LES SABOTS
Omont cherchait une servante honnête.
Malandais, paysan sec et bête
Se dit : « Ça s’rait p’t être bon,
C’te place chez maître Omont.
Il est veuf, et il a d’quoi.
J’y envoie not’ fille Olivia. »
Olivia était une gaillarde
Pas froussarde
Aux cheveux roux
Et aux grosses joues.
-« T’entends, grande bête,
T’iras chez Césaire Omont, l’ mait’
T’proposer comme servante
Et sans faire l’extravagante,
Tu f’ras,
Tout c’qu’il t’ commandera. »
Olivia restait le regard benêt.
La mère lui fit mettre son bonnet
Et elles partirent trouver Omont.
Il avait cinquante ans environ.
Gros, jovial, bourru,
Comme un homme cossu,
Césaire criait, buvait du cidre, du vin
Et passait pour un chaud lapin.
Il les reçut devant son café-calva.
Se renversant, il demanda :
-« Vous voulez quoi ? »
-« C’est not’ fille Olivia…
Qu’elle f’rait ben votre domestique.»
Maître Omont considéra la bique.
-« Quel âge qu’elle a ? »
-« Vingt et un an. »
-« All’ aura quinze francs
Par mois. J’ l’attends demain
Pour faire ma soupe du matin. »
Le lendemain, comme Olivia
Nettoyait la cuisine, Omont la héla.
Elle accourut. –« Me v’la. »
-« Qu’il n’y ait pas d’malentendu.
T’es ma servante. Rin de pu.
T’entends, soubrette ? »
-« Oui, not’ maît’. »
-« Nos sabots, nous les mêlerons
Point. T’as le chaudron.
Chacun sa place. J’ai l’salon. »
-« Oui, not’ maître. »
-«Va à ton ouvrage, soubrette ! »
A midi, Olivia alla prévenir son patron.
Et servit un fricot qui sentait bon.
Maître Omont entra, s’assit,
Regarda autour de lui.
Et cria comme s’il allait la massacrer.
Olivia arriva, effarée.
-« Ta place, où s’ qu’elle est ? »
-« Mais, not’ maitre… »
Il hurlait : « J’aime pas être
Seul à manger, tu vas t’ mett’ là
Ou tu fous le camp si tu veux pas.
Va chercher t’ nassiette et ton verre. »
Epouvantée, elle apporta son couvert
Et s’assit
Face à lui.
De temps en temps,
Elle allait chercher pourtant
Du pain, du cidre ou un verre au buffet.
Elle n’apporta qu’une tasse de café.
La colère reprit Omont, il grogna :
-« Eh bien, et pour toi, Olivia ? »
-« J’ n’en prends point. »
-« Pourquoi qu’ t’en prends point ? »
-« Parce que je l’aime point. »
Alors, de nouveau, Omont éclata :
-«J’prends pas seul mon café, Olivia.
Si tu n’veux pas en boire avec mé,
Tu vas foutre le camp, nom de dié ! »
Elle alla chercher une tasse,
Se rassit, prit une goulée,
Fit la grimace
Et dut tout avaler.
On but le premier verre de rincette,
Le second du pousse-rincette,
Et le troisième du coup de pied-au-cul.
Alors, Césaire Omont détendu,
La congédia.
-« Va faire la vaisselle, Olivia »
Après diner, elle dut jouer une partie
De dominos. Puis Omont l’envoya au lit.
A peine était-elle sous les draps,
Qu’ Césaire vociféra.
Elle répondit : « Me v’là…»
-« Veux-tu v’nir, nom de Dieu !
J’aime pas coucher seul, nom de d’là !
Si tu veux pas, fous le camp, vain dieu ! »
Il la prit par le bras,
La poussa
Dans sa chambre et cria
-« Plus vite que ça ! »
Six mois passèrent.
Un dimanche, son père
Lui dit : -«T’es grosse ? » E’ regarda
Son ventre et concéda :
-« Mais non, je n’ crois point. »
-« Quéques soirs vous n’avez point
Mêlés vos sabots tous deux ? »
-« Oui, il s’ disait amoureux. »
Malandais alla chez Césaire
Pour causer de l’affaire.
Au prône du dimanche suivant,
Le vieux curé publiait les bans
D’Omont avec sa servante,
Toute pimpante !