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Le développement durable au Maroc : « L’expérience des autres n’a pas d’intérêt si elle ne rencontre pas votre propre sensibilité » – Entretien avec Dominique Bidou

Publié le 11 juillet 2011 par Massolia

- Est-ce que vous pourriez nous définir votre vision du développement durable? Appliquée aux milieux de vie et de population?

Le développement durable est une approche opérationnelle du monde de demain. Pour parodier une phrase célèbre d’André Malraux, le monde de demain sera durable, ou il ne sera pas.
L’humanité arrive au 21e siècle à une charnière de son histoire. Elle va passer par son maximum en nombre, de l’ordre de 9 milliards, elle a exploité les ressources fossiles les plus faciles d’accès, elle a acquis la puissance qui lui permet de bouleverser les grands équilibres, elle a créé de formidables inégalités source d’instabilité chronique. Elle doit donc redéfinir son destin. Beaucoup voient dans le changement une dégradation des conditions de vie et des contraintes nouvelles, il faut au contraire y voir une opportunité de repartir sur des bases assainies. Les générations du 21e siècle ont la responsabilité de redéfinir une « feuille de route » pour l’humanité, c’est un chalenge vraiment exaltant.

- Vous êtes régulièrement intervenus auprès de décideurs politiques en France? A votre avis, quels sont les principaux éléments de blocage quant à la prise en compte des considérations du développement durable ?

Les principales difficultés sont la peur du changement, l’inertie des mentalités, le poids des intérêts et des situations acquises. Beaucoup voient dans le développement durable une charge. On parle sans cesse du prix à payer pour le changement, mais jamais de celui que nous payons en retardant les changements, ou en les refusant. Il y a des risques, comme dans tout changement, mais le risque maximum est de ne rien changer, et de continuer « comme avant ». La vision « catastrophiste » du développement durable est à ce titre un véritable handicap. Elle conforte une idée négative, que l’on doit y aller « parce que l’on a pas le choix », alors que le développement durable est une aventure formidable.

- Comment adapter la démarche HQE au Maroc?

La démarche HQE est un guide pour atteindre les meilleures performances possibles. Il y a deux aspects complémentaires, un volet management (comment s’organiser pour conduire une opération ambitieuse, les questions à se poser au départ, etc.), et la définition précise de ce que l’on appelle « qualité environnementale » pour un bâtiment (environnement intérieur, pour les futurs occupants, consommations de ressources et rejets dans l’environnement tout au long de la vie du bâtiment). Ce cadre général est bien sûr à reprendre dans chaque contexte, humain et culturel, professionnel, juridique, et écologique. La formule française a été imaginée avec le climat français, la culture française, les réglementations et l’organisation des professions françaises. Il faut revenir aux sources, aux fondamentaux et à l’esprit de la HQE pour la reformuler dans le contexte du Maroc, la version utilisée en France pouvant servir d’illustration et donner des idées.

- Lors de votre dernière intervention à Rabat, vous avez insisté sur la « Théorie du Bilan ». Qu’en est-il exactement ?

Il s’agit de quitter une approche « monocritère », linéaire, où l’on ne regarde qu’un seul objectif, pour adopter une approche « système », où l’on s’intéresse aux conséquences de ses projets dans d’autres domaines que le sien, et dont on doit faire le bilan. Ce sont les « effets secondaires » bien connus en médecine, ou les dégâts collatéraux. Au lieu de les accepter comme une fatalité, la théorie du bilan nous conduit à les intégrer. Dans un premier temps, les « impacts » d’un projet ont été perçus comme négatifs, et il fallait les réduire, et compenser ceux qui restaient malgré tout. Et puis on s’est dit qu’il pouvait aussi y avoir des impacts positifs, comme des sous-produits dans l’industrie, non voulus au départ mais bien intéressants quand même. Une approche « système » permet alors de revoir le projet pour optimiser les effets secondaires, réduire les négatifs et accroître les positifs, pour le meilleur bilan d’ensemble.

- Quels enseignements devrait tirer le Maroc de l’expérience des pays précurseurs ?

L’expérience des autres n’a pas d’intérêt si elle ne rencontre pas votre propre sensibilité. L’important est de réaliser en premier une introspection. Connais-toi toi-même, un adage universel qui vaut pour les sociétés comme pour les individus. Le DD ne peut qu’être une traduction du potentiel d’une société, dans le contexte du monde moderne. Il ne s’importe pas, il est à imaginer dans chaque culture, dans chaque situation. Les principes sont bien connus, mais il y a 2500 ans, Sun Tzu nous disait déjà Chaque jour, chaque occasion, chaque circonstance demande une application particulière des mêmes principles (L’art de la guerre, article VIII). L’expérience des autres donne des idées, comme pour la HQE, elle propose des techniques, des modalités d’intervention et d’évaluation. Il y a dans ces approches des quantités d’informations bonnes à prendre, mais à intégrer ensuite et à réinterpréter en fonction des atouts spécifiques de la société marocaine.

A propos de l’auteur

Le développement durable au Maroc : « L’expérience des autres n’a pas d’intérêt si elle ne rencontre pas votre propre sensibilité » – Entretien avec Dominique Bidou
Dominique Bidou

Aujourd’hui consultant en développement durable, Ingénieur et démographe de formation, Dominique BIDOU a acquis la conviction que pour mobiliser nos concitoyens pour le développement durable, il ne faut ni leur donner de leçons, ni les culpabiliser, mais leur en donner envie.

Il fut notamment directeur au ministère de l’environnement, membre du Conseil général des Ponts et chaussées au ministère de l’Equipement, président de l’association HQE (haute qualité environnementale). Il est membre de l’académie d’architecture.

Il préside aujourd’hui le Centre d’information et de documentation sur le bruit, et est membre de conseils d’administration et de conseils scientifiques d’organismes oeuvrant pour l’environnement et le développement durable.

Il est l’auteur de nombreux articles sur le développement durable, notamment en relation avec les questions d’aménagement et de construction, et de deux ouvrages publiés aux éditions Ibis Press (2004 et 2007) « Tous gagnants, la dynamique du développement durable » et « Coup de shampoing sur le développement durable ».


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