Aux confins d’une impénétrable obscurité, l’onirisme serein et enivrant déployé par celle, récemment responsable d’une cassette, NEO PI-R (lire) parue sur Clan Destine Records, se projette sans effort en contre-point de la besogne, intense et charnelle, de son double antithétique, auteur il y a peu de Badlands (Zoo Music) et incarnant, dans l’acier de ses pérégrinations, le phantasme éveillé de l’exilé détroussé, sans cesse en quête d’un ailleurs qui ne lui appartiendra jamais. Tous deux déracinés – Alex est de Taïwan, Ela d’Auschwitz – on devine à quel point la fuite, le temps d’une évanescence noctambule pour l’une, d’une voie ferrée subjuguée pour l’autre, se pare d’un commun attrait, d’une fascination fondamentale, se lovant, sans acrimonie aucune, aux entournures d’une nostalgie évocatrice et créatrice, indissociable de leur musique. Si prompte à convoquer les spectres angoissants de ses entrelacs psychiques, Ela révèle ici, paradoxalement, une demi-douzaine de cartes postales, jaunies et écornées, dont la douceur et la quiétude s’affranchissent des oboles séculières. De leur beauté insomniaque, où la voix profonde et androgyne d’Ela s’exécute au rythme d’un clavier à la parcimonie jubilatoire et de quelques notes de guitares savamment samplées, Neverend et I Know occupent les deux cimes d’un continuum entamé par le mirifique instrumental Tides and Shadows, à la nudité confondante. Entre, Somewhere et In the Night, telle une réponse de l’une à l’autre, cerclent Vertigo, cinématique rêverie dénuée de chant, selon quelques aphorismes et mesures empruntées au jazz, transmuant d’un spleen anthracite à l’enchantement mélancolique. A peine effacé d’un sable brûlant l’empreinte d’un tel océan vespéral, Dirty Beaches entonne pied au plancher God Speed, étourdissante course-poursuite d’un horizon inexorable sur l’asphalte rectiligne de la grande Amérique. L’essoufflement gagne, le soleil nauséeux plombe l’espoir famélique et l’enfer se fait terrestre, épousant les contours d’un chant du cygne désabusé, rossé de réalité, avec Crosses puis Death Valley, chaotique chemin de croix instrumental. Sur Don’t Let the Devil Find You, la voix d’Alex, toujours aussi proche de celle d’un Alan Vega croquignolant, fleure l’impossible rédemption dans l’acétone de guitares revêches, tandis que le diptyque L Train / A Train laisse présager, à l’orée d’un crépuscule délétère et la poussière de rails interminables, l’éternel recommencement guettant le migrant. Double Feature ou la caresse de l’ombre virant à l’infamie criblée de feu.
Portrait, interview et mixtape d’Ela Orleans, ici.
Portrait, interview et mixtape de Dirty Beaches, ici.
Audio
01. Ela Orleans – Somewhere
02. Ela Orleans – Neverend
03. Ela Orleans – I Know
01. Dirty Beaches – Don’t Let the Devil Find You
02. Dirty Beaches – God Speed
Vidéo
Tracklist
Double Feature w/ Ela Orleans & Dirty Beaches (La Station Radar / Atelier Ciseaux / Night People, 2011)
Side A – Ela Orleans
01. Tides and Shadows
02. Neverend
03. Somewhere
04. Vertigo
05. In the Night
06. I know
Side B – Dirty Beaches
07. God Speed
08. Crosses
09. Death Valley
10. Don’t Let the Devil Find You
11. L train
12. A train