Douillet, secrétaire d’Etat des Français qui lui sont étrangers

Publié le 12 juillet 2011 par Labasoche


Député, l’ex-judoka boudait l’étranger. Ministre, saura-t-il convaincre qu’il n’a pas été nommé que pour séduire les expatriés ?

Dimanche 3 juillet, quatre jours après sa nomination, David Douillet atterrit à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC), pour une visite de deux jours. Au programme : l’inauguration de la nouvelle ambassade, des rencontres avec les expatriés et un entretien avec le ministre des Affaires étrangères de RDC.

La visite du secrétaire d’Etat a été organisée dans l’urgence. « Normalement, on aurait été prévenus quinze jours à l’avance », sourit un pilier de la communauté française. « On a été alertés par courriel et SMS, la veille en fin de journée, qu’il venait inaugurer l’ambassade », raconte un autre expatrié.

Drôle d’inauguration. La « nouvelle » ambassade a en fait ouvert l’an dernier. Depuis, on promettait aux Français la venue d’Alain Juppé. Ils devront se contenter d’un secrétaire d’Etat novice. Et celui-ci inaugurera une ambassade sans ambassadeur : l’ancien a pris sa retraite, le nouveau n’est pas encore arrivé.

Les Français de l’étranger, cette richesse électorale

« Les Français établis hors de France sont une richesse pour notre pays », a expliqué David Douillet dans son discours, avant de planter un baobab dans le jardin de l’ambassade. Une richesse électorale, aussi. Même s’il se défend d’être le VRP international de l’UMP, le nouveau secrétaire d’Etat devra d’abord superviser les premières élections de députés français à l’étranger, dans des circonscriptions dont l’électorat penche à droite.

A Kinshasa, le nouveau secrétaire d’Etat a d’abord testé sa capacité de séduction. Un test plutôt réussi. Dès son arrivée, David Douillet s’est ainsi entretenu avec deux élues de l’Assemblée des Français de l’étranger, Marlène Bach (membre de l’ADFE, classée à gauche) et Madeleine Katende (membre de l’UFE, classée à droite, qui n’a pas répondu à nos sollicitations).

Une élue : « Quand je l’ai vu sur le terrain, j’ai compris… »

« On vient nous courtiser à un an de l’élection », s’agace Marlène Bach. Pour cette élue de gauche, la création d’un secrétariat d’Etat aux Français de l’étranger n’est qu’une manœuvre électorale. Elle reconnaît pourtant du talent à David Douillet :

« Ça fait dix ans que je suis dans le circuit, et c’est le premier qui demande à rencontrer les élus. Il est souriant, agréable, courtois. Il aime serrer les mains. Quand je l’ai vu sur le terrain, j’ai compris pourquoi il avait été nommé… »

Deux jours plus tard, David Douillet était à Durban, en Afrique du Sud. Cette fois-ci, aucune inauguration au programme. L’ancien judoka était venu défendre la candidature d’Annecy pour les JO d’hiver de 2018. Comme s’il ne pouvait pas échapper à son univers d’origine.

C’était pourtant une des surprises du remaniement : attendu aux Sports, David Douillet a finalement atterri dans un secrétariat d’Etat créé ex nihilo, rattaché au ministère des Affaires étrangères. Au sein du gouvernement, il occupe la dernière place au rang protocolaire – mais une des premières au rang médiatique.

Un champion de l’absentéisme

David Douillet doit donc convaincre qu’il mérite sa place au Quai d’Orsay. Pour cela, il ne pourra hélas pas faire valoir sa carrière de député. Selon les registres de l’Assemblée nationale, en effet, l’international ne faisait pas vraiment partie de ses préoccupations. La vie des expatriés non plus.

Membre de la commission des Affaires culturelles et de l’Education d’octobre 2009 à décembre 2010, le député (UMP) des Yvelines aurait pu y travailler non seulement sur les dossiers sportifs, mais aussi sur son futur domaine de compétence. Il s’y est surtout illustré par son absentéisme. Selon les registres, il n’a participé qu’à un tiers des séances de la commission : il en a séché 18 sur 71, et s’est fait excuser pour 23 autres.

Le futur secrétaire d’Etat aux Français de l’étranger a notamment boudé les séances concernant… l’étranger et les Français qui y vivent :

le 28 octobre 2009, une semaine après son entrée à l’Assemblée nationale, David Douillet sèche l’examen du budget de l’« action extérieure de la France » pour l’année suivante, une séance au cours de laquelle les députés ont notamment débattu des frais de scolarité dans les lycées français et de l’avenir des centres culturels à l’étranger ;


le 20 janvier 2010, il sèche également l’audition sur « les enjeux et les évolutions de l’action culturelle extérieure » ;


il s’est fait excuser avant l’audition du 10 février 2010 sur l’avenir de l’audiovisuel extérieur (RFI, France 24) ;


le 4 mai 2010, il ne se déplace pas non plus pour auditionner le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Bernard Kouchner ;


le lendemain, la commission examine un projet de loi sur « l’action extérieure de l’Etat », David Douillet s’étant là aussi fait excuser.


le 3 novembre 2010, David Douillet assiste enfin à une séance consacrée au budget alloué à « l’action extérieure de la France » pour 2011, et il fait même une intervention… pour « sensibiliser [les membres de la commission] à l’intérêt du sport qui constitue un véritable atout pour la diplomatie culturelle et d’influence ». Le député a ensuite présenté un amendement augmentant les crédits accordés au sport, rejeté par le gouvernement.

Un expatrié : « C’est du tourisme électoral »

Devenu secrétaire d’Etat, David Douillet ne se contentera pas d’inaugurer les ambassades, assure-t-on à son cabinet. Il aura ainsi la responsabilité « avec le ministre d’Etat », Alain Juppé, du Centre de crise du Quai d’Orsay, chargé de venir en aide aux Français coincés dans des zones de conflit ou victimes de catastrophes naturelles.

David Douillet sera entouré de deux diplomates, Serge Mucetti et François Decoster, respectivement directeur et directeur adjoint de son cabinet. Et il a choisi comme chef de cabinet celui qui lui appris la politique de terrain, Gérald Darmanin. Cet élu local UMP du Nord-Pas-de-Calais a dirigé la campagne victorieuse de l’ex-judoka dans les Yvelines, en 2009.

Il faudra faire vite. David Douillet n’a que dix mois, jusqu’à la présidentielle de mai 2012, pour convaincre que sa nomination ne repose pas uniquement sur sa célébrité et la stratégie électorale de Nicolas Sarkozy. Un proche du nouveau secrétaire d’Etat s’insurge :

« Ceux qui ont critiqué sa nomination [aux côtés d'Alain Juppé] pensent qu’un sportif est un con et qu’il faut le laisser dans un domaine de con. David Douillet a été élu député, il n’a pas été nommé par le fait du prince. Il faut juger les gens par leurs actes. »

Mercredi, c’est d’ailleurs David Douillet qui représentera la France au Conseil de sécurité des Nations Unies, où sera examinée l’admission du Sud-Soudan à l’ONU. Le lendemain, il doit s’envoler avec François Fillon pour une visite de quatre jours en Afrique, qui le mènera en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Gabon.

« C’est du tourisme électoral », estime un expatrié français en RDC, invité au discours du secrétaire d’Etat à l’ambassade la semaine dernière. Pour ce bon connaisseur de la communauté française locale, David Douillet pourrait néanmoins réussir à le faire oublier :

« Quand il sera rodé, ce qui n’était pas le cas dimanche dernier, et qu’il sera meilleur orateur, il arrivera à remuer les foules. Sa présence physique en impose, il est charmeur, mais là, il s’échauffe. »