Les éditions Dupuis ont la bonne idée de rééditer ce chef d’œuvre augmenté des commentaires du journaliste spécialisé Hugues Dayez. Chaque planche originale est précédée de réflexions sur le contexte de sa création ou d’analyses plus générales sur l’univers des schtroumpfs et de leur créateur. On y apprend par exemple que, au moment où il créé ses petits lutins, Peyo, n’ayant aucun sens de la couleur, charge sa femme Nine de leur trouver le teint de peau adéquat. C’est donc cette dernière qui choisit le bleu en procédant par élimination : verts, ils se seraient noyés dans le décor de la forêt ; rouges, ils auraient été trop voyants ; jaunes, ils auraient eu l’air malade ; roses, Peyo refusa cette couleur car il voulait signifier que ses petits personnages ne font pas partie du genre humain. Restait donc le bleu qui finit par convaincre tout le monde.
Hugues Dayez nous apprend par ailleurs que Peyo s’est inspiré de beaucoup d’éléments différents pour créer son univers : le schtroumpf à lunettes a des airs de famille avec le personnage d’Agnan, le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse dans Le petit Nicolas (publié en 1960) ; Les cadeaux explosifs du schtroumpf farceur sont une référence au dessin animé de Bip Bip et le Coyotte ; les traits de caractères spécifiques à chaque schtroumpf sont à mettre en parallèle avec ceux des sept nains de Blanche Neige (le dessin animé sorti en Belgique en 1938 aura fortement marqué Peyo) ; certaines scènes du schtroumpfissime sont des hommages plus ou moins directs à Chaplin (Le Dictateur), Hergé (Le cigare des pharaons) ou encore au film Robin des bois ayant pour héros Errol Flynn.
Le journaliste insiste également sur le travail d’équipe qui a été nécessaire pour que cet album voit le jour : le scénario est dû en grande partie à Yvan Delporte, alors rédacteur en chef du magazine Spirou ; la plupart des décors ont été réalisés par Claude de Ribaupierre, un tout jeune dessinateur qui signera par la suite ses propres productions sous le pseudonyme de Derib (Yakari, Buddy Longway). François Walthéry, autre jeune dessinateur qui connaîtra le succès avec Natacha, intervient quant à lui ponctuellement, notamment pour représenter les arbres et les feuillages.
Avec le Schtroumpfissime, Peyo est au sommet de son art. Sa narration est d’une incroyable fluidité. La lisibilité est d’ailleurs la plus grande qualité graphique que l’on peut reconnaître à ce dessinateur. Même Franquin, maître parmi les maîtres, était admiratif du travail de son ami : « C’est la qualité d’un dessin de Peyo : tu mets sa planche au mur, tu recules de cinq mètres, tu vois très bien ce qui se passe. C’est un don : il sait dessiner clair ! ».
Le Schtroumpfissime est un chef d’œuvre, je pèse mes mots. Delporte et Peyo ont créé une publication pour la jeunesse incroyablement audacieuse pour l’époque. Un album drôle, impertinent, politiquement engagé, aux multiples niveaux de lecture et dont la narration frôle le génie.
Cette réédition commentée est remarquable et passionnante. Elle éclaire surtout d’un jour nouveau une œuvre majeure et intemporelle de l’âge d’or de la BD franco-belge. Indispensable !
Le schtroumpfissime, de Peyo, commenté par Hugues Dayez, Dupuis, 2011. 88 pages. 19.95 euros.
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