la morte, d'après Maupassant

Publié le 10 juillet 2011 par Dubruel

LA MORTE

Je l’aimais depuis un an

Et voilà qu’elle trépassa.

Un soir de pluie, rentrant

Mouillée, elle toussa.

Le lendemain, elle garda le lit.

Je lui parlais, elle réagissait.

Que nous sommes-nous dit ?

Le docteur venait, écrivait, s’éclipsait.

Elle avalait des médicaments,

Respirait faiblement

Et mourut. Le prêtre qui vint, l’appelait 

«Votre maîtresse ». Il me semblait

Qu’il l’insultait et qu’il m’offensait

Je le chassai.

Elle fut enterrée.

Elle, dans un trou, enterrée !

Quelques personnes sont venues.

Je ne me suis pas souvenu

Qui. Je me sauvai, je courus.

A travers les rues

Puis rentrai chez moi, rue Delage.

Le lendemain, je partais en voyage.

Je suis rentré hier

Dans ces murs qui l’abritèrent.

Quand j’ai repensé à notre vie,

Quand j’ai revu notre lit,

Je n’ai pu rester. Je repris mon chapeau,

Ma cape et mes gants de peau.

Je passai devant le grand miroir

Qu’elle avait fait poser pour se voir

Des pieds à la tête

Et vérifier sa toilette.

Malgré moi, je sortis sans savoir

Où. Sans le vouloir,

J’allais tout droit au cimetière.

Je trouvais sa tombe de pierre

Et j’ai lu, gravés, ces mots incongrus :

« Elle aima, fut aimée et mourut. »

Elle était dessous. Quelle horreur !

Je restai là des heures.

Puis j’eus un désir d’amant :

Passer auprès d’elle toute la nuit durant.

Je pensais : « ce bourg est bien petit,

Comparé à l’autre où l’on vit !

Les morts sont pourtant

Bien plus nombreux que les vivants ! »

Certaines inscriptions,

Révélaient d’extravagants noms.

Sur une tombe où je restais assis,

Je fus surpris par autre chose aussi :

La dalle s’agitait.

D’un bond sur le côté, je me jetai.

Le mort, de son dos courbé,

Soulevait la pierre qui, retombée,

Me permit de lire sur la croix :

« Ici repose Jacques Olibrois,

Décédé à 61 ans. Il aimait les siens,

Fut honnête et bon citoyen,

Et mourut dans la paix céleste. »

Ramassant un silex, le squelette

Corrigea sur sa croix de bois :

« Ici repose Jacques Olibrois

Par ses duretés,

Il hâta la mort de son père

Dont il devait hériter,

Tourmenta sa vieille mère,

Tortura sa femme, ses enfants,

Vola plus de cent mille francs,

Et mourut sans ordinant. »

En me retournant,

Je vis toutes les tombes ouvertes.

En sortaient les squelettes.

Ils effaçaient les mensonges sculptés

Et rétablissaient la vérité.

Tous furent hypocrites, menteurs,

Malhonnêtes, calomniateurs.

Elle aussi sur son tombeau

Avait dû tracer la vérité.

J’allai le retrouver sitôt.

Elle avait en effet noté :

« Etant sortie une fois

Pour tromper son amant,

Sous la pluie, elle prit froid

Et expira nuitamment. »

Il parait que je fus ramassé

Inanimé, terrassé,

Dans cet ignoble cimetière,

Couché sur sa funéraire pierre.