Les lendemains du printemps arabe : islamistes ou démocratiques ?

Publié le 13 juillet 2011 par Jclauded
Mon ami et correspondant depuis toujours Mansour, berbère algérien, m’exprime dans un récent courrier sa pensée sur l’évolution du printemps arabe. Je crois que ses propos peuvent intéresser mes lecteurs et j’ai décidé d’en faire un billet de mon blog.
Mansour sera très intéressé par vos commentaires que je vous invite à m’envoyer ou à ajouter sur mon blog.
Claude Dupras
Cher ami,
Le comportement des USA et de ses alliés européens à travers tout le monde arabe me dégoûte. La goutte qui a vraiment fait débordé le vase pour moi a été le comportement de la Cour internationale de justice, qui soi-disant est là pour défendre les droits internationaux de toutes les sociétés du monde et qui se comporte tout simplement comme un instrument de la politique internationale des USA, depuis pratiquement les attentats du 9 septembre de 2001 à New York.
Revoyons rapidement les récentes interventions de cette Cour suprême. Elle n'a pas hésité d’émettre des mandats d’arrêts du président du Soudan, de Kadhafi et d’un nombre de membres du Hezbollah du Liban, inculpés de l'assassinat du dernier premier ministre libanais. Et maintenant, le président de la Syrie est dans la mire.
Où était cette Cour internationale de justice lors des atrocités commises par des gens comme Moubarak ou El Abidine ou mieux encore du président du Yémen qui opprime son people plus de 30 ans ? Où est-elle face à l'oppression des chiites par les régimes sunnis, à travers les émirats arabes qui sont soumis à la domination de l'Arabie saoudite et de ses alliés américains et européens.
Cette cour, qui devient kangourou, se donne le droit moral universel de poursuivre des gens comme Milosevic ou autres slaves mais oublie les atrocités commises par toutes les républiques de la Yougoslavie du passé. Mieux encore, comment peut-elle être la défenseure des droits internationaux et mettre de côté toutes les atrocités commises par les alliés des USA. Bientôt, nous allons la voir s'intéresser aux leaders politiques de l'Iran et peut être même de la nouvelle Turquie qui ont créé des démocraties tirées des valeurs occidentales mais qui refusent d'abandonner leurs valeurs culturelles musulmanes.
Un célèbre écrivain algérien, Malek Benabi, a publié dans le passé un ouvrage qui m'a considérablement marqué. Il y explique la colonisation par le monde occidental des pays arabes, en particulier, et dans le reste de la planète lors des 19e et 20e siècles. Il décrit bien les conditions sociopolitiques qui prévalaient à travers le monde arabe et surtout en Algérie, avant les interventions coloniales européennes. Ce qui me choque aujourd’hui même, c'est que je trouve que les mêmes conditions sociopolitiques, qui ont mené à la colonisation de ce monde arabe, sont encore "live and kicking" à travers ce même monde.
Les pseudos politologues français, anglais et surtout américains veulent nous faire croire que les événements en Tunisie et surtout en Egypte sont une dénonciation publique des mouvements islamiques à travers les mondes arabe et musulman de la terre. Mais on oublie de nous dire que ces mouvements, aussi spontanés qu'ils soient n'ont aucune vision de ce qu'ils veulent à long terme pour leurs sociétés qu'ils disent vouloir réformer. Cette révolte spontanée des jeunes arabes, en particulier, me rappelle tout de même le fameux ouvrage de Gillas « la révolte des gueux ». Et, l'histoire nous enseigne, tous les jours, que ces révoltes n'aboutissent à rien, en fin de compte. La révolte d’Alger du 5 octobre 1998 à Alger nous l’a bien démontré.
Je n'oublierai jamais une fameuse réponse du général de Gaule à une question posée par un journaliste français concernant la nation algérienne durant la guerre de libération. Sa réponse a été extraordinaire et très profonde pour toutes les générations du passé aussi bien que du futur. Il avait tout simplement répondu en posant une série de questions au journaliste. Il lui avait demandé s’il y avait des Diderot, Victor Hugo, Descartes, Lamartine ou tous les membres de l'histoire culturelle de la France façonnant la société algérienne d’alors. Il avait terminé sa réponse en affirmant que tous les dirigeants du mouvement nationaliste algérien de l'époque n'étaient que des grenouillards et que les algériens ne finiront jamais à toujours grenouiller dans l'avenir.
Je ne suis pas tout fait d'accord avec cette conclusion du général de Gaule. C’est vrai en rapport avec les dirigeants historiques algériens, mais faux en rapport avec le président Boumediene. Ce dernier était franchement sincère dans ses efforts de construire une nouvelle société moderne en Algérie. Malheureusement il n'avait pas les alliés nécessaires pour aboutir à ses objectifs.
Il ne fait pas de doute que nous avons des intellectuels arabes courageux qui décrivent bien la situation de leurs sociétés et qui dénoncent aussi les régimes qui les gèrent. Mais je suis désolé de reconnaître que le monde arabe est toujours aussi disloqué qu'à travers toute son histoire. Il ne croit pas en son avenir et apparemment se contente de son état présent, autant matériel que politique.
La crise actuelle du monde arabe me rappelle l'Algérie des années 1988-1991, alors qu’elle a vécu un soi-disant printemps arabe. Ceux qui appuient les révoltes actuelles sont les mêmes qui avaient applaudi la déstabilisation politique de l'Algérie, durant cette période, qui a coûté plus de 150,000 victimes à mon pays et qui continue, à ce jour, de payer lourdement pour ce soulèvement.
Cette révolte d’Alger qui éclata le 5 octobre 1988, avait en fait été organisée sournoisement par le ministre de l'intérieur lui même, pour répondre à des agitations importantes au sein même du parti au pouvoir, le FLN. Le syndicat national, l'UGTA, avait lancé toute une série de grèves pour faire comprendre au président Chadli que son pouvoir s'éloignait de plus en plus des droits des travailleurs en général et des populations les plus démunies.
Ce qui a vraiment poussé le peuple algérien à se révolter contre la "mal-vie" fut la grève illimitée des ouvriers de la Sonatrach. Après plus d'une semaine, les motoristes algériens étaient incapables de trouver une goutte d'essence pour leurs voitures. Et pour briser ce syndicat qui remettait en question la légitimité du pouvoir de Chadli, le ministre de l'intérieur encouragea la révolte populaire à travers Alger, en particulier. Il lâcha même tous les milliers d'écoliers du primaire et du secondaire dans la rue pour susciter une révolte générale.
Le soir du 5 octobre, un grand nombre de bus municipaux avaient été mis à feu et certains ministères saccagés. Le régime de Chadli profita de ces événements pour remettre en cause la légitimité du FLN. au pouvoir depuis le jour de l'indépendance politique du pays. Le système de représentation politique fut modifié pour détruire le monopole de ce dernier et pour, surtout, permettre la légalisation des tendances islamistes. Le régime encouragea la création de partis artificiels mineurs, pour soi-disant démocratiser la vie politique en Algérie.
En 1991 le front islamique du salut (FIS) remporta les élections législatives nationales. Mais les généraux, le pouvoir réel en Algérie, ne pouvaient pas accepter l'arrivée au pouvoir des islamistes fondamentalistes qui promettaient de retourner à l'orthodoxie musulmane et même de pendre tous les algériens qui avaient contribué au renforcement du pouvoir passé. C'est ainsi que ces généraux, avec une fois de plus l'approbation sournoise des pays occidentaux, se sont débarrassés de Chadli et ont installé une nouvelle dictature militaire, qui à ce jour est toujours au pouvoir.
J’estime que nous allons voir le printemps arabe d’aujourd’hui se métamorphoser en une série de nouveaux régimes encore plus dictatoriaux que par le passé et le renforcement des mouvements fondamentalistes musulmans à travers le monde arabe. C’est triste.
Mon pessimisme pour l'avenir de tout le monde arabe vient du fait que je ne vois rien de bon pour lui à l’horizon. ll est certain que la Turquie finira par donner la solution finale à tous les problèmes du monde arabe, mais tant que les régimes féodaux de toute la péninsule arabique continueront à accepter le support inconditionnel du monde occidental, la renaissance du monde arabe ne sera pas au rendez-vous.
Mansour.