Alors qu’un accord frontalier a été trouvé avec la Russie, la ville de Kirkenes entend profiter de l’exploitation pétrolière facilitée par la fonte de l’Arctique. À l’extrême nord de la Norvège, cette petite ville est au cœur d’une région en plein bouleversement. D’énormes réserves de gaz et de pétrole attendent les premiers forages.
Le changement climatique y a aussi un peu contribué. Ici, à l’extrême nord de la Norvège, où le thermomètre descend en dessous de – 40 °C en hiver, le réchauffement n’a pas que des inconvénients. La fonte des glaces, en été, ouvre la route maritime du Nord-Est. Par le détroit de Bering, il faut moitié moins de temps pour relier Rotterdam et Shanghaï qu’en passant par Suez.
L’économie peut représenter 300 000 dollars par voyage. Rares sont encore les navires qui s’y aventurent, toujours précédés d’un brise-glace. Mais « ça va se développer progressivement », prédit-on.
Des conditions extrêmes
L’an dernier, la Russie et la Norvège ont réussi à s’entendre sur leur frontière maritime, disputée depuis des décennies. L’accord entre en vigueur aujourd’hui et va ouvrir à la prospection 175 000 km2 en mer de Barents. Une aubaine pour la Norvège, dont les réserves de pétrole en mer du Nord commencent à décliner.
À 500 km au large de Kirkenes, dans la partie russe de la mer de Barents, Shtokman, l’un des plus gros gisements de gaz off shore au monde, attend ses premiers forages. Le Russe Gazprom s’est associé au Norvégien Statoil et à Total pour y réaliser les investissements colossaux plateformes, gazoduc, navires… qui seront nécessaires.
Cet avenir de pétrole et de gaz a attiré Tschudi à Kirkenes. La compagnie maritime est prête à aménager un million de m2 de zone portuaire. Le port russe de Mourmansk, à 200 km, est, pour l’instant, le seul susceptible de servir de base logistique. Réponse début 2012.
La ressource qui manque à Kirkenes, c’est la main-d’oeuvre. Peuplée de 5 000 habitants, elle ne connaît pas le chômage (1,3 % de la population active) et fait venir des travailleurs de Norvège, Finlande ou Russie. Barel, entreprise d’électronique qui fabrique des éclairages pour les avions, a fait de cette pénurie un atout. Elle a installé un atelier à Mourmansk, où « les salaires sont trois fois moins élevés qu’en Norvège », justifie Trine Gustavsen, la directrice. C’est ainsi qu’elle a décroché un marché pour Airbus, 30 % moins cher que le fabricant allemand qui le détenait auparavant.
« L’avenir se joue ici »
À 2 500 km d’Oslo, Kirkenes se rêve comme porte d’entrée de l’Europe sur l’Arctique et tête de pont de la coopération avec la Russie. Un doute obscurcit, toutefois, cet enthousiasme : l’Europe sait-elle seulement qu’elle possède cette richesse ? « L’Union européenne n’a pas compris que l’avenir se joue ici, s’énerve Rune Rafaelsen, directeur du Secrétariat de Barents, organisme de coopération interrégionale. Ses responsables ont une vision romantique de l’Arctique : ils se préoccupent plus des phoques et des ours polaires que de notre développement économique. »
Les écologistes, eux, en ont des sueurs froides. Ils ne voient pas du tout d’un bon œil la ruée vers le Grand Nord. «Les conditions météo sont telles, ici, que les bouées destinées à contenir une marée noire seraient totalement inadaptées et inefficaces, s’inquiète Gunnar Reinholdtsen, de la Norges Naturvern Forbund, une ONG norvégienne. L’écosystème arctique est particulièrement fragile, le cycle de vie des êtres vivants y est plus long qu’ailleurs, la nature mettrait plus de temps à se remettre d’une catastrophe.» Pas sûr que sa voix porte, vu les sommes en jeu.