En période de crise, les jeunes constituent trop souvent la variable l’ajustement. Une fois encore, la crise économique de 2008 est venue confirmer la réalité de ce constat : dans les pays de l’OCDE, le taux de chômage des jeunes est trois fois supérieur à celui des adultes. La France fait-elle vraiment moins bien que ses voisins en ce domaine ?
Ce n’était pas vraiment le sujet des Entretiens Friedland que la CCIP a organisé en partenariat avec Les Échos le 2 mai dernier, le sujet était ou plutôt EST surtout :
- Avons-nous appréhendé toutes les données du problème ?
- Existe-il des solutions non encore explorées ?
- Quelles mesures structurelles et initiatives individuelles sont à privilégier ?
Forte de son expérience en matière de formation, la CCIP, représentée ce jour-là par son vice président, Jean-Paul Vermès, a des idées fortes sur le sujet : elle se trouve en effet au cœur du système français de formation avec ses 11 écoles qui forment chaque année près de 15 000 jeunes, dont 4 300 apprentis. Sans compter les 30 000 stagiaires adultes, dont elle assure aussi la formation.
A en croire aussi les intervenants – experts, chefs d’entreprise, représentants politiques et du monde consulaire- réunis pour ces Entretiens autour de Daniel Fortin, rédacteur en chef des Échos, oui, nous avons en main les données du problème : qu’elles soient statistiques, avec les comparaisons entre pays, sociologiques ou encore culturelles.
Désormais, il serait impardonnable de laisser la situation empirer : une société incapable d’intégrer ses jeunes dans le monde du travail les condamne à l’aigreur et au désespoir, et l’exemple récent de ce qui se passe en Espagne et en Grèce doit inciter à agir avec détermination et souci de cohérence.
Postulat de départ : tous les jeunes ne sont pas logés à la même enseigne : c’est une évidence, mais la reconnaissance des populations les plus fragiles permet de cibler les stratégies à poursuivre.
Anne Sonnet, économiste à l’OCDE et Marie-Claire Carrère Gée, présidente du Conseil d’orientation pour l’emploi, ont identifié, dans les rapports menés sous l’égide de leur organisation respective, ceux qui ont les plus grandes difficultés d’insertion et pour lesquels il est urgent d’agir :
- les « laissés pour compte », ni scolarisés, ni formés, ni dans l’emploi ;
- les débutants en mal d’insertion, qui n’ont pas trouvé d’emploi permanent 2 ans après leur diplôme-ils alternent les périodes d’emploi et de non emploi, contrats précaires, CDD, intérim…
Ces jeunes cumulent de plus les désavantages : souvent issus de l’immigration, ils vivent dans des quartiers difficiles et sont victimes de discrimination, situation qui n’est pas particulière à la France mais qui justifie le développement des actions de lutte énergiques contre les discriminations.
Tout faire pour retrouver de la croissance et lutter contre un certain nombre de rigidités
Les difficultés que rencontrent les jeunes pour accéder à l’emploi « durable » ont été aggravées par 2 ans de récession mondiale, il est évident que l’emploi repose avant tout sur la croissance économique : tant que nous n’aurons pas retrouvé un taux de croissance significatif, le marché de l’emploi restera difficilement accessible aux jeunes.
En outre, la sacro-sainte culture du diplôme qui caractérise notre pays conditionne les trajectoires dès le départ, alors que dans d’autres pays de l’OCDE, les employeurs valorisent davantage l’expérience des candidats. Ainsi, au Canada, les recruteurs examinent davantage les emplois passés des postulants que leur université, ce qui incitent beaucoup d’étudiants à travailler en été. De même, en Grande-Bretagne, les entreprises n’hésitent pas à recruter des diplômés de lettres, ce qui est beaucoup plus difficile en France.
En tout état de cause, il faut, d’une part, éviter l’aggravation de la situation pour les générations à venir et d’autre part, activer de manière volontariste les mesures structurelles nécessaires compte tenu des temps longs de réaction.
Quelles voies privilégier ?
L’idéal est d’agir en amont, la prévention est en effet, toujours préférable à la réparation.
Les pouvoirs publics se mobilisent depuis 2 ans maintenant, conscients désormais que les politiques d’emploi des jeunes doivent s’inscrire dans une démarche globale. Le patronat et les syndicats se sont aussi mis autour de la table : les axes qui se dessinent devraient désormais aller dans le bon sens.
Sans tomber dans le catalogue exhaustif, on peut citer les principales mesures structurelles, évoquées dans le cadre de ces Entretiens Friedland. Il y a celles qui sont propres à l’emploi, et celles plus largement étendues à l’éducation et à l’orientation.
- Renforcer le système de formation en apprentissage et les programmes de formation professionnelle en alternance, sans oublier les jeunes peu qualifiés, à l’image de ce que la CCI de Paris a développé dans ses propres centres de formation : à la suite du discours de Bobigny le 1er mars dernier, le Président de la République a donné une forte impulsion en ce sens, qui s’est traduite dans la proposition de loi déposée par Gérard Cherpion, député des Vosges en avril 2011, dont l’un des objectifs est de porter le nombre d’alternants de 600 000 à 800 000 puis 1 million à terme, avec un quota de 4% d’alternants minimum pour les entreprises de 250 salariés et plus ;
- Développer les filières alternatives comme les Écoles de la seconde chance et les contrats aidés du secteur marchand ;
- Il faut aussi poursuivre le renforcement du lien Collège /Lycée /Entreprise : inviter à une réflexion sur la pédagogie dans le secondaire, développer à la fois la connaissance de l’entreprise chez les enseignants, et celles de l’économie et de l’entreprise chez les élèves ;
- Au niveau de l’Université, poursuivre l’imbrication croissante entre les formations dispensées et le marché du travail et surtout, l’adéquation entre celles-ci et les besoins en recrutement.
L’idéal, selon Marie-Claire Carrère Gée, serait à terme qu’aucun établissement de formation ne délivre de diplôme sans publier le taux d’insertion professionnelle après l’obtention de celui-ci.
- La création du guichet unique d’orientation sous le label « Pôle information orientation formation métiers » va aussi dans le bon sens : il permettra un système d’orientation ouvert, accessible à tous et permettant à un jeune (en particulier) de savoir clairement quels métiers correspondent à ses aptitudes et à ses envies ;
- Les mesures spécifiques destinées aux jeunes en grande difficulté : adopter des programmes d’intervention précoce et des mesures d’aide à la recherche d’emploi efficaces et spécifiques pour différents groupes de jeunes : aides au logement, aides financières sous condition d’engagements réciproques, comme celui de s’engager à travailler pour l’employeur qui a financé la période de formation …
Du côté des entreprises, il faut les encourager à embaucher des jeunes, en particulier grâce à des subventions temporaires, en ciblant notamment les jeunes peu qualifiés, ceux qui ont terminé leur apprentissage et les petites et moyennes entreprises.
Du côté des pouvoirs publics et des organisations patronales et syndicales, une question essentielle leur est posée : comment lutter contre la rigidité du marché du travail ? en optant pour l’instauration d’un contrat de travail ad hoc sur le modèle britannique ? en privilégiant, au contraire, l’universalité du contrat à durée indéterminée ?
Nombreuses sont aussi les initiatives « d’ordre privé » qui fonctionnent à destination des jeunes, comme l’ont montré certains témoignages relatés dans le cadre de ces Entretiens :
- La Manu, agence indépendante créée par Julie Coudry, s’est développée dans des universités parisiennes et de province. Son objet : améliorer la connaissance que le monde étudiant et le monde de l’entreprise ont l’un de l’autre. Soutenue par les pouvoirs publics, elle fournit un dispositif destiné à préparer l’avenir professionnel des étudiants issus de l’université : aides à la préparation du CV et de l’entretien d’embauche, rencontres RH pour s’exercer aux pratiques du recrutement et apprendre à se valoriser ;
- Autre exemple, celui de l’association MoovJee, Mouvement pour les Jeunes et les Etudiants Entrepreneurs. Dominique Restino son fondateur, en explique l’objectif : amener les jeunes à considérer la création et la reprise d’entreprise comme une véritable option de vie professionnelle pendant ou à la sortie de leur formation (du CAP au Bac+5). Or, le désir de créer ou reprendre une entreprise est désormais beaucoup plus vif auprès de la « génération Y »: un récent sondage réalisé par le MoovJee montre qu’ils sont 1 sur 2 à souhaiter se lancer dans l’expérience entrepreneuriale, dont 13% à la fin de leurs études. Est l’attrait du champ des possibles ouvert par les nouvelles technologies et le développement durable ? Quoi qu’il en soit, les chiffres parlent d’eux-mêmes et pour mener à bien leurs projets, MoovJee propose en particulier un accompagnement humain par le mentorat et par un pôle d’experts métier bénévoles ;
- A citer encore, les cellules jeunes / quartiers/ entreprises, la première a tout récemment été mise en place à Nanterre pour les jeunes, diplômés ou non, en situation de décrochage, où ils trouveront une panoplie d’aides (tuteurs, offres de microcrédit financées par la CDC, stages de formation proposés par de grandes entreprises… ).
Beaucoup reste à faire pour améliorer l’accès des jeunes au marché du travail et, comme l’ont souligné les différents intervenants, souvent le succès dépend aussi, plus simplement, d’une meilleure coordination entre les différents acteurs. L’amélioration de l’efficacité de la politique d’insertion professionnelle des jeunes doit s’effectuer aussi par une simplification de la gouvernance des différents organismes qui en ont la charge et une meilleure organisation du service public de l’emploi. C’est aussi à ce prix que les choses évolueront dans le bon sens.