Magazine Culture

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Par Legraoully @LeGraoullyOff

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Comme promis, voici l’entretien que j’ai eu mercredi dernier avec madame Delavaud-Roux, cette attachante (et loquace !) personne que vous avez pu connaître grâce à un récent article qui lui est consacré. J’ai obtenu d’elle qu’elle vous présente les deux ouvrages qu’elle a publiés cette année.

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux" />" />" height="387" width="446" alt="" class="aligncenter size-full wp-image-5427" />

BLEQUIN : Pouvez-vous nous présenter vos deux ouvrages ?

MARIE-HÉLÈNE DELAVAUD-ROUX : Le premier ouvrage que j’ai sorti s’appelle Musiques et danses dans l’Antiquité ; il s’agit d’un colloque que j’ai organisé en 2006 et dont le titre était « Musiques, rythmes et danses dans l’Antiquité ». L’éditeur a raccourci le titre pour des raisons commerciales, mais je pense que le titre original est vraiment important parce que le gros problème dans les textes grecs est que, bien souvent, on n’en connait pas la musique : on connait une quarantaine de partitions musicales conservées, soit sur du papyrus soit sur d’autres supports tels que, par exemple, la colonne qui se trouvait à Trales, sur laquelle est inscrite l’épitaphe se Seikilos…. Mais on sait que tous les textes des pièces de théâtre étaient systématiquement mis en musique, et la plupart du temps, on n’en connait pas la musique. Donc, voilà : « Musiques, rythmes et danses », l’enjeu est de savoir quel rapport on peut établir entre ces trois disciplines et si on peut arriver à restituer quelque chose pour danser simplement à partir du rythme, c’est-à-dire simplement à partir des scansions du texte, en sachant bien que ce n’est pas la scansion elle-même qui permet de danser mais le rythme qu’elle génère. À ce colloque a participé un certain nombre de chercheurs, dont Annie Bélis, qui est la personne la plus qualifiée actuellement sur la musique Antique, Philippe Brunet, du théâtre Démodocos, qui est aussi la personne la plus qualifiée pour restituer tout ce qui est rythme et diction de l’Antiquité, même si sa communication n’est pas publiée dans ce colloque, et des tas d’autres chercheurs autour de divers pays, Pays-Bas, Grèce, Suisse, etc.

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

L’autre ouvrage est un colloque qui n’a pas été organisé par moi-même mais dans lequel je me suis pas mal investie : c’est le colloque qui s’appelait « Le sens du poil » qui a été organisé par Bertrand Lançon. Le poil, effectivement, est un sujet qui est porteur depuis déjà quelques années : il y a eu des ouvrages publiés sur ce thème à peu près depuis 2003, mais c’est Bertrand Lançon qui a vraiment eu l’idée de donner une approche pluridisciplinaire, même si depuis quelques années on va dans ce sens-là. Depuis, il y a eu un certain nombre d’ouvrages, notamment celui de Christian Bromberger en sociologie qui s’appelle Trichologique : une anthropologie des cheveux et du poil, qui vont dans ce sens-là, mais c’est vraiment Bertrand Lançon qui a impulsé ce mouvement de pluridisciplinarité dans l’étude de l’histoire de la chevelure et du poil. Et donc, le titre reflète bien cette pluridisciplinarité puisque c’est Anthropologie, mythologies et histoire de la chevelure et de la pilosité. Vous allez me dire, pourquoi m’être investie dans ce colloque alors que je suis une spécialiste de la danse ? Parce que j’ai tout de suite eu l’idée de faire une communication sur les cheveux des ménades : est-ce que les cheveux longs peuvent jouer un rôle, s’ils sont courts, est-ce que ça va jouer le même rôle ? Et donc, finalement, à force d’étudier et le TLG (thesaurus de la langue grecque, NDLR) et les représentations de l’iconographie, je suis parvenue à la conclusion que le cheveu est effectivement un adjuvant de la transe ménadique mais ne peut suffire tout seul à la générer : c’est sur que c’est beaucoup plus facile de danser avec des cheveux longs et de générer une transe puisqu’on perd encore plus facilement tous ses repères au niveau de la visibilité, que, quand on a beaucoup de cheveux et quand il sont longs, ça fait un poids naturel qui entraîne le corps dans les extrêmes, que ce soit dans les penchés en avant ou dans les cambrés. J’ai donc été très intéressée, effectivement, par ce projet et je me suis pas mal investie dedans, au point après de partager la co-édition avec Bertrand Lançon ; mais l’ouvrage, ce n’est pas QUE ma communication, là aussi, il y a vingt-deux chercheurs qui ont étéréunis, et même plus au départ, mais on s’est arrêté à vingt-deux textes pour la publication. Toutes les disciplines sont vraiment représentées, il y a aussi des textes plus littéraires et poétiques comme ceux de Manuel Montoya, de Jean de Palacio, et les derniers textes tiennent véritablement du roman policier avec l’étude menée par Peter Andersen sur les cheveux comme indices d’enquête sur la mort de Tyco Brahe, un astronome célèbre, qui est survenue en 1601 et dont les causes sont toujours restées inconnues : on s’est demandé d’abord si c’était un problème de reins et un problème urinaire, puisque le premier symptôme était qu’il ne pouvait pas uriner correctement et il est dit dans les textes qu’il s’était même retenu, et puis après, évidemment, est venue très vite la question de l’empoisonnement au mercure, et c’est celle qui nous occupe le plus dans cet ouvrage : est-ce qu’il aurait absorbé du mercure au cours de ses expériences d’alchimie ? Ce n’est pas impossible, mais ce n’est pas la version de Peter Andersen qui pense vraiment qu’il a été empoisonné au mercure en raison de la liaison qu’il a entretenue avec la mère du souverain du Danemark, donc la mère de Christian IV. Il aurait été empoisonné, d’après Andersen, par son propre cousin, Erik Brahe, mais il y aussi des débats à propos de l’empoisonneur, on peut discuter aussi là-dessus, et ce qui est très intéressant, c’est que l’enquête se poursuit parce que le corps de Tyco Brahe a été exhumé en novembre 2010 et qu’il y a eu une semaine pour une nouvelle autopsie : les résultats ne sont pas encore publiés et devraient l’être dans le cours de 2011. Suit immédiatement après une communication d’Ivan Ricordel qui appartient au monde de la police et donc explique ce que l’on peut tirer comme indications des cheveux pour une enquêtre policière ; sa conclusion est que le cheveu apporte moins d’indices que d’autres éléments du corps : ça reste un élément un peu délicat.

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

B : Et il est question de Tyco Brahe précisément parce que les traces de poils que l’on a pu trouver ont servi dans l’enquête ? 

M.-H. D.-R. : Oui, tout à fait, et précisément les cheveux !

B : Ils ont été conservés ?

M.-H. D.-R. : On a suffisamment d’éléments pour se permettre de faire une nouvelle autopsie du corps : il y a eu plusieurs autopsies qui ont été faites, une dans les années 90, et un autre toute récente dont on attend les résultats.

B : Concernant le premier livre, vous dites que la communication de Philippe Brunet, qui est pourtant un des plus qualifiés, n’a pas été publiée : comment choisit-on ?  

M.-H. D.-R. : En principe, on choisit de mettre l’ensemble, autant que possible, mais ce n’est pas toujours possible, pour des raisons techniques. Il faut que chaque auteur puisse livrer à temps, il faut que l’éditeur ne fasse pas d’objection sur un texte précis…bon, il faut beaucoup de choses, ce qui explique qu’il n’a pas pu être publié, de même que François Cam, qui fait un travail de composition de musique antique, mais donc de recréation, en suivant les règles de Denys d’Halicarnasse.

B : Ça n’a pas été trop frustrant pour vous ?

M.-H. D.-R. : Certainement, mais il était important de publier ce travail : on est déjà en 2011, et le colloque s’est déroulé en 2006 ! Ça faisait déjà très tard et il a fallu réactualiser pas mal d’ouvrages, je ne pouvais malheureusement pas me permettre d’attendre davantage. Donc, frustrant, oui, j’espère que, dans un proche avenir, je pourrai avoir l’occasion de les publier à nouveau.

B : Pour ce qui a été finalement publié dans cet ouvrage, quelle est pour vous, en dehors de la vôtre, la participation la plus marquante ?

M.-H. D.-R. : Certainement celle d’Annie Bélis, autour de laquelle a été centré le colloque, puisqu’elle a pu aussi donner un concert avec son orchestre, qui est vraiment essentiel puisque ses instruments sont des fac-similés d’instruments antiques, qui ont été reconstitués avec la collaboration de deux luthiers, qui s’appellent Jean-Claude Condi et Carlos Gonzalez, et tous les participants du colloque l’ont bien compris puisqu’ils ont très généreusement renoncé à ce que je finance leur propre voyage pour que je permettre à cet orchestre de venir. Donc, les subventions ont été accordées pour l’orchestre et les participants ont pris en charge leur propre voyage, mais leurs autres frais, bien entendu, ont été pris en charge à Brest.

B : Vous évoquez souvent Annie Bélis, vous vous appuyez souvent sur son propre travail pour vos recherches…

M.-H. D.-R. : Oui, parce que c’est un travail qui offre des garanties absolues du point de vue scientifique : il faut rappeler qu’Annie Bélis est non seulement helléniste mais aussi archéologue, musicologue, musicienne, elle est ancien membre de l’école française d’Athènes, elle est l’auteur, entre autres, en 1992, du quatrième tome du corpus des inscriptions de Delphes qui est consacré aux hymnes d’Apollon. Il y a pas mal de personnes, après, qui ont travaillé autour d’elles : Christophe Vendires, qui est spécialiste des instruments à corde en musique romaine, que je n’ai pas cité dans le présent colloque parce qu’il ne pouvait pas s’inscrire tout à fait dans la problématique, a fait sa thèse sous la direction d’Annie Bélis, et elle dirige actuellement des travaux sur les Anonymes de Bellermann menés par Nathalie Berland qui est aussi l’aulète de son orchestre puisque cette jeune femme joue de l’aulos (sorte de flûte grecque) traversier. Elle impulse vraiment beaucoup de démarches, y compris celle de reconstituer des instruments antiques puisque c’est très peu après qu’ont eu lieu les premiers travaux de Stelios Psaroudakis – j’en parle un petit peu – pour reconstituer des auloï, puis, plus récemment, des travaux comme ceux de Stefan Hagel, à l’université de Vienne, qui reconstitue lui aussi des instruments. Bien sûr, il y a débat entre tous ces chercheurs, leurs opinions ne sont pas les mêmes : pour Stefan Hagel, par exemple, on pouvait jouer, avec l’aulos double, avec deux tuyaux, une musique d’accompagnement puisqu’il y avait des tuyaux avec des trous permettant de jouer dans un registre aigu et des tuyaux permettant de jouer dans un registre grave, mais ce n’est pas l’opinion de tout le monde : Annie Bélis pense qu’à partir exactement de la même reconstitution d’instrument, on ne joue pas en accompagnement, mais on joue tantôt dans un registre grave tantôt dans un registre aigu, pour permettre de jouer toutes les notes de la tessiture habituelle des Grecs.  

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Annie Bélis

B : Et votre propre participation ?  

M.-H. D.-R. : Je me suis posé la question du rythme des Grenouilles (pièce d’Aristophane, NDLR) parce que j’avais envie de présenter un morceau comique et que je m’en sentais le tonus nécessaire : je n’ai pas choisi un morceau très long puisque je me suis concentrée sur les vers 209-220 des Grenouilles et j’avais au départ, bien sûr, l’expérience de l’universitaire mais aussi l’expérience de la pratique de la danse et du théâtre : j’ai reçu une formation pour être professeur de danse classique il y a fort longtemps, j’ai aussi reçu une formation de comédienne professionnelle et donc c’était une véritable jubilation de pouvoir chanter « Brekekekex coax coax » et de mettre en lumière ainsi les travaux de Cécile Corbel-Morana sur le bestiaire d’Aristophane ; elle expliquait que les grenouilles se prennent pour des cygnes, et donc c’était tellement amusant de pouvoir essayer de leur faire une jolie voix qui finit par se gâter. Et même, cette jolie voix qu’elles essaient de prendre, elles n’y arrivent pas totalement parce qu’elles sont gênées par le masque ! Il faut bien rappeler que la contrainte du chœur était de jouer et de danser avec des masques ! Quand c’est un rôle tragique, ça pose un certain nombre de problèmes, et c’est aussi pour cela que je n’ai pas choisi de chanter un rôle tragique car il aurait fallu une voix parfaite de chanteuse que je n’ai pas : j’ai simplement une voix qui a été travaillée pour le théâtre ; donc je me suis dit qu’un aspect comique conviendrait bien au personnage et, finalement, la grenouille qui veut devenir le cygne sans jamais y arriver, que ce soit dans sa voix ou dans sa gestuelle, ça serait effectivement parfait pour mon imperfection technique ! Et en même temps, ça rend bien la réalité du texte. Il faut simplement savoir que, sur les Grenouilles, il y a un débat pour savoir si elles étaient effectivement en scène ou si elles n’y étaient pas ; est-ce qu’on les voyait dans l’orchestra (cercle de terre battue où le chœur prenait place, NDLR) en train d’assaillir Dionysos qui ramait péniblement pour aller aux Enfers, ou est-ce qu’elles faisaient entendre leurs voix en coulisses ? Il y a pas mal d’arguments qui ont été donnés en faveur de la seconde hypothèse, disant que ça aurait couté trop cher de faire deux costumes, puisque ça a été joué en 406 avant notre ère et qu’on était vers la fin de la guerre du Péloponnèse, période de grosses difficultés économiques pour Athènes, que ça aurait pris trop de temps pour changer de costume, c’est vrai que la scène qui suit le chœur des grenouilles n’est pas très longue avant que le même chœur rentre dans le rôle du chœur des initiés, où ils doivent avoir des voix superbes… Mais ce que dit Cécile Corbel-Morana, c’est que si on ne met pas sur l’orchestra ces grenouilles, ça perd de la dimension comique ! Mon rôle était de montrer physiquement que c’était possible, et donc, je me suis dit « pendant que j’ai encore la possibilité d’avoir le tonus de faire ça, il faut le faire ! » Les répliques ne sont pas très longues, bien sûr que le texte est horriblement essoufflant avec le masque, mais il y a quand même des moyens d’arriver à reprendre son souffle. On peut imaginer aussi, par moment, ralentir le rythme du texte parce qu’on n’est pas obligé de chanter toujours à toute vitesse, on peut très bien imaginer d’étirer les sons : tout dépend de ce que l’on cherche à réaliser comme mouvements, si on a besoin de faire un saut, on a peut-être besoin aussi d’accélérer le mouvement pour limiter l’essoufflement, par contre, si les mouvements sont moins sautés, on peut se permettre de ralentir ! Il faut aussi savoir comment on va retomber, est-ce qu’on va retomber sur le temps en bas, ou est-ce qu’on va décider de placer le temps en haut, en sachant que, évidemment, du point de vue du rythme, ce n’est pas facile, vu que c’est un rythme essentiellement trochaïque (une longue – une brève, NDLR) et iambique (une brève – une longue, NDLR) qui peut se traduire plutôt par des mesures à six temps si on veut absolument le traduire de manière musicale, et puis, par moments, des alternances de rythmes plus binaires : c’est pas de l’hexamètre dactylique (vers de l’épopée, composé de six pieds comprenant une longue et deux brèves ou deux longues, NDLR) mais on retrouve un rythme binaire, et un rythme binaire n’est pas incompatible avec un rythme à six temps, après tout : ça peut se mélanger assez facilement. Ce que j’ai reconstitué, après, à partir de la voix, du point de vue des notes de musique que je chante, c’est tout simplement, au départ, un enregistrement de Philippe Brunet, qui est vraiment reconnu comme spécialiste de la prononciation grecque antique puisqu’on a demandé sa contribution pour l’Assimil Grec ancien que je possède et dont je me suis servi pour répéter, outre les enregistrements de grenouilles…donc, il m’a réalisé ça en utilisant simplement la scansion du texte et en faisant des modulations à partir des accents puisque, quand il y a un accent aigu, on monte la voix, et puis on la redescend sur la syllabe suivante, et puis quand c’est un accent circonflexe, on la monte et on la redescend sur la même syllabe. Dans cet article, sur lequel j’ai travaillé et sur lequel j’ai beaucoup pratiqué la danse aussi, les contributions de Cécile Corbel-Morana, qui avait d’ailleurs été invitée au départ à ce colloque et qui n’avait pas pu y participer, et celles de Philippe Brunet, qui a donné une communication sur les masques, sont très importantes.   

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Aristophane

B : Pour revenir aux Grenouilles, je me souviens que vous avez dit que vous aviez fait l’effort de les rendre un peu mutines, un peu casse-pieds, parce que c’est ainsi que vous les perceviez…

M.-H. D.-R. : Le texte permet quand même de les percevoir ainsi ! Dionysos n’arrête pas de se plaindre de leur « koax »… Elles sont censées l’aider à ramer, à lui donner la cadence : le problème, c’est qu’on a aussi une parodie de scènes d’apprentissages de l’art de ramer sur une trière ! C’est pas simple : une trière est un bateau qui comporte trois rangs de rameurs, on a deux cent personnes à bord, dont cent soixante-dix rameurs qui sont répartis en trois rangs…et la parodie est vraiment très claire : Aristophane, qui est aussi le roi des plaisanteries grossières et à caractère sexuel, précise bien qu’on « pète » dans la bouche du thalamite, c’est-à-dire qu’il n’y a pas beaucoup de place dans ce bateau, et qu’ils sont entassés littéralement les uns sur les autres ! On ne peut pas dormir à bord d’une trière, il faut toujours débarquer et aller dormir sur la plage ! Donc, ce pauvre Dionysos est en train de ramer et il a mal aux fesses : c’est vraiment dur pour lui ! Après, il y a tout ce mouvement parce qu’on ne rame pas avec deux rames sur une trière mais avec une rame seulement, mais quand on est sur une trière, il y a l’effort des autres qui, coordonné en même temps, fait que l’on peut ramer, mais là, Dionysos est tout seul sur sa petite barque avec le nocher Charon, et on peut imaginer que Charon ne fait rien et que c’est Dionysos qui doit ramer : ça peut se comparer avec n’importe quelle expérience de quelqu’un qui n’aurait jamais eu l’habitude de ramer, que ce soit sur un bateau ou un kayak ! Essayez de faire en sorte qu’un kayak aille droit quand vous n’avez jamais ramé de votre vie, vous m’en direz des nouvelles ! Il commence par tourner en rond, à moins d’être exceptionnellement doué pour cela ! Et puis après, on finit effectivement par s’en sortir à peu près… Donc, ce pauvre Dionysos a tous les désavantages du métier de marin sans avoir les avantages ! Pour s’en sortir, il faut toujours conserver la même cadence – c’est une réalité car, sur les trières, pour coordonner la cadence de tout le monde, il y avait un aulète qui donnait le rythme, et on peut supposer qu’il donnait un rythme binaire, le plus simple, le rythme de la marche – seulement voilà, les grenouilles impulsent un rythme qui est complexe et comporte de nombreuses irrégularités : ce que l’on peut remarquer, c’est que, quand on le danse, comme le morceau est essoufflant, inconsciemment, on régularise le rythme. Même si au départ, on se dit « d’abord je fais ternaire et, ensuite, je fais binaire, on va avoir tendance à uniformiser : au moins, en tout cas, la partie ternaire, on ne va pas réussir à faire ressortir toutes les petites irrégularités du rythme, dans le genre « où est-ce qu’il y a un trochée, ou est-ce qu’il y a un crétique, où est-ce qu’il y a un iambe… » On va finir par traduire comme si tout était des trochées ou comme si tout était des iambes ! Le trochée c’est « longue-brève » et le iambe, c’est l’inverse, donc vous voyez les problèmes que ça peut poser, d’autant que le rythme des Grenouilles n’est pas tout à fait égal : il y a un élément qui a la valeur de la moitié de l’autre et ça pose un certain nombre de problèmes rythmiques qui m’ont effectivement beaucoup intéressée.

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Donc, les rendre malicieuses, c’était très important puisqu’un personnage ne peut pas être présent sur scène s’il n’a pas de motivation : bien sûr que, en Grèce antique, on ne pratiquait pas la méthode Stanislavski (méthode encore enseignée à l’Actors studio, NDLR), mais je pense que, inconsciemment, on devait trouver certains éléments qui s’accordaient avec, en tenant compte du fait évidemment qu’on n’avait pas un jeu intimiste comme on peut en avoir maintenant et qu’il y avait, dans le théâtre grec, beaucoup de conventions, notamment à cause du masque, d’où l’impossibilité de jouer avec les expressions du visage, c’est le corps qui remplace tout ça ; dans une tragédie, on ne peut pas montrer des larmes, c’est le corps et la voix qui doivent les « montrer », c’est extrêmement difficile d’arriver à traduire la voix avec des larmesparce que, si par malheur, en plus, vos larmes coulent dans le masque, vous risquez de ne même plus arriver à jouer parce que vous recevrez encore plus de coulées de plâtre, et vous aurez beau avoir toute la sensibilité indispensable pour votre rôle, ça vous cassera toute votre scène ! Ce qui est important, c’est d’avoir un puissant contrôle sur ses sentiments. Les Grenouilles, évidemment, c’est un texte comique, le problème est plus l’essoufflement, mais donc, oui, il faut arriver à les rendre malicieuses et par leur voix et par leur corps : le fait qu’il y en ait une qui vienne régulièrement embêter Dionysos et lui taper dessus… On peut imaginer qu’elles ne sont pas forcément toutes en train de parler en même temps, mais il faut toujours qu’il y en ait qui parlent collectivement ; c’est toujours plus facile d’arriver se faire entendre quand on parle collectivement, si on est bien coordonnés, que si on parle seul : ça donne une plus forte puissance à la voix, et il faut bien rappeler que l’acoustique des théâtres grecs est conçue pour que l’on entende bien : si vous êtes allé à Épidaure, vous savez que si on se place au centre du théâtre et si on froisse une feuille de papier, celui qui est assis tout en haut, au dernier rang, entend parfaitement le froissement de la feuille !

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux" />" />" height="341" width="454" alt="" class="aligncenter size-full wp-image-5433" />

B : Pour revenir à l’autre ouvrage : pour la classification des collaborations, est-ce que vous les avez mises dans l’ordre dans lequel elles ont été prononcées ou bien vous avez choisi un ordre chronologique, étant donné le thème et l’approche ?

M.-H. D.-R. : En fait, il y a eu un consensus de la part des auteurs qui ont trouvé très féconde la distribution d’origine : ça avait été réparti en six thèmes, ceux qui sont effectivement répertoriés dans la table des matières ; on a décidé effectivement de la conserver. Ça explique que ça ne soit pas du tout dans l’ordre chronologique, mais ce n’est pas dérangeant ; si ça avait été simplement une histoire de la pilosité, on aurait choisi effectivement l’ordre chronologique, ou on l’aurait retrouvé dans chaque thème, mais là, c’est Anthropologie, mythologies et histoire, donc l’idée était de croiser trois termes et de partir des figures emblématiques avec la barbe dans la sculpture gallo-romaine, Esaü le poil de la bête avec les vampires… Si on avait choisi l’ordre chronologique, on aurait mis Esaü en premier, mais là, on n’est pas dans la réalité, on est dans le mythe : bien sûr que la Bible reflète la civilisation des hébreux, mais Esaü, actuellement, on ne peut pas lui donner une existence historique, car les débuts des Hébreux, avant la période des rois, sont très, très mal connus !

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Le deuxième thème, c’est « place, rôle, sens » : parler de ce que représente, par exemple, un roux dans la société grecque, avec l’article sur Pyrrhos, mais c’est aussi le sujet de la thèse de David Lavergne, qui a été soutenue en 2006 à Aix-en-Provence sous la direction de Pierre Villard… Il y avait matière à faire, le roux, c’est quelque chose de pas ordinaire, et il ne se limite pas à la civilisation grecque puisqu’il donne aussi des références bibliques. Après, on a ouvert sur quelque chose de très différent, avec Mao en Chine, tout le lexique du vocabulaire chinois du poil et des cheveux, une approche beaucoup plus contemporaine, tout en tenant compte des traditions antérieures, puis l’approche psychologique et médicale avec les maladies du système pileux, puis retour à l’histoire avec la communication de Bertrand Lançon sur la partie la plus tardive de l’empire romain : il exploite des traités tels que celui de Synésios de Cyrène qui fait l’éloge du chauve, un moyen de retrouver une certaine verve comique mais il n’y a pas que cela !

La troisième partie cherche la signification du fait d’enlever les cheveux : est-ce que c’est considéré comme un signe de punition ou d’autre chose ? Dans l’Antiquité grecque, évidemment, comme nous le montre Pierre Brulet, quand on offre sa chevelure, cela correspond à une offrande, le cadeau suprême que l’on peut faire aux dieux, que l’on soit une jeune fille ou un garçon, mais ça n’a pas exactement la même signification pour une fille ou un garçon parce que le but de l’existence d’une fille ou d’un garçon n’est pas exactement le même : le but de la jeune fille est essentiellement le mariage et la maternité, le but du garçon la guerre et la vie politique, donc l’offrande du cheveu symbolise vraiment sa sortie de l’enfance pour entrer dans la période d’initiation qui va précéder l’entrée dans la vie adulte puisque les premières offrandes de chevelure se font vers l’âge de seize ans et l’inscription sur le registre du dème, à Athènes, à dix-huit ans, l’inscription sur le registre de l’Assemblée à vingt ans… Puis la peine de décalvation chez les Wisigoths, un article qui m’a vraiment intéressé, par Bruno Dumézil, celui qui a écrit avec Magali Coumert le petit « Que sais-je ? » sur les royaumes barbares : ce qu’il explique, c’est que chez les Wisigoths, la peine de décalvation est finalement un substitut d’une autre peine et que ça représente, surtout si c’est un aristocrate qui la reçoit, une humiliation vraiment profonde…c’est quasiment un substitut de la peine de mort, c’est un moyen d’anéantir la personne qui la reçoit !

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Le pillage de Rome par les Wisigoths.

La quatrième partie est plutôt dans le registre du rapport entre la féminité et la masculinité et aussi de la séduction : l’article de Véronique Mehl qui conjugue les cheveux et le parfum, ce n’est pas innocent du tout, ça permet d’apprendre pas mal de chose sur tout ce qui est toilettes, parures, ornements de la femmes et ses capacités de séduction dans un monde dont les ficelles restent tirées par les hommes ; quand on parle des femmes chez Aristophane, elles sont présentées comme aussi ivrognes et obsédées sexuelles que les hommes, et c’est bien le point de vue des hommes ! Le rôle des cheveux dans la danse des ménades, on en a parlé : par rapport à l’article précédent, je ne dirais pas que le cheveu est un moyen de séduction parce que, a priori, quand une ménade danse, ça ne danse absolument pas pour séduire ! Penthée croyait qu’il allait pouvoir faire le voyeur et observe tout à loisir les ménades, et vous savez le châtiment qui lui a été infligé par Dionysos puisque sa propre mère Agavé l’a pris pour un lion et a ramené sa tête triomphalement à Thèbes ; c’est une affaire de folie envoyée par les dieux, un phénomène de possession, de transe, et le cheveu n’est qu’un adjuvant, ce qui compte étant le mouvement de la danse qui permet de se désorienter, notamment par tous les mouvements tournants : on ne prend aucun repère avec la tête ! Si on compare avec des danses comme celles des derviches tourneurs, et je l’ai fait puisque j’ai pu faire un petit séjour en Turquie où j’ai observé, non pas les derviches tourneurs, puisque leur confrérie a été interdite par Mustafa Kemal Atatürk depuis 1925, mais tous les danseurs qui essaient de reproduire leurs mouvements, car la tradition de la danse ne s’est pas perdue, voire parfois essaient même de vivre à leur façon, la grosse différence, c’est que chez les ménades, ça se termine toujours assez mal, c’est-à-dire le « diasparagmos » le fait de déchiqueter vivant un animal et de le manger cru : on peut se dire que ça tenait du fantasme masculin, mais pas seulement parce que si on regarde les inscriptions, on a quand même la mention de ces pratiques qui existaient. On n’utilisait pas forcément les animaux les plus sauvages, peut-être qu’à la place de la panthère on avait tendance plutôt à substituer un paon, un biche, une chèvre, ce qu’on trouvait ; les derviches tourneurs, ce n’est pas du tout ça : ce qui est en jeu est la communion avec Dieu, on est dans le cadre d’une religion monothéiste, l’Islam, ça se met en place à partir du XIIIe siècle de notre ère avec Mevlana, le philosophe qui a donné naissance au mouvement, mais sur la reprise de représentations antérieures qui dataient du XIe siècle de notre ère ; le principe est qu’il y a toujours une main tournée vers le ciel et une main tournée vers la terre pour symboliser l’union entre Dieu et les hommes. Vous voyez, la perspective n’est pas du tout la même, c’est mystique, mais sans la moindre violence : on pourrait davantage rapprocher les pratiques des derviches tourneurs de celles de l’orphisme – sans pousser la comparaison jusqu’au bout. La séduction ? C’est vrai que quelquefois, il y a des satyres qui participent aux danses des ménades, mais par rapport à la transe, ils sont complètement accessoires. Et puis il est sûr que ces satyres, leur idée, c’est de sauter sur ces ménades pour essayer de les contraindre à avoir une relation : soit les ménades sont d’accord et on en voit qui se laissent allégrement enlever, continuent à jouer de leur instrument de musique pendant que les satyres les attrapent dans leurs bras, soit elles se défendent furieusement de leurs thyrses, bâtons surmontés d’une pomme de pin. Tout ça pour dire que la séduction, là, c’est vraiment très accessoire ! Après, il y a le très intéressant article de Sabine Dutray, qui est l’approche d’une psychologue, mais qui n’est pas inintéressant du côté de l’histoire, ça rappelle un peu l’approche de Georges Devereux à propos de Cléomène de Sparte (Cléomène, le roi fou, NDLR) : elle explique beaucoup de choses, par exemple à propos du fait, pour une femme, de revêtir une coiffe : la coiffe est quelque chose de très important puisque c’est l’élément qui permet de dissimuler aux yeux de tous les cheveux qui sont un élément à caractère sexuel. Ça se retrouve dans pas mal de civilisations : ça ne fait pas si longtemps que les femmes laissent leurs cheveux à l’air libre ! C’est une des acquisitions du XXe siècle dans les milieux les plus traditionnels et déjà, avant, dans d’autres milieux ! Le costume traditionnel breton, finalement, reflète bien cela ! C’est comme si on cherchait à apprivoiser, à maîtriser ce potentiel féminin sexuel représenté par les cheveux.

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Ménades.

La cinquième partie, « images littéraires, picturales et cinématiographique », on l’a ouverte sur l’article de monsieur Etienne Wollf sur Martial et la pilosité, qui permet de montrer que la pilosité reflétait véritablement les pratiques de civilisation romaines : il était important de ne pas apparaître trop touffu pour ne pas apparaître comme un barbare, mais en même temps, être trop épilé, c’était un signe d’une trop grande féminité pour un homme ! Il risquait non seulement de passer pour un « inverti » suivant le vocabulaire des traductions souvent édulcorées de la collection des universités de France, donc un homosexuel, et, encore pire que ça, parfois comme un homosexuel passif ! Dans les sociétés antiques, et ça, c’est un peu commun à la Grèce et à Rome, l’homosexualité se pratique mais l’homosexualité passive ne doit pas être une activité de citoyen. Le citoyen grec, quand il pratique l’homosexualité, c’est avec un plus jeune, pour l’initier aux aspects de la vie citoyenne dans la Grèce archaïque, par exemple en Crète, et à ce moment-là, le citoyen a le rôle actif, et c’est l’initié qui a le rôle passif mais qui devra après, évidemment, l’abandonner. Ça, c’est l’idée traditionnelle dans la Grèce classique, qui va se perdre petit à petit : dans le monde romain, on pratique quand même nettement moins l’homosexualité qu’en Grèce antique, mais passe encore d’être actif, mais passif, c’est absolument impensable, c’est à la limite de la perversion sexuelle pour un romain. Suit après l’étude de Manuel Montoya, fondée sur l’étude des poèmes érotiques de l’Espagne du XVIIIe siècle : c’est une étude du poil pubien, tout simplement, à travers des poèmes fort jolis à lire qui masquent mal l’activité sexuelle de la jeune fille, évidemment, comme par hasard, avant son mariage, quelque fois après, quelque fois ça peut être aussi sur les veuves… Dans la même idée, « le cheveu que rien ne rend droit : esthétique et poétique de la pilosité féminine au tournant du siècle », c’est-à-dire XIXe–XXe siècle, mais donc, là, c’est vu sous l’angle totalement poétique et des femmes en général, pas seulement des jeunes filles, et pas seulement dans une perspective de littérature érotique. Alors après, évidemment, on ne pouvait couper à une communication sur Lolita, le célèbre roman de Nabokov et là, l’intérêt de la communication, c’est d’avoir analysé les traductions anglaises : il y a une comparaison entre l’anglais et le français qui éclaire bien, justement ce problème, et on voit que toutes les descriptions de la pilosité de Lolita, que ce soit les poils des aisselles avec les gouttes de transpiration ou la pilosité au niveau des mollets, tout cela est très délicatement évoqué pour suggérer le désir du narrateur, puisqu’on a affaire à un homme mûr qui est tombé amoureux d’une nymphette de 12-13 ans, toute jeunette… Finalement, c’est exactement le même désir que le désir masculin qui passe dans les poèmes érotiques du XVIIIe siècle en Espagne, mais c’est beaucoup plus édulcoré : tout n’est pas dit. C’est ce qui fait aussi la force du roman !

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Sixième partie, « Ordres et désordres, société, politique, et police » : les aspects politiques avaient déjà été abordés dans une communication en 2003, mais là, ça va plus loin, puisqu’on fait le mélange « société, politique et police ». « Capillairement corrects, les bretons médiévaux », la communication de Jean-Christophe Cassard, est avant tout une étude des pratiques aristocratiques ; « l’interdiction du port de la barbe sous Pierre le Grand » est aussi une étude très connotée politiquement puisque, si Pierre le Grand interdit le port de la barbe, c’est pour arriver à une société moins traditionnelle et plus occidentale : autrement dit, après Pierre le Grand, quelqu’un qui conserverait la barbe serait fiché de traditionnaliste et quelqu’un qui s’épilerait serait, au contraire, plus occidentaliste : en fait, c’est l’opposition slavophile-occidentaliste ; Pierre le Grand tranche en interdisant le port de la barbe : après son règne, ça ne peut plus se faire, ça fait partie des révolutions culturelles comme lorsque Atatürk demande que l’on écrive le turc en alphabet latin pour ouvrir la Turquie vers une plus grande communication. Après viennent les deux communications « policières », celle sur Tyco Brahe dont j’ai déjà parlé, et puis l’analyse des cheveux et des poils dans les enquêtes criminelles par quelqu’un qui appartient au monde de la police.

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Pierre le Grand.

Je crois que j’ai fait un petit oubli : la communication de Magali Coumert sur la pilosité barbare dans les premiers siècles du Moyen-âge occidental, qui décrit très précisément les coiffures du monde barbare où les cheveux longs jouent un grand rôle parce que c’est aussi la force, et l’on revoie à des pratiques beaucoup plus anciennes, comme le personnage de Samson…ce petit article est tout à fait complémentaire de celui de Bruno Dumézil sur la décalvation : on comprend d’autant plus, dans ces sociétés du haut Moyen-âge, et souvent dans ces sociétés barbares, puisque Bruno Dumézil étudie le cas des Wisigoths, pourquoi la peine de décalvation devient si humiliante et quasiment l’équivalent de la peine de mort puisque l’individu a perdu toute se force, toute sa virilité, exactement comme Samson la perd concrètement parlant quand il est trahi par Dalila.

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

B : Quels sont vos projets, maintenant ?

M.-H. D.-R. : Publier très prochainement un commentaire du Peri Orcheseos de Lucien qui est le dialogue de la danse : c’est un opuscule qui fait une trentaine de pages, pour lequel je dispose actuellement d’une traduction qui a été réalisée par un professeur de grec maintenant décédé, Marie-Jeannine Salé, qui a eu la gentillesse de me confier cette traduction il y a déjà plusieurs années ; l’ouvrage, actuellement, en est à environ cent vingt pages : je l’ai réactualisé et dois encore un peu le retravailler, mais je vais essayer de le publier le plus vite possible, si possible fin 2011 ou début 2012, en sachant que, évidemment, ne pouvant travailler longtemps assise (madame Delavaud-Roux a été récemment opérée, NDLR), je mettrai le temps qu’il faudra. Je pense essayer de travailler beaucoup couchée pour en finir.

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Lucien.

B : Vous pouvez déjà nous donner une idée générale ?

M.-H. D.-R. : Cet ouvrage était destiné à l’empereur Lucius Verus et à sa maîtresse Panthéia qui étaient tous deux de fervents admirateurs de pantomime : c’est un ouvrage qui représente la défense de la pantomime à une époque où elle est très à la mode mais ne semble quand même pas particulièrement appréciée pour les romains, peut-être parce qu’elle est connotée trop grecque et que les Romains ont beau être de grands admirateurs de la culture grecque, ils ne veulent pas trop perdre leur romanité : vous pouvez le voir dans des ouvrages comme Façons de parler grec à Rome, publié en 2005, dirigé, entre autres, par Florence Dupont. Il est très important, donc, de préserver sa romanité, de préserver le mos majorum, les mœurs des ancêtres, et quand on veut les préserver, à la façon d’un Caton, parler grec, ça pose déjà problème : même si on sait parler grec, on va essayer de parler aussi beaucoup latin ; c’est sûr qu’il y a des expressions très célèbres que l’on connait en grec, on sait très bien que le « Tu quoque, mi fili » a été prononcé, en fait, en grec, « kai su technon », mais un romain, a priori, essaie de préserver sa romanité, et donc, la pantomime, non seulement est connotée de grecque, mais elle est aussi, du coup, connotée d’efféminée puisque toutes les pratiques des Grecs, qui ont été vaincus, peuvent être connotées d’efféminées, par exemple le fait de danser la pyrrhique : en 86 avant notre ère, quand Sylla a pris la ville d’Athènes, on voit dans le récit de Plutarque, un personnage qui est en train de danser la pyrrhique, et ce que l’on dit, c’est qu’il est en train de danser la pyrrhique au lieu de défendre la ville correctement ! En fait, il ne la défend pas ! La pyrrhique correspond à une danse qui a été inventée à une époque où l’on combattait en phalange hoplitique et puis après, évidemment, les techniques de l’armée ont bien évolué, même celles de l’armée grecque, ça a été surtout des guerres de siège et, Sylla, pour prendre Athènes, mène une guerre de siège ! Donc, danser la pyrrhique dans une guerre de siège, c’est complètement inadapté et après, à chaque fois que Pompée veut encourager ses troupes, il dit « ne vous inquiétez, en face de vous, vous avez des beaux danseurs de pyrrhiques mais rien de plus ! » Donc, voilà : la pantomime est fichée de grecque (et même la pratique de la danse en général, même s’il existe des danses romaines très célèbres), il faut absolument défendre cette pantomime : en même temps, défendre quelque chose qui est impossible à défendre, ça fait partie des objectifs du mouvement de la seconde sophistique au IIe siècle de notre ère et au-delà : l’éloge du chauve de Synésios de Cyrène en fait aussi partie ! Il y aura donc la traduction de Marie-Jeannine Salé et il y aura mon commentaire qui va être surtout dans l’optique de reconstitution du mouvement : il se situe dans une perfective totalement différente de celle de l’édition commentée que préparent actuellement Marie-Hélène Garelli-François et Brigitte Le Guen qui sortira sans doute aussi d’ici quelques temps.

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Lucius Verus.

B : Autre chose à ajouter ?

M.-H. D.-R. : Oui, j’ai aussi en projet un colloque sur « corps et voix » dont je préciserais plus tard la problématique ; ce sera centré sans doute autour d’un des spectacles de Philippe Brunet de manière à pratiquer un peu l’alternance : le colloque de 2006 était consacré à Annie Bélis, celui de 2012 ou 2013 sera consacré à Philippe Brunet et, dans quelques années, nous reviendrons à Annie Bélis : donner, une année, une orientation un peu plus théâtrale et, une autre, une orientation un peu plus musicale.  

Interview : Marie-Hélène Delavaud-Roux

Philippe Brunet

B : Merci, madame Delavaud-Roux. Allez, kenavo !

Musiques et danses dans l’Antiquité, sous la direction de Marie-Hélène Delavaud-Roux, Presses universitaires de Rennes, 18 €

Anthropologies, mythologies, et histoire de la chevelure et de la pilosité : le sens du poil, études réunies par Bertrand Lançon et Marie-Hélène Delavaud-Roux, éd. L’Harmattan, 32,50 €


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Legraoully 29555 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines