par Thibault Leroy
« Gauche radicale », « Gauche de transformation sociale », « extrême-gauche »... s’il est difficile à nommer, il existe un espace politique à la gauche du PS. On y retrouve les formations politiques comme le PCF, le Parti de gauche, le Nouveau parti anticapitaliste et Lutte ouvrière.
Mais il agrège également des membres du PS, autour de personnalités comme Benoît Hamon ou Henri Emmanuelli, et la gauche des Verts, avec Gilles Lemaire, Stéphane Lhomme, ou la motion Envie du dernier congrès d’EELV. «Ce sont les gens qui n’en peuvent plus du capitalisme et veulent changer de système», résume Patrick Braouezec, député de Seine-Saint-Denis et membre de la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE).
Cet espace politique s’est regroupé une fois, en 2005 : c’était le Non de gauche au Traité constitutionnel européen, auquel s’était joint à l’époque un certain Jean-Luc Mélenchon, alors membre du PS. «En 2005 on avait un trésor dans la main, nous étions rassemblés et majoritaires à gauche, analyse Roger Martelli, historien du communisme et démissionnaire de la direction du PCF en 2008. Nous avons tout gâché en 2007 où la dynamique de l’éclatement l’a emporté.»
Olivier Besancenot, Marie-Georges Buffet et José Bové avaient tenté d’y défendre les couleurs des antilibéraux. Au premier tour, le PCF réalisait le plus mauvais score de son histoire, chutant sous de la barre des 2 %.
LE PCF FACE À LA RÉALITÉ
L’élection présidentielle de 2007 est à l’origine d’une prise de conscience au Parti communiste. Ce résultat décevant démontrait que le PCF ne pouvait conduire seul le rassemblement de la gauche radicale. Il y était déjà contesté depuis les années 1970 par d’autres mouvements, notamment trotskistes, tandis que le Parti socialiste avait pris la première place à gauche en 1978, creusant l’écart pendant les années Mitterrand.
Un tel résultat était annoncé par des personnalités du PCF, les refondateurs, qui deviennent des «dissidents» au sein du Parti en 1989. Ils appelaient à refonder le communisme tout en créant un «pôle de radicalité qui regroupe toutes les forces critiques» précise Roger Martelli. Selon une expression de Georges Séguy (secrétaire général de la CGT de 1967 à 1982), ils voulaient alors engager «la métamorphose» du PCF.
Avec 130 000 adhérents, peut-être 50 000 à jour de cotisations, le Parti communiste offre aujourd’hui un réservoir de militants qui, malgré ses faibles scores électoraux nationaux, en fait un parti incontournable dans cet espace politique.
C’est aussi un parti d’élus : avec treize députés, vingt sénateurs, il revendique 10 000 élus locaux et 500 mairies, dont 89 de plus de 9 000 habitants. Il tient les conseils généraux de l’Allier et du Val-de-Marne.
Cette implantation en fait l’une des principales forces politiques en France, mais assure également les revenus du PCF auquel les élus reversent une partie de leur traitement. Du maintien de ces bastions dépend en quelque sorte sa survie. Mais il est loin de la place qu’il occupait comme «premier parti de France», de 1945 à 1978. «Au moment où le Parti avait un vrai rapport à la société, il assurait trois fonctions, sociale, politique et utopique, explique Roger Martelli. Il représentait et organisait la classe ouvrière, tout en proposant un meilleur avenir.» Et aujourd’hui ?
STRATÉGIES
Au PCF, plusieurs stratégies s’opposent. D’une part, il y a ceux qui considèrent que le PCF doit se renforcer seul : le PCF, tout le PCF, rien que le PCF. La section communiste du 15e arrondissement de Paris, qui a présenté Emmanuel Drang Tran comme candidat au vote des communistes lors de la «primaire» du Front de Gauche, estime que ce dernier n’est qu’une «une combinaison politicienne», qui rompt avec les engagements révolutionnaires marxistes.
André Gérin, député du Rhône, fustige l’absence d’un candidat communiste en 2012. Son cas est particulier, les propos qu’il a tenus lors d’une conférence de presse sur les immigrés ont indigné ses anciens camarades. «André Gérin s’est exclu lui-même du mouvement communiste» commente Patrick Braouezec.
Pour 2012, les relations avec le PS font toujours débat. La fédération départementale PCF de l’Allier avait préféré André Chassaigne «pour être au cœur de la gauche» selon Olivier Monet, son représentant, «et non pas dans un face-à-face avec le PS». «Ce sera de notre responsabilité de travailler avant le premier tour avec les socialistes, sur ce qui diverge et converge», plaide de son côté M. Braouezec, «pour savoir s’il peut ou non y avoir une dynamique de second tour.
L’opportunité d’entrer au gouvernement veut être étudiée minutieusement, pour «peser au cas par cas». Un accord ficelé dans l’urgence pourrait décevoir les militants et sympathisants, insatisfaits des compromis conclus. De son côté, le NPA refuse tout travail avec le PS, ce qui explique en partie qu’il ne souhaite pas rejoindre le Front de gauche, plus souple sur cette position.
RASSEMBLEMENT
En annonçant Phillipe Poutou, ouvrier de l’automobile, comme candidat pour porter ses couleurs à la présidentielle, le NPA ferme de toute façon la voie à un accord avec le Front de gauche. La question avait animé les débats à son congrès, jusqu’à se conclure par la désignation du candidat le 26 juin.
D’ores et déjà, la formation héritière de la LCR subit une perte sévère : de 9 000 militants en 2009, il n’en reste que 3 000 selon les derniers votes internes exprimés. Son courant Convergences & Alternatives soutient désormais Jean-Luc Mélenchon, comme la FASE. Ces nouveaux arrivants regrettent toutefois que les deux principales forces du Front de gauche, PCF et PG, ne soient pas suffisamment ouvertes à des cultures politiques différentes des partis traditionnels.
M. Braouezec explique que «le Front de gauche élargi doit tenir compte de notre arrivée, c’est-à-dire qu’on ne nous impose pas de rentrer dans le moule». L’enjeu est aussi de s’adresser à des individus peu habitués à la politique, qui ne sont pas forcément des intellectuels ni des militants aguerris. Avec des taux d’abstention dépassant parfois les 70%, certains quartiers populaires expriment un désintérêt de la politique alors que c’est à eux, en priorité, que la gauche radicale est censée s’adresser.