Poésie du samedi, 28 (nouvelle série)
Aujourd’hui est pour moi un jour particulier, puisqu’il s’agit de mon 50ème anniversaire. Même si je ne me sens pas très différent de l’homme que j’étais hier ou il y a seulement dix ans, je ressens avec une certaine intensité ce changement de décade. C’est que je compte exactement (depuis 09h 45 ce matin !) un demi-siècle de présence au monde et j’amorce donc un nouveau demi-siècle au terme duquel j’espère me maintenir en vie et bon pied, bon œil. J’ambitionne en effet de devenir centenaire. Je ne nourris certes pas d’illusions excessives, mais ca ne mange pas de pain de tenter le coup, d’autant plus qu’il s’agit tout bonnement de se laisser vivre !
Pour l’heure, j’éprouve le sentiment d’être exactement au mitan de ma vie. Il me semble être à ce point où Dante était parvenu « Nel mezzo del caminn nostra vita, mi ritrovai per una selva oscura… » (Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvai dans une forêt obscure…) On me fera remarquer que dans la Divine Comédie, ceci est l’incipit du Livre de l’Enfer et donc que mon prochain demi-siècle s’annonce parsemé d’embûches et pour tout dire, infernal… J’ai au contraire la conviction qu’on est au milieu du chemin de notre vie comme au milieu du jour, au moment où le soleil est à son zénith. Les ténèbres de la forêt obscure auront beau faire, elles ne comprendront point cette lumière là ! Et c’est donc à Midi plein que tout commence, que tout est à (re)construire, y compris et surtout soi-même !
Dès lors, plein d’une énergie nouvelle puisée dans la Lumière du soleil au plus haut de sa carrière, je pensais célébrer ce nouvel élan vital en convoquant encore une fois Paul Valéry dont quelques vers tournaient en boucle dans mon esprit quinquagénaire « Midi le juste y compose de feux / La mer, la mer, toujours recommencée… ». Mais un jour pareil, citer le Cimetière marin me sembla d’assez moyen augure… Alors, j’ai songé à un vers de Saint-John Perse, que je rumine régulièrement depuis trente ans, depuis un mémorable cours de philo : « Nous qui mourrons peut-être un jour disons l'homme immortel au foyer de l'instant. » Mon souvenir l’avait isolé comme une pépite extraite de sa gangue poétique native. Bien à tort, car cette gangue me confirme magnifiquement que mon intuition était fondée : Midi est la bonne heure et pour moi, ce jour sonne comme un grand Midi à ma mesure…
Et puisque ce poème est chez Saint-John Perse une dédicace, je le dédie fraternellement à tous ceux qui ont eu, qui ont ou qui auront 50 ans !
Dédicace
Midi, ses fauves, ses famines, et l'An de mer à son plus haut sur la table des Eaux...
- Quelles filles noires et sanglantes vont sur les sables violents longeant l'effacement des choses ?
Midi, son peuple, ses lois fortes... L'oiseau plus vaste sur son erre voit l'homme libre de son ombre, à la limite de son bien.
Mais notre front n'est point sans or. Et victorieuses encore de la nuit sont nos montures écarlates.
Ainsi les Cavaliers en armes, à bout de Continents, font au bord des falaises le tour des péninsules.
- Midi, ses forges, son grand ordre... Les promontoires ailés s'ouvrent au loin leur voie d'écume bleuissante.
Les temples brillent de tout leur sel. Les dieux s'éveillent dans le quartz.
Et l'homme de vigie, là-haut, parmi ses ocres, ses craies fauves, sonne midi le rouge dans sa corne de fer.
Midi, sa foudre, ses présages ; Midi, ses fauves au forum, et son cri de pygargue sur les rades désertes !...
- Nous qui mourrons peut-être un jour disons l'homme immortel au foyer de l'instant.
L'Usurpateur se lève sur sa chaise d'ivoire. L'amant se lave de ses nuits.
Et l'homme au masque d'or se dévêt de son or en l'honneur de la Mer.
Saint-John Perse (Pointe-à-Pitre, 1937 – Presqu’île de Giens, 1975)