Ou en clair, qui sont donc ces élus de la République qui estiment incompatible le fait d’être français et la pratique d’une religion ?
Le collectif de la "Droite populaire", un courant de l’UMP positionné très à
droite du parti majoritaire, cofondé (entre autres) par les députés Philippe Meunier, Jean-Paul Garraud et Lionnel Luca, a invité les journalistes français à une conférence de presse le mardi 12
juillet 2011 à 18h00 où il propose de « fêter dignement la fête nationale » en leur proposant un « apéritif saucisson vin rouge ».
On imagine aisément le niveau de dignité que signifie le gros rouge qui tâche (à la différence du champagne, par exemple).
Un tel carton d’invitation
(publié dans l’excellent blog de Koztoujours) a de quoi
hérisser les amoureux de la République et de la Constitution actuelle qui garantit l’égalité de tous et l’indivisibilité de la France. Car ces députés UMP un peu particuliers, dont le but est de
courir toujours derrière les thèmes nauséabonds du Front national, en
profitent pour délivrer leur vision de ce qu’est un bon Français : c’est une personne qui boit du vin rouge et qui mange du saucisson.
Qu’on ne se trompe pas : qu’il y ait du saucisson et du vin rouge dans un buffet ne me dérange pas, même s’il n’y a que cela (en
dehors de cet encouragement à l’alcoolisme social). Ce qui est choquant, c’est que ce soit indiqué sur le carton d’invitation (il y a toujours un cocktail après une conférence de presse et on n’a
jamais indiqué de menu sur les cartons) de manière provocatrice pour stigmatiser une catégorie de la population française et pour donner le signe à peine codé qu’on ne pourrait pas être un (bon)
Français et un musulman. Or, cela va à l’encontre justement du principe républicain de la laïcité (loi 1905) qui garantit la neutralité religieuse de l’État.
On peut donc aimer le saucisson, aimer le vin rouge, aimer la France, aimer son territoire, aimer son terroir, aimer son identité
française, et trouver cette invitation provocatrice complètement stupide.
Au-delà de l’esprit très simpliste de l’identité du Français moyen avec son béret et sa baguette sous le bras, ces députés UMP salissent
les valeurs républicaines que la France défend depuis plus de deux
siècles. En faisant un clin d’œil à l’initiative des groupuscules identitaires proches des milieux d’extrême droite sous vitrine de laïcité, ils considèrent en somme qu’un Français "digne" ne
peut être ni musulman, ni juif, ni végétarien, ni toute personne se refusant à boire de l’alcool (ne serait-ce que pour sa santé) ou à manger de la viande.
En cela, ils dévoient l’esprit de la Fête nationale qui, il faut le rappeler, ne fait pas référence à la prise de la Bastille mais à la
Fête de la Fédération du 14 juillet 1790, voulue par La Fayette qui avait réussi à rassembler révolutionnaires et royalistes autour de l’idée de la nation française et de son
unité : « Nous jurons de rester à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout notre pouvoir la
Constitution (…), et de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité. ».
Ici, assurément, la volonté de diviser, de cliver la nation française est affligeante, renforce l’islamophobie et contribue au délitement continu de la société.
Rappelons une fois encore que la religion est indépendante de la nationalité, que des citoyens français peuvent, ont le droit d’être des
musulmans, qu’ils peuvent être français depuis de nombreuses générations (ou pas) et être malgré tout musulmans. Que les appels à la division sont contreproductifs s’il s’agit de combattre des
fondamentalistes islamistes car ils ne font qu’exacerber ceux qui, ne voulant que pratiquer leur religion sans s’exclure de la communauté nationale mais se sentant visés, se retournent contre ce
faux identitarisme français par provocation.
Il suffit de relire ce que l’un des fondateurs de ce collectif, Thierry Mariani, qui vient d’être promu au rang de ministre lors du
dernier remaniement ministériel, disait à propos du débat sur l’islam
(devenu laïcité) dans "Le Monde" du 6 avril 2011 : « Pourquoi ce débat ? Parce que historiquement la France est une
République laïque, de tradition catholique. ».
Eh non, monsieur Mariani, la France est une République laïque. Point. Sans plus. La tradition catholique, si elle est réelle
culturellement (et je m’en réjouis), elle ne l’est pas juridiquement : toutes les religions, y compris leur négation, ont leur place au sein de la République, sans favoriser l’une plus que
l’autre, quelle qu’en soit sa nature.
Certes, je peux comprendre l’inquiétude que peuvent susciter certains musulmans pratiquants qui vont largement au-delà des commandements
de leur Dieu (d’ailleurs, qui pourrait penser sérieusement un seul instant qu’un Dieu si puissant serait assez tatillon pour aller jusqu’à regarder le fond des gamelles de ses fidèles ?!) et
qu’en faisant eux-mêmes dans la provocation, ils donnent une image fausse des musulmans en général.
Le plus grave, c’est que ce collectif de la "Droite populaire", en célébrant ainsi son premier anniversaire, monopolise le débat politique
par ses préoccupations faussement identitaires et faussement sécuritaires. Jean-François Copé a finalement accepté un débat au sein de l’UMP sur la binationalité après celui sur l’immigration, sur l’islam (retoqué en laïcité), ou encore sur
la burqa ou l’identité nationale.
Les arrière-pensées sont claires : essayer de coller au mieux aux thèmes de Marine Le Pen avec cependant un double souci ; d’une part, les électeurs
attirés par ces thèmes n’ont aucun intérêt à ne pas rester au FN (il vaut mieux l’original à la copie) ; d‘autre part, par ce prosélytisme, d’autres électeurs peuvent être influencés par ces
thèmes et voter… pour le FN qui défend ces idées de toute façon plus bruyamment.
Le Président de la République Nicolas Sarkozy aurait intérêt à faire le ménage rapidement dans son parti s’il ne veut pas être pollué par ces sujets qui, électoralement, ne lui rapporteront rien.
Cette "droite populaire" qui n’a rien de populaire risque effectivement de faire fuir les électeurs modérés qui auraient pu encore voter pour la majorité présidentielle.
À moins que ce ne soit, justement, le but de ceux qui, misant sur un échec en 2012, envisagent déjà sereinement la reconstruction de la
droite parlementaire dans l’optique de 2017. Notons que Jacques Chirac a
dû attendre quatorze ans avant que cette stratégie ne fonctionnât dans son intérêt.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 juillet
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les valeurs républicaines et le discours de Grenoble.
Islamophobie d’État en France ?
Les membres du collectif de la "Droite populaire".
Le très pertinent article de Koztoujours sur le sujet.
(Illustrations : 1° "Superdupont" dessiné par Gotlib ; 2° Carton d’invitation de la "Droite populaire" pour la
conférence de presse du 12 juillet 2011 ; 3° Dessin paru dans "Var Matin" le 16 juillet 2010).
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/apero-saucisson-pinard-a-la-veille-97374