Si l’expression n’en était galvaudée, je dirais que Rouge est un théâtre de l’absurde. De l’obsession, de la monomanie, de l’impuissance, sur fond d’un tomb(er)eau d’objets aussi quotidiens et plus ou moins utiles, que tout à fait incongrus lorsqu’ils se trouvent unis sous la même livrée. Seule sur le plateau, Julie Andrée T. creuse jusqu’à l’os le sillon du néant. Le corps s’amuse, se malmène, se caricature dans le burlesque et l’autodérision.
Une heure durant, elle ne répétera qu’une seule et même leçon : “what color is this ? It’s red”. D’abord sur le ton professoral des trissotins du marketing, avant qu’elle ne le téléphone et ne le beugle. Un rien ronde, un je ne sais quoi de boudeur et de renfrogné dans la mine, d’implicite dégoût, elle vient faire vanité ; la présence d’un squelette en plastique le signale à ceux qui ne l’auraient pas compris.
Rouge comme le désir et le sang, bien sûr : Rouge porte sur Eros et Thanatos un regard lourdement appuyé. Rouge, une liqueur ambiguë s’écoule, gicle, dégouline. On pouvait craindre qu’à l’instar de Jan Fabre et de son Histoire des larmes, Julie Andrée T. ramasse laborieusement tout ce que le sujet pouvait lui inspirer. Mais elle compose un tout parfaitement cohérent, qui, contrairement à une critique fielleuse du Figaro, ne manque pas de subtilité. Vide, blanc, virginal, le plateau s’achemine inexorablement vers le trop-plein rouge maculé. Rouge la culotte à froufrous, mais les cuissardes resteront blanches et le corps se scarifiera de noir et de bleu - après le rituel performatif post-moderne, le rituel archaïque. Julie Andrée T. retient une part de son mystère.
Au total, une performance classique sur un thème rebattu, aux débordements sagement mesurés, mais une lisibilité appréciable et une présence scénique incontestable.
♥♥♥♥♥♥ Rouge, de Julie Andrée T., a été donné au théâtre de la Bastille du 5 au 10 mai 2011