C’est une question lancinante à laquelle sont confrontés tous les candidats aux grandes élections, et leurs directeurs de campagne : comment trouver l’argent nécessaire à la réussite de leur entreprise ? Dans ce monde cynique de l’argent-roi, où la conviction et l’humilité militantes pèsent – hélas ! – peu face à la puissance d’influence et de lavage de cerveau des médias et des oligarchies diverses et variées, c’est un crève-cœur, mais il faut l’admettre : pas de victoire sans importante levée de fonds. Le savoir, c’est bien ; le mettre en œuvre, c’est mieux. Et c’est là que les difficultés commencent. Pas pour les candidats du système, les amis des milieux d’argent, les favoris sur lesquels tout le monde parie, oh non : eux n’ont qu’à se baisser pour ramasser les subsides. Mais comment faire quand on est un outsider, un candidat qui dérange, sans amitiés parmi les puissants ?
La réponse est simple : aller chercher les petits financements de campagne, des petits dons faits par des petites gens, sympathisants, militants, tous désireux de contribuer avec leur modeste obole au succès de leur champion. Un candidat du peuple, pour le peuple, par le peuple. Vous êtes sans doute en train de vous dire : oui, bien sûr, c’est la fameuse méthode employée par Obama pour créer la surprise dans les primaires du Parti démocrate en 2008, l’ingénieuse méthode qu’il a inventée et mise en œuvre grâce à sa grande maîtrise d’Internet et des réseaux sociaux. Une fois de plus, c’est l’Amérique qui nous montre la voie ; heureusement qu’il y a quelques pionniers en France, comme Arnaud Montebourg, pour tenter d’en tirer des leçons.
Si vous pensez cela, c’est que, sans peut-être le savoir, vous êtes intoxiqué par l’américanophilie béate, et par un triste complexe d’infériorité national. Car en vérité, Obama n’a rien inventé. On savait déjà qu’il avait regardé par dessus l’épaule de Ségolène Royal pour copier sa campagne en ligne. On vient de découvrir bien plus incroyable : l’inspiration du président américain, pour son financement par petits dons, vient de la campagne révolutionnaire d’Edouard Balladur, en 1995.
Souvenez-vous. Balladur était alors lui aussi un candidat en lutte contre le système, underdog méprisé pour son goût des mocassins à gland et ses racines orientales. Il ne pouvait pas, comme ses compétiteurs soutenus par l’establishment (Chirac, Jospin), compter sur de généreux donateurs fortunés. Il a alors mis en place, avec une patience et une méticulosité de fourmi, un dispositif pour recueillir des petites quantités d’argent par la base, « lors de centaines de meetings », auprès des citoyens assistant à ces derniers, en échange parfois d’un badge ou d’un t-shirt. Contre toute attente, cette initiative de la dernière chance fonctionna, au-delà même de toute espérance. Et c’est ainsi que pas moins de 10,25 millions de francs, récoltés en liquide auprès des braves Françaises et Français qui partageaient le rêve balladurien, purent être versés sur le compte de campagne de ce dernier – hélas au lendemain de l’échec du premier tour, et sans tous les bordereaux nécessaires. Mais qu’importe, il avait ouvert la voie. Qui aurait alors pu imaginer qu’il posait les jalons de l’élection du premier président noir des Etats-Unis d’Amérique, 13 ans plus tard !
Terrible ironie de l’histoire, il se pourrait bien que l’ancien premier ministre doive pâtir aujourd’hui de l’avance qu’il avait alors sur son époque. Deux juges gauchistes, enquêtant sur l’attentat de Karachi, se sont en effet mis en tête qu’il est impossible de recueillir autant d’argent auprès des participants d’une campagne présidentielle. Comme s’il était impossible que des Français aient une idée 10 ans avant les Américains ! Refusant donc l’évidence, ils ont entrepris de bâtir des hypothèses complètement folles pour expliquer l’origine de cet argent. Après les fonds secrets de l’Elysée, c’est désormais de rétrocommissions sur des ventes d’armes que l’on parle ! Accrochez-vous : des intermédiaires auraient reversé à la campagne d’Edouard Balladur, une partie des commissions touchées pour leur travail de facilitation sur des ventes de matériel militaire au Pakistan. Et pourquoi pas de l’argent de Kadhafi pour la campagne Sarkozy de 2007, tant qu’on y est ! Non vraiment, les fonctionnaires grassement payés qui pullulent dans nos tribunaux feraient mieux de revenir sur terre. Ne serait-ce que pour éviter de se ridiculiser, quand il apparaitra au grand jour – un jour proche n’en doutons pas – que tout est légal dans le financement par petits donateurs de Balladur en 1995, et que c’est l’honneur de ces millions d’honnêtes Français, qui achetèrent alors qui un « tee-shirt », qui un « gadget » dans un meeting, qu’ils bafouent avec leurs insinuations scabreuses.
Dans cette injustice historique, on trouve quand même quelques minces lueurs d’espoir. Je lisais récemment que le responsable de la « cellule meeting » de la campagne de 1995, probablement fortement investi sur la récolte des petits dons, n’était autre qu’un certain Brice Hortefeux. Celui-là même qui serait aujourd’hui pressenti pour diriger la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012. Le parallèle est frappant : comme son mentor Edouard hier, Nicolas part seul contre tous, harcelé par les médias, la gauchosphère, et tout ce que le pays compte de conservateurs et de défenseurs de l’immobilisme. Gageons que son directeur de campagne saura déployer toute son expérience, comme en 1995, pour lui offrir des financements à la hauteur de son talent.
Romain Pigenel
Le récapitulatif des rites de la politique, disponible ici.