Cahin-caha. C'est comme ça qu'il entre sur scène, le Saxophone Colossus. En éléphant chargeant le caméraman. C'est ainsi qu'il répond à l'ovation debout. Oui, un éléphant en déambulatoire. Que la démarche est pénible, chez Sonny Rollins. Il est à moitié couché sur son saxophone : mais comment va-t-il faire ? La question est presque aussi ridicule que celui qui se la pose : il fait, et c'est extravagant.
Maintenant que Michael Jackson et Amy Winehouse sont morts, on peut penser que Sonny Rollins est le plus grand musicien vivant, d'autant que les étoiles montantes Coldplay et Justin Bieber n'ont pas encore eu le loisir d'exprimer tout leur potentiel. C'est une marotte, mais Sonny convoqua ce soir - il jouait à Vienne, en effet - les grands dieux du be-bop, mais... hé ! gamin ! tu en es. Le respect des Grands Anciens, la volonté de les épater : tout est là. C'est toujours la même histoire. Sonny, tu n'es peut-être pas Monk, l'Oiseau vole peut-être bien haut, mais tu es le Colosse. Quelle hauteur !
Je ne saurais dire, de Yusef Lateef, d'Ahmad Jamal, et désormais de Sonny Rollins, lequel des trois je préfère, et ça n'a de toute façon pas de sens. Je ne sais pas si le premier Poinciana entendu de l'un est au-dessus du Don't stop the carnival de ce soir, par exemple. Je ne sais pas, je m'en fous, c'est de l'Infini. Inutile d'en parler, je ne chercherai qu'à le ré-entendre. Les premières notes en résonnent, pour clore somptueusement ce magnifique concert en deux parties (cette "page d'histoire"). Le rythme n'est plus celui rencontré quelques années, quelques décennies auparavant, octogénaire oblige ; mais, alors, quelle facétie ! Quelle chance d'avoir pu entendre ça !... Et tout le public qui continue de siffler en descendant les rues de Vienne...