Sarkozy : une justice sans le sou pour un président absent

Publié le 12 juillet 2011 par Juan
Avant de partir en vacances, les députés ont adopté deux lois emblématiques de cette fin de règne, symboliques de cette mauvaise gestion qui tente de concilier des objectifs contradictoires : au motif d'introduire des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels, Sarkozy dégrade en fait la qualité des jugements à venir, et ne prévoit rien, dans le collectif budgétaire voté la même semaine, pour compléter les moyens nécessaires.
Ne cherchez pas d'explications du côté de l'Elysée. Sarkozy se cache, Sarkozy se terre. Il nous refera le coup du « J'ai changé/J'ai compris » quelque part au mois de janvier prochain.
Pour le moment, on subit. 
Une procédure judiciaire dégradée
La loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, votée le 6 juillet dernier, avait été présentée en procédure accélérée le 13 avril dernier par le gouvernement. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 juillet. Grand moment, cette loi incarnait l'une des dernières promesses du Monarque, l'introduction des jurés populaires au sein des tribunaux correctionnels.
La participation des citoyens assesseurs aux juridictions pénales (tribunal correctionnel, chambre des appels correctionnels, tribunal de l’application des peines et chambre de l’application des peines de la cour d’appel) a été portée de 8 à 10 jours. Quel effort ! Elle a été complétée par un renforcement des critères requis pour l'exercice des fonctions de citoyen assesseur : possibilité de récusation d'un assesseur pour « des raisons objectives permettent de contester son impartialité, son honorabilité et sa probité », interdiction pour toute personne « ayant fait l'objet d'une condamnation pour crime ou délit figurant à son casier judiciaire ».
La nouvelle formation juridictionnelle comprend trois magistrats professionnels et deux citoyens assesseurs. (Article 2).
Députés et sénateurs ne sont pas revenus sur le paradoxe du projet initial : si les tribunaux correctionnels sont enrichis d'assesseurs civils, les cours d'assises (qui jugent les crimes et délits les plus graves) sont … simplifiées (Article 8) : le nombre de jurés est réduit à 3 (au lieu de 9 !) en première instance et à 9 (au lieu de 12) en appel, « pour juger les crimes punis de 15 ou 20 ans de réclusion criminelle, sous réserve que l'accusé ou le ministère public ne s'y oppose pas. » Seul progrès, les arrêts de cours d'assises devront être motivés à compter du 1er janvier 2012 (Article 7), et au plus tard dans les trois jours suivant la décision.
Une autre disposition fut moins commentée : la loi prévoit, dans son article 28, la création d'un « dossier unique de personnalité » des mineurs suspects ou condamnés, « afin de centraliser l'ensemble des éléments relatifs à la personnalité d'un mineur recueillis au cours des enquêtes dont il fait l'objet, y compris dans le ressort de juridictions différentes, ainsi que, le cas échéant, les investigations relatives à sa personnalité et à son environnement social et familial accomplies lors des procédures d'assistance éducative dont il a pu faire l'objet. ». Ce dossier sera placé sous le contrôle du procureur de la République et du juge des enfants. Seuls les parents et les avocats des dits mineurs y auront accès.
Un amendement proposé par Christian Estrosi – le nouveau « gaulliste social » - prévoit la faculté d'ordonner un stage de responsabilité parentale à l'encontre des parents ne répondant pas à une convocation judiciaire (article 36).
Un collectif budgétaire incomplet
Le 6 juillet dernier, la loi de finances rectificative pour 2011 était également adoptée. Ce type de loi est un correctif au budget initial de l'Etat. Malgré de nombreux aménagements du côté des recettes et un optimisme gouvernemental inégalé en matière de croissance économique, le déficit budgétaire est laissé inchangé à 91,6 milliards d'euros pour 2011. L'objectif médiatique de cette loi était d'instaurer « une fiscalité du patrimoine plus juste, plus simple et économiquement plus pertinente, grâce à un rééquilibrage global des modalités d'imposition des hauts patrimoines .» A minima, la loi prévoyait quelques redéploiements de moyens, centrés sur l'emploi et l'alternance.
Par malheur, aucun moyen supplémentaire n'a été voté pour le ministère de la Justice, alors que cette réforme renchérit le coût des jugements d'une dizaine de millions d'euros par an (plus 35 millions d'euros d'investissements). Pire, la seule mesure affectant la Justice est l'instauration d'une  « contribution » de 35 euros que tout justiciable devra acquitter (sauf les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle) sous peine de voir sa requête exclue de tout examen...
Côté recettes, cette loi allège l'impôt de solidarité sur la Fortune (article 1er), comme cela a été annoncé en mai dernier. Le barème est simplifié et revu dès 2011 : pour le plus grand bonheur de quelques trois cent mille ménages, le seuil d'imposition est relevé à 1.300.000 € ; jusqu'à 3.000.000 €, l'imposition est abaissée à 0,25 % sur la totalité du patrimoine net taxable, et, au-delà, à 0,50 % sur la totalité du patrimoine net taxable; pour « limiter les effets de seuils », la loi instaure un dispositif de décote et simplifie les modalités déclaratives des patrimoines imposables inférieurs à 3.000.000 €.
Pour faire bonne figure (électorale), le gouvernement a fait passer auprès des députés UMP quelques hausses d'impôts ici ou là : outre la suppression du bouclier fiscal (encore une promesse non tenue de Nicolas Sarkozy !), voici donc la liste des 6 nouvelles taxes ou hausses d'impôts que ce « collectif budgétaire » nous gratifie :
1. Relèvement de cinq points des taux applicables aux deux plus hautes tranches d'imposition pour les successions et donations en ligne directe ainsi que pour les donations entre époux ou entre pacsés (dès 2011) ;
2. Suppression des réductions de droits de donation liées à l'âge du donateur (sauf pour les donations d'entreprises après 70 ans) ;
3. Création d'une taxe sur les résidences secondaires des non-résidents (20% sur l valeur locative cadastrale);
4. Création d'une imposition des plus-values latentes lors du transfert par les contribuables de leur domicile fiscal hors de France (« Exit tax ») ;
5. Création d'un droit de timbre pour l'aide juridique fixée à 35 € (cf. article 54);
6. Augmentation de la taxation des contrats d'assurance de vie en cas de décès (de 20 à 25%).
Sarkozy silencieux
Nicolas Sarkozy n'eut aucun mot de commentaire, la semaine passée, sur ces incohérences. Dès vendredi, il était au repos. Les actualités d'Elysée.fr étaient désespérément vides.
Ce weekend, s'il avait besoin de quelques prétextes pour se montrer et afficher sa détermination à travailler jusqu'au bout, il n'avait que l'embarras du choix. Son agenda officiel, du 11 au 15 juillet, ne mentionnait aucune activité les 11 et 15. Le 12 au matin, on comprit qu'il avait pris son Air Sarko One, la veille au soir, pour aller rendre visite à quelques soldats français en Afghanistan.
Allez comprendre...
En Libye, c'est l'enlisement. Les tribus de l'Est n'iront pas jusqu'à Tripoli. En France, après avoir déclaré qu'il fallait que Kadhafi s'en aille, voici qu'on négocie discrètement depuis des semaines.
En Syrie, les ambassadeurs français et américains ont été convoqués par les autorités syriennes. En cause, leur déplacement dans la ville bientôt martyre de Hama jeudi et vendredi dernier. A l'Elysée, point de réaction. Sarkozy, qui aimait pourtant afficher sa stature internationale de Président-qui-assume, reste soigneusement en retrait. Au Monde.fr, un journaliste nous expliquait pourtant, lundi 11 juillet, que « Nicolas Sarkozy continuera à réformer et à se montrer "président jusqu'au bout" de son mandat, en se concentrant essentiellement sur la scène internationale et sur les sujets économiques et sociaux, affirme le conseiller de l'Elysée. »
On croit rêver.
C'est à Alain Juppé, voire à un quelconque porte-parole inconnu du ministère des affaires étrangères de commenter l'affaire syrienne : « La France rappelle sa préoccupation concernant le sort des habitants de la ville de Hama et sa condamnation des violences exercées en Syrie par les autorités contre les manifestants et la population civile ». Lundi, les ambassades de France et des Etats-Unis à Damas étaient la cible d'attaques. Trois agents français ont été blessés. Si la Syrie avait été l'Iran, notre Monarque aurait sans conteste interrompu ses vacances.
Sarkozy, lui, restait silencieux.
Allez comprendre.