Monsieur le Président de la République Française, Nicolas Sarkozy,
Copie à : Monsieur le Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
C’est avec un immense regret et une profonde amertume que j’envisage ma reconversion professionnelle et vous demande pour cela une disponibilité de mon poste d’interne en Biologie Médicale.
J’ai travaillé de façon acharnée pendant 10 années d’études et réussi brillamment deux concours parmi les plus sélectifs de l’enseignement supérieur pour pouvoir exercer le métier de Biologiste Médical, une profession passionnante au centre du système de soin français, à l’interface entre le patient et mes confrères cliniciens. Cette spécialité intervient dans plus de 70% des diagnostics médicaux et participe directement à plus de 80% des prises de décisions thérapeutiques, et ce pour seulement 2% des dépenses de santé.
Quelques jours après le vote de la petite loi Fourcade, la vision éthique, praticienne et de proximité que je me faisais de mon futur métier a été balayée pour faire place à celle purement mercantile, industrialisée et centralisée de grands fonds d’investissements qui se sont introduits, avec votre soutien et en toute illégalité dans le « marché » tant convoité de la santé des français.
Nul doute que votre décision va entrainer à très court terme la disparition des laboratoires de proximité, au profit de centres de prélèvements où des infirmiers, salariés par ces mêmes groupes financiers, réaliseront la phase pré-analytique des examens de biologie médicale à laquelle ils n’ont pas été formés.
Cette phase est pourtant cruciale car elle est responsable de plus de 80% des erreurs dans le rendu des analyses médicales. De plus, comment un biologiste pourra t-il évaluer et faire évoluer la prescription d’un clinicien si il n’est pas en contact direct avec le patient ? Cette obligation d’adapter au mieux les prescriptions est pourtant voulue et opposable d’après l’Ordonnance du 13 Janvier 2010.
Privant les patients français de la qualité des examens de biologie médicale à laquelle ils avaient droit jusqu’alors, cette disparition marque aussi la mort du rôle essentiel de conseil diagnostique et thérapeutique que le médecin ou le pharmacien biologiste exerçait vis-à-vis du médecin de famille ou des confrères amenés à intervenir dans le parcours de soin coordonné. Ainsi, nos collègues cliniciens se retrouvent isolés dans les régions à faible densité médicale et obligés de prendre des décisions thérapeutiques unilatérale, ce qui est contraire à la médecine pluridisciplinaire d’aujourd’hui.
Les analyse médicales seront réalisées dans les quelques centres nationaux, immenses plateaux techniques détenus par de grands groupes d’assurances et de mutuelles, qui emploieront des biologistes médicaux coupés du contact avec le malade et le prescripteur. Ils seront en plus privés de leur indépendance professionnelle garante de l’éthique médicale et employés dans le cadre de contrats de travail précaires non salariés, avec lesquels ils ne possèdent qu’un faible pouvoir décisionnel comme c’est le cas actuellement pour plus de 95% des jeunes biologistes médicaux.
Il n’est pas utile de préciser à quel point cette concentration entrainera une aggravation des déserts médicaux et de l’inégalité d’accès aux soins sur le territoire.
Pire, la qualité des examens se dégrade chaque jour en même temps qu’apparaissent les premiers contentieux de toute l’histoire de notre spécialité entre patients et laboratoires, liés aux arbitrages réalisés par ces laboratoires « financiers » en faveur de la rentabilité avant la qualité de la santé des Français.
Précarisation, déshumanisation, industrialisation, financiarisation, déserts médicaux, insécurité sont des mots qu’aucun citoyen français n’aurait jamais souhaité voir associés à notre système de soin, « le meilleur du monde », héritage des idéaux qui ont prévalu après la deuxième guerre mondiale.
Et pourtant il y a encore plus grave, car au cours de cette même petite loi et contre l’avis même du Sénat, une des valeurs républicaines les plus essentielles, l’égalité d’accès au soin pour tous les français quelles que soit leurs conditions de ressources, a été purement bafouée :
Vous avez permis la création de réseaux de soins permettant aux organismes complémentaires de santé de rembourser différemment leurs assurés s’ils consultent ou non le laboratoire d’analyses de biologie médicale, le cabinet de radiologie ou la clinique avec lesquels elles ont passé un contrat.
Cette disposition entrainera à terme une concentration de l’activité de soin dans des réseaux privatifs mutualistes, créant ainsi une distorsion de concurrence avec les professionnels de santé de ville et vidant les territoires de proximité au profit de ces regroupements.
Sous prétexte de faire faire des économies à la sécurité sociale, cette loi met gravement en danger l’accès au soin sur le territoire, menace le libre choix des malades, et met les praticiens et les patients sous la coupe des mutuelles-assurances.
Et cela sans parler du problème de l’accès aux données médicales qui jusqu’ici était efficacement contrôlé par le secret professionnel partagé entre professionnels indépendants. Les données médicales peuvent maintenant être diffusées à des tiers sans prévenir le patient concerné. Nous arriverons ainsi à une adaptation des tarifs des mutuelles selon la pathologie et les antécédents médicaux du patient.
Mais où est l’Egalité républicaine des français dans tout ça ? Jusqu’aujourd’hui, les français étaient tous égaux devant la maladie. Comment pourrez-vous justifier à vos électeurs la devise chère à la France entière : Liberté, Egalité, Fraternité ?
Il n’est pas nécessaire de chercher longtemps à qui profite cette situation, car récupérant les cotisations de leurs assurés et les bénéfices tirés de l’exploitation des réseaux de soin, les mutuelles et assurances s’assureront une marge opérationnelle des plus enviables.
Ceci est d’autant plus scandaleux qu’une partie importante de ces dépenses de santé sera financée directement par l’assurance-maladie, et donc le contribuable.
Vous ne pouvez ignorer les dangers de ces mesures, Monsieur le Président de la République.
Quant à ma profession, une des seules spécialités médicales ne pratiquant pas de dépassement d’honoraire, elle est la première touchée par vos réformes meurtrières.
La concentration en plateaux techniques et l’industrialisation des procédures signifient à court terme la perte d’emploi et le chômage pour plus de 2/3 de mes jeunes confrères qui n’auront d’autre choix que de se reconvertir où de faire valoir l’excellence de leur formation à l’étranger, ce que nombre d’entre nous ont déjà entrepris. Les 100 000 employés travaillant dans le domaine de la biologie médicale n’auront peut être pas tous cette chance.
Après avoir participé en faisant preuve d’ouverture d’esprit, de responsabilité et d’éthique dans les débats ayant aboutit à la réforme notre spécialité,
Après avoir manifesté notre hostilité aux mesures préconisées par le gouvernement lors d’une grève et d’une manifestation nationale à Paris,
Les internes en biologie médicale vous demandent une disponibilité afin d’organiser leur réorientation professionnelle, écœurés par l’hypocrisie et les conflits d’intérêts qui règnent au plus haut niveau de l’état français, alors que vous-même Monsieur le Président avez prôné la réussite au mérite et avez fait de votre mandat celui de la lutte contre ce fléau des institutions françaises responsable entre autre du scandale du Médiator.
Nous réclamons par ailleurs la constitution d’une commission d’enquête indépendante chargée d’examiner les liens entre les représentants du pouvoir exécutif et les principaux fonds d’investissement ayant contourné le droit français pour pouvoir prendre le contrôle des laboratoires de biologie médicale en toute impunité, et par là débuter la privatisation du système de santé français.
Enfin, nous exhortons les parlementaires qui en auront le courage de s’opposer au pouvoir en place en portant l’affaire au Conseil d’Etat.
Car c’est bien de courage et de conviction que les esprits libres et éclairés vont avoir besoin pour défendre les maigres reliquats de Démocratie qui subsistent encore dans notre pays.
Vous remerciant par avance pour votre réponse, nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en l’expression de notre plus haute considération, ainsi qu’en celle de nos 100 000 collaborateurs, de nos familles, et de nos patients.
Les jeunes Biologistes Médicaux unis.
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