Exposition « Courbet – Clésinger, œuvres croisées »

Publié le 12 juillet 2011 par Savatier

Pour une première exposition temporaire, le nouveau musée Gustave Courbet d’Ornans réussit un coup de maître en présentant en parallèle des œuvres du fondateur du réalisme (1819-1877) et de Jean-Baptiste «Auguste» Clésinger (1814-1883). Une telle mise en regard, intitulée « Courbet – Clésinger, œuvres croisées », (du 2 juillet au 31 octobre 2011) offrait un risque évident : le premier, mondialement célèbre aujourd’hui, aurait pu écraser le second, très injustement oublié. Or, il n’en est rien et c’est avec beaucoup de subtilité que se côtoient peintures et sculptures dont on prend rapidement conscience qu’elles puisent à des sources et des sensibilités communes.

Courbet et Clésinger étaient amis, tous deux franc-comtois, tous deux étranger à la formation académique, mais animés du désir de se « faire un nom », fut-ce au prix du scandale. La haute conception qu’ils avaient de leur art, leur indépendance d’esprit, leurs choix artistiques, leurs talents respectifs allaient leur en fournir l’occasion à travers des polémiques majeures qui leur permirent, comme le souligne Frédérique Thomas-Morin, conservatrice du musée et spécialiste des deux artistes, de « bousculer l’esthétique dominante ».

Car il faut reconnaître que Clésinger et Courbet posèrent chacun un jalon capital dans l’évolution de l’art du XIXe siècle en direction de la modernité. Modernité conceptuelle, sans doute, mais aussi modernité quant aux thèmes traités qui firent, un à un, sauter les verrous de disciplines jusqu’à lors strictement encadrées, tant par les règles académiques que par les pesanteurs sclérosantes de la morale bourgeoise.

La représentation de la femme en offre un exemple saisissant. Les nus de Courbet se distinguaient par un réalisme dénué de toute concession à l’idéal classique ; ils s’articulaient en outre, pour certains d’entre eux, autour de la thématique saphique (un tabou à l’époque) et aboutirent à une synthèse, le blason de l’éternel féminin qu’est L’Origine du monde, toile subversive entre toutes, puisque représentant en plan rapproché un sexe féminin dont les conventions avaient interdit jusqu’à la simple esquisse. De son côté, Clésinger, avec La Femme piquée par un serpent, qui produisit un vaste scandale au Salon de 1847, avait poussé l’audace jusqu’à sculpter, sans alibi mythologique ni historique, une femme nue saisie en plein orgasme et dont le corps, moulé sur nature, répondait, là encore, à certains des critères du réalisme. Or, ces œuvres ne manqueront pas d’exercer une influence sur la conception moderne du nu féminin au XXe siècle.

Si L’Origine du monde n’est pas exposé à Ornans La Bacchante (vers 1844-1849) de Courbet l’est. On la comparera facilement à La Femme piquée par un serpent, dans sa version de marbre de 1847 autour de laquelle les visiteurs se regroupent habituellement au musée d’Orsay, mais aussi dans une version plus tardive en terre cuite (1874), deux variantes plus petites de plâtre et un bronze de dimension équivalente. Il s’agit là du plus bel ensemble jamais réuni sur ce thème cher au sculpteur, puisque ne manquent que le grand plâtre du musée Calvet d’Avignon (1874) et La Bacchante (1848) de marbre du Petit Palais.

Au gré des salles, chacun pourra comparer les autoportraits des deux artistes, les portraits de leurs pères respectifs, un choix de tableaux et de sculptures trahissant d’étranges similitudes (Courbet, Portrait de jeune femme, 1867  et Clésinger, La Dame aux roses, même année), voire reprenant le même modèle (Marcello, duchesse de Castiglione Colonna). On confrontera encore des paysages (franc-comtois pour le peintre, romains pour Clésinger qui peignait également). En 52 œuvres et documents provenant de grands musées français et étrangers ainsi que de collections privées, l’exposition montre combien une admiration réciproque peut aboutir à une réelle communauté d’esprit. Le parcours s’intéresse encore à la bohème parisienne que fréquentaient les deux amis, notamment autour d’une figure emblématique, Madame Sabatier – La Présidente, amie de Théophile Gautier, de Flaubert et muse de Baudelaire – qui servit de modèle à la Femme piquée et dont on verra ici le beau buste de marbre qui accompagnait cette sculpture majeure au Salon de 1847.

Et, devant cette confrontation des deux artistes, le visiteur s’interroge : pourquoi Courbet s’est-il, au fil des ans, imposé comme une gloire de la peinture alors que Clésinger, pourtant le sculpteur le plus brillant de son époque, a, peu à peu, sombré dans l’oubli, au point que cette exposition est la première à lui être consacré ? Une réponse facile vient à l’esprit : Courbet resta, jusqu’à sa mort, un créateur subversif, opposant à tous les régimes qu’il traversa, tandis que le sculpteur devint tour à tour Républicain en 1848, proche de Napoléon III sous le Second-Empire, puis des gouvernements successifs de la IIIe République. Or, un artiste, à trop se rapprocher du pouvoir finit forcément par accepter des concessions à l’esthétique ou à la morale du temps qui nuisent au talent et aux créations les plus novatrices.

Ce serait toutefois négliger le caractère frondeur du fougueux sculpteur (qui fut le gendre de George Sand) ainsi qu’un paramètre capital de son métier qui l'obligeait à courtiser les puissants : si, au XIXe siècle, le peintre professionnel parvenait, peu ou prou, à vivre de sa peinture, le sculpteur, lui, ne pouvait subsister sans commandes de l’Etat, compte tenu du coût élevé des matériaux qu’il travaillait et des praticiens qu’il devait employer. « Il ne faut jamais oublier qu’un sculpteur sans commande n’existe pas. », souligne fort justement Anne Pingeot en page 15 du catalogue.

Celui-ci, richement illustré, accompagne l’exposition à travers de remarquables communications (je me garderai bien d’inclure dans ce jugement global celle que j’ai eu le plaisir d’y présenter sur Madame Sabatier), notamment de Frédérique Thomas-Morin, Anne Pingeot, Yves Sarfati, Edouard Papet et Thomas Schlesser. Un document indispensable pour la connaissance de Courbet, mais surtout de Clésinger qui n’a guère, jusqu’à présent, suscité de littérature scientifique.

Illustrations : Affiche ce l'exposition - Gustave Courbet, Portrait de jeune femme, 1867, huile sur toile, Tokyo, Musée national d'Art occidental, collection Matsukata - Jean-Baptiste Clésinger, La Dame aux roses, vers 1867, buste en bronze, Musée d'Orsay - Salle d'exposition, Musée d'Ornans (© Varlet, musée Gustave Courbet) : Au premier plan, Jean-Baptiste Clésinger, La Femme piquée par un serpent, Musée d'Orsay, au second plan, à gauche, Gustave Courbet, La Bacchante, vers 1844-19, Remagen, Musée Arp, collection Rau pour l'UNICEF, à droite, Gustave Courbet, Nu couché, 1866, huile sur toile, © collection Mesdag, La Haye - Jean-Baptiste Clésinger, Apollonie Sabatier, 1847, marbre, Musée d'Orsay, © RMN - Gustave Courbet, La Dame aux bijoux, 1867, Huile sur toile, Caen, Musée des Beaux-Arts, © Musée des Beaux-Arts de Caen/Martine Seyve.