Alors que le Festival Paris Cinéma a rendu son verdict et largement consacré, sans grande surprise apparemment, La guerre est déclarée de Valérie Donzelli, déjà remarqué à Cannes, il est temps que j’y aille de mon billet sur le seul film de la compétition sur lequel j’ai posé mes yeux au cours des dix jours qu’a duré la manifestation. Hospitalité, le film japonais de la compétition, un peu en souvenir de la belle édition 2010 qui s’était amplement penchée sur le cinéma nippon.
Les jours ont passé, mais c’est en fait le lendemain de la projection de Cleopatra Wong que j’ai vu le long-métrage de Koji Fukada, au centre névralgique du Festival, le MK2 Bibliothèque. En arrivant dans le cinéma du 13ème arrondissement parisien, l’ambiance festival était palpable. Et même plus que cela. Tandis qu’une queue se formait dans le hall principal pour l’avant-première des Hommes libres, et que je croisais Mathieu Demy et Gilles Marchand, tous deux membres du jury pro, en train de discuter entre deux projections, une scène étrange, certains diraient hallucinogènes, se déroulait au niveau inférieur. Tandis que j’attendais l’ouverture de la salle d’Hospitalité, une marée humaine est sortie d’une autre salle, des dizaines de personnages s’agglutinant autour de quelqu’un qui avait plusieurs caméras et appareils photos braquées sur lui.
« Tiens, y a de la star ce soir » me suis-je dit. Sur la pointe des pieds, j’essayais de distinguer entre les têtes qui donc serrait ainsi des mains par dizaines et souriait aux caméras. Charlotte Rampling ? Gael Garcia Bernal ? Pas du tout. En fait, c’était Manuel Valls, venu lancer dans une salle du multiplexe parisien sa campagne pour les primaires du Parti Socialiste. Ah… bon. Une scène pour le moins étonnante, en plein festival de films.
Finalement je me remets tranquillement dans la queue pour attendre l’ouverture de la salle où va être projeté Hospitalité. Alors que je discute avec les rédacteurs de Made in Asie, décidément à l’affût eux aussi ces jours-ci, une tête connue est aperçue à côté de la file d’attente. Non, pas une star. Enfin, pas tout à fait. Il s’agit du jeune japonais qui s’était fait l’interprète de quelques cinéastes lors de Paris Cinéma 2010, alors que les films nippons étaient nombreux. Un interprète inoubliable tant sa fébrilité au micro était drôle et touchante. Alors comme ça, c’est lui qui va se charger de faire l’interprète ce soir encore… Une perspective qui colle tout de suite le sourire aux lèvres.
Le film lui-même ne manque pas de nous coller un sourire au visage. Hospitalité se déroule dans un quartier résidentiel de Tokyo. Nos héros, une famille recomposée tenant chez eux une petite imprimerie, voient leur vie chamboulé par l’irruption d’un étranger dans leur maison. En fait d’étranger, il s’agit d’une vieille connaissance du père, qui l’embauche et le loge, alors qu’il a déjà sous son toit une fille, une femme plus jeune que lui et une sœur divorcée.
Très vite le nouveau venu dans la maison n’a pas l’air franc du collier. S’il fait tout pour plaire à la famille en apparence, on sent bien qu’il joue un jeu. Peu à peu, tout le monde se méfie de lui et de l’étranger qu’il est. Il incarne clairement un danger sourd qui peut faire basculer le film à tout moment. C’est ce que l’on attend, ce que l’on sent poindre. A un moment, il va faire basculer le film, vers quoi c’est impossible à le deviner, mais un déclic va se produire. Pourtant les minutes s’égrènent, la jovialité s’installe en même temps que les doutes. Fukada tisse un film sur la peur de l’étranger, cette peur présente au Japon qui sous sa caméra prend un caractère franchement universel. Si la rupture de ton attendue ne survient pas tout à fait, le film s’installe dans ce constat social et sociétal que la peur de l’étranger est un mal inhérent à notre époque.
Hospitalité intrigue, pas mal, traîne, un peu, et finit, alors que l’on attend un pétage de plomb qui semble inéluctable, dans une fiesta pleine de cœur criant à l’union des peuples. C’est finalement pour le moins inattendu, à défaut d’être tout à fait enthousiasmant.
Lorsque la lumière se rallume, le réalisateur Koji Fukada, l’actrice/productrice Kiki Sugino et le fameux interprète qui nous avait laissé un souvenir mémorable l’année dernière sont présents pour répondre aux questions des spectateurs. S’en sortira-t-il mieux que l’an passé derrière le micro ? Au début on le croit, et puis rapidement, les doutes l’assaillent, les bégaiements et hésitations se font entendre, et de grands moments de solitude s’enchaînent pour lui. Un blanc est comblé par un spectateur japonais, ce qui met mal à l’aise pour le sympathique interprète. Heureusement, une vieille japonaise lui vole quelques instants la vedette en posant une question en français, puis en traduisant directement en japonais pour le réalisateur. La version japonaise de sa question semble n’en plus finir, et la membre du staff du festival qui gère le questions/réponses semble alors lui demander d’aller plus vite, ce à quoi la japonaise se tourne vers elle furieuse et criant « Mais je suis en train de lui poser une question en japonais, ne m’interrompez pas ce n’est pas poli !!! ». Rires dans la salle bien sûr.
En fin de soirée, alors que tout le monde se dirige vers la sortie, I.D. de Made in Asie me propose qu’on se fasse prendre en photo avec le Fukada et la jolie Kiki. Pour Kiki, ce n’est pas difficile, mais Fukada est justement retenu en otage par la japonaise ayant vitupéré plus tôt. En attendant, à son grand étonnement, on se fait prendre en photo avec notre interprète vedette qui nous a régalés une fois encore. Il a beau s’emmêler les pinceaux, j’espère que ce n’était pas la dernière fois qu’il faisait l’interprète pour Paris Cinéma.