficionados de la Tebaldi venaient à la Scala dans l’espoir de lui régler son compte…) Le « politiquement correct » qui s’est immiscé jusque dans les salles de spectacle aura laminé toute velléité un peu « musclée » de protestation. Résultat : tout le monde a le droit de faire (et de dire) n’importe quoi ; et, à plus grande échelle, on laisse faire et dire n’importe quoi… Aller à l’opéra(et au théâtre : parlez-moi d’Oncle Vania monté par la Stavisky aux Célestins de Lyon ! ! !) n’est plus un plaisir dans la mesure où vous allezaborder cette soirée avec tellement d’appréhension qu’il va vous falloir avaler trois cachets de Lexomil pour dissiper vos crises d’angoisse. Névrose, vous avez dit Névrose ?...
J’ignore jusqu’à quand va durer cette ahurissante et terrifiante léthargie. La Belle s’était endormie pour cent ans. Je suis plus pessimiste…