Marie Blanche - Jim Fergus

Par Emmyne

1995, région des Grands Lacs. Jim Fergus rend visite à sa grand-mère, Renée, 96 ans. Fille d'aristocrates français désargentés, mariée trois fois, celle-ci a connu un destin hors du commun, qui l'a menée de son petit village natal de la région de Senlis jusqu'aux Etats-Unis, en passant par les sables de l'Egypte. D'un caractère entier, froide et tyrannique, elle a brisé la vie de sa famille, en particulier celle de sa propre fille, Marie-Blanche, la mère de Jim. Pour essayer de la comprendre, et peut-être de lui pardonner, celui-ci va tenter de retracer son parcours. En parallèle, à travers le journal intime de sa mère, l'écrivain nous fait entrer dans l'intimité de celle-ci. Internée en 1966 dans un asile de Lausanne, Marie-Blanche se souvient de sa vie, commencée comme un conte de fées mais qui prit peu à peu des allures de tragédie. Jim Fergus s'inspire ici de son histoire personnelle pour nous offrir une saga familiale bouleversante.

- Editions Le Cherche Midi -

Je n'ai pas lu Mille Femmes Blanches, n'ayant jamais été tentée par ce récit, c'est pourquoi je remercie NewsBook en partenariat avec les éditions Le Cherche Midi, de m'avoir permise de découvrir la plume de Jim Fergus avec son dernier roman.

Autant l'écrire de suite, ce fut un rendez-vous manqué, unne lecture laborieuse et décevante, une erreur de choix de ma part.

Deux aspects m'ont particulièrement gênée dans ce récit.

Tout d'abord la saga familiale annoncée comme une fresque historique féminine ne tient aucune de ses promesses : le féminisme de ce roman est galvaudé, se limitant à la victimisation des femmes, qu'elles soient devenues égoïste, cruelle, insensible et indifférente, dépressive...Renée, la grande figure de ces pages, présentée comme celle qui, au début de ce siècle, a la volonté de s'imposer libre dans un monde masculin, se contente de chasser le riche mari arrangeant et les honneurs des fashion gazettes. Sa fille si mal aimée, Marie-Blanche, dont la vie est marquée par l'abandon, hantée par le deuil, est un personnage trop peu développé, prétexte à revenir sur le lourd passé de maman dans des chapitres alternés qui se complaisent dans la psychiatrie de boulevard sur les traumatismes de l'enfance. Sa souffrance, sa déchéance, motifs à l'apitoiement, à la compassion, certes, manquent cruellement de profondeur. Une personnalité douloureuse et complexe méritant bien plus d'égards, que ses faiblesses soient portées avec force, qu'elle porte le récit, en justifie son titre.

Ce roman traite de pédophilie, d'un oncle incestueux, violent, intéressé, séducteur, manipulateur et jaloux, le type même du mâle despote, toléré par deux générations de mères. L'atmosphère est particulièrement malsaine dans le premier tiers du livre, la concupiscence transpire entre chaque ligne. Ce n'est pas tant ce thème dérangeant qui a gâché ma lecture mais le constat qu'il en soit l'unique sujet dans cette saga qui n'en est pas une. Ces deux cents premières pages m'ont paru encore une fois complaisantes, enchaînant les scènes de badinages pervers avant de se consacrer au gabarit de la virilité triomphante du monsieur qui s'inquiète du volume d'accueil de la demoiselle.

Que les histoires racontées soient affligeantes ne remet pas en cause la qualité d'un roman. Cela met à l'épreuve le talent de l'auteur. Et je n'ai pas été sensible à celui de Jim Fergus, ce qui m'amène au deuxième point de déception : les six cents pages couvrent le XXème siècle et s'aventurent sur trois continents que le lecteur ne découvrira pas. Ce contexte historique et géographique n'est absolument pas exploité. Tout est types et stéréotypes dans ce roman, clichés et poncifs descriptifs, les personnages définis par leur choix et partenaires sexuels, ce qui me paraît limite et limité. Le tableau de la vieille noblesse européenne et de la grande bourgeoisie industrielle américaine l'une comme l'autre aussi décadente qu'hypocrite et cancanière est certainement très réaliste mais les scènes sont aussi attendues que les quelques lignes d'atmosphères descriptives que le récit en devient caricatural et inintéressant. Un voyage sans souffle ni perspective.

- " Ecuyère chevronnée, Renée montait à cheval depuis presque aussi longtemps qu'elle savait marcher. Ils galopaient de conserve, côte à côte, et, traversant la prairie avec son oncle, elle avait le sentiment de l'accompagner dans un monde distinct - deux passagers sur une mer calme, dans un vaisseau au balancement sensuel, si semblable au rythme de l'amour. Comme pénétrés d'un univers qu'ils étaient seuls à partager, ils se tournèrent l'un vers l'autre et tout était dit dans ce regard. Jusqu'à la fin de sa longue existence, Renée garderait en mémoire un vif souvenir de cette journée d'automne de ses treize ans.

Bien des années plus tard, devenue vieille, le corps et l'esprit fanés, détachée des soucis de la vie quotidienne, elle se rappellerait parfaitement cette matinée, que ses sens lui restituaient intacte. Elle revoyait les prés parsemés d'ocre et l'été finissant, elle éprouvait la tiédeur de la brise sur ses joues, les muscles de son cheval ondulaient entre ses cuisses, elle reconnaissait même l'eau de Cologne dont s'était servi Gabriel après sa toilette. Son parfum léger virevoltait dans l'air avec l'odeur de l'herbe, des bêtes, de la terre qu'ils retournaient. Relevant sa tête ridée et presque chauve, Renée retrouvait au fond d'elle ses yeux de jeune fille et le visage de son oncle, si droit, si élégant - la blondeur luisante de ses cheveux dans la lumière oblique de l'automne, sa barbiche et sa moustache bien taillées, sa peau bronzée au soleil d'Egypte. Leurs regards se croisaient, l'étincelle jaillissait encore dans ses reins, le même frisson lui parcourait le corps.

Passant du galop au trot, puis au pas, ils entrèrent dans la forêt. Le soleil ruisselait entre les arbres, mouillant un mince tapis de feuilles mortes qui, bientôt desséchées, bruissaient à peine sous les sabots des chevaux. "

- " Entre épuisement et émerveillement, ils clignaient des yeux sur le quai, devant ce curieux monde de couleurs, d'arômes et de sons nouveaux. Des hommes, des femmes et des enfants, portant djellabas, voiles et turbans, se pressaient autour d'eux en jacassant dans les langues indigènes. Des oiseaux, des singes et d'autres animaux criaient, braillaient dans leur cage, le bétail meuglait dans les enclos, sans oublier le braiment des ânes. Calèches, carrioles et chariots brinquebalaient, leurs roues crissant dans différentes tonalités. Plus que tout, un riche bouquet de senteurs flottant dans la nuit chaude révélait l'exotisme de l'Egypte - la sueur humaine, les odeurs animales, la mer et le désert, l'encens et les parfums, l'âcre fumée des feux de bois, les mystérieux aliments cuisant à l'air, et mille épices embaumaient l'atmosphère, comme une fine couche de poussière au-dessus de la ville. "

- Le billet de Keisha qui présente plus objectivement ce roman et renvoie vers d'autres lectrices -

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