Avant Fukushima, c’est tout juste si j’osais affirmer mon opposition à l’énergie nucléaire, surtout comme source d’énergie quasi-unique, choix politique d’un Etat hyper-centralisé. Il est clair que les événements japonais récents apportent, sinon de l’eau à mon moulin, du moins quelques arguments supplémentaires contre « le moyen le plus dangereux de faire bouillir de l’eau » (Bernard LAPONCHE, interview publiée par Télérama il y a un mois).
En feuilletant virtuellement un numéro de la Revue d’Histoire de 2007, je tombe sur un article expliquant le rôle des scientifiques, en particulier des physiciens, dans la contestation envers cette source d’énergie.
Pour faire court, cette opposition s’est manifesté dès la mise en place du programme nucléaire civil français, en gros sous la présidence de Georges POMPIDOU, celui-là même qui voulait moderniser la France en adaptant la ville à la voiture ! La fée écologie ne l’avait pas touché de sa baguette, mais, en ces fins de Trente Glorieuses (que l’on imaginait alors éternelles), seul le progrès semblait gage de bonheur à la plupart des citoyens. Je me souviens d’ailleurs que, quelques années plus tard, une pub ventait une boisson au goût d’orange à base d’une poudre qu’il fallait diluer dans de l’eau : le naturel, le bio, n’étaient pas encore dans les esprits ; pour être heureux, il fallait être moderne (voir la pub pour Tang, 1978). Mais je m’égare.
Revenons à notre opposition au nucléaire dans les seventies. Les premiers articles anti-nuclaires sont parus dans Charlie-Hebdo (et son ancêtre Hara-Kiri Hebdo), premier journal publiant régulièrement des articles écologistes. Les premières manifestations contre les centrales ont eu lieu à Bugey et Fessenheim en 1971, oui, Fessenheim, devant cette même vieille centrale qui vient d’obtenir le droit de tourner pendant encore dix ans. Très tôt, les scientifiques et les journalistes mettent le doigt là où ça fait mal : la question des déchets. C’est ainsi que le grand public apprend qu’il y a des fissures dans des futs contenant de la matière radioactive stockés à Saclay, sans pour autant que cela amène les Français à contester le choix énergétique fait par le pays (les deux-tiers des Français trouvent cette énergie for-mi-dable au début des années 70). Finalement, ce sont surtout les riverains des centrales qui s’inquiètent et qui le font savoir : les premières vraies manifs ont lieu en Alsace, à la fois à cause de la présence de Fessenheim, mais aussi grâce à la proximité de l’Allemagne, qui a plusieurs longueurs d’avance en matière de protection de l’environnement.
Le choc pétrolier de 1973 donne au gouvernement une sorte de légitimité pour sa course en avant vers le tout nucléaire : le dernier premier ministre de POMPIDOU, Pierre MESSMER, projette la construction de 170 centrales d’ici l’an 2000, et ce sans le moindre débat parlementaire. Certes, les 170 centrales ne se feront pas, non pas par crainte d’un accident, mais tout simplement parce-qu’il n’y en a pas besoin. Une trentaine de physiciens s’opposent à ce programme, mais qui écoute vraiment les scientifiques ? Ils sont rejoints par d’autres scientifiques, forment le Groupe des 400, signent une pétition, mais cela n’aboutit à rien, le peuple suit comme un seul homme, à quelques exceptions près. Paradoxalement, c’est dans la presse étrangère que l’opposition des scientifiques français rencontre le plus d’écho, notamment dans le Times dès 1975.
Le Groupe des 400 s’oppose non seulement au nucléaire pour lui-même, mais plus encore à tout le secret qui l’entoure en France, et n’hésite pas à parler de « propagande officielle » pour décrire la manière utilisée par les gouvernements pour faire passer la pilule. Souvenons-nous, dans un même ordre d’idée, d’une assez récente pub pour Areva, qui faisait passer le monde sous énergie nucléaire pour un monde de Bisounours (voir la pub Areva de 2004). En clair : contester le nucléaire, ce n’est pas une marotte post-Fukushima, ça s’inscrit dans une histoire qui est celle du nucléaire civil en France, et que l’on tait autant que faire se peut pour continuer à rester le pays au monde qui dépend le plus de l’uranium pour cuire ses nouilles. Tu parles d’un record !
—> Illustration : la centrale nucléaire du Blayais en juin 2011.