1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur (le présent billet)
4. L’innovation (à venir)
5. La colonisation de l’espace (à venir)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)
L’auteur :
a. Les débuts
b. Premiers succès
c. Le triomphe
d. Dix ans de Gundam (le présent billet)
e. L’après Gundam (à venir)
d. Dix ans de Gundam
En fait, Zeta Gundam décrit comment, à force d’avoir combattu le dragon Zeon, la Fédération est devenue un monstre à son tour – une manière certes simple mais néanmoins efficace de mesurer quel traumatisme cette dernière a subi lors de la Guerre d’Un An. Mais il s’agit surtout d’un changement de paradigme qui étonne en fin de compte assez peu de la part d’un réalisateur dont l’ensemble de l’œuvre, à ce stade, a déjà habitué son public à une absence totale de manichéisme : ce revirement narratif se voit d’ailleurs très bien illustré par le titre du premier épisode de cette série, intitulé The Black Gundam (Le Gundam Noir) – le Gundam, jadis un symbole de victoire contre le totalitarisme, est à présent un objet de ténèbres, et ses constructeurs de nouveaux tyrans…
Ainsi s’expliquerait – au moins en partie – le degré de noirceur et de pessimisme qui caractérise Zeta Gundam et qui a beaucoup participé à son immense succès, surtout auprès d’un public adolescent dont les rapports à la société se trouvent souvent teintés d’idées noires, faute d’un meilleur terme, et d’un certain attrait pour les choses obscures, ou qui paraissent telles – ces traits de caractère prennent racine la plupart du temps dans les bouleversements hormonaux qui définissent l’adolescence et qui s’avèrent plus ou moins mal vécus selon les jeunes, les incitant ainsi à développer une vision négative des choses. Explication qui, du reste, n’enlève rien aux immenses qualités artistiques et narratives de cette série exceptionnelle qui n’a pas du tout ou si peu à rougir de la comparaison avec les œuvres d’aujourd’hui : si son scénario se montre parfois un peu confus et peut-être même un peu répétitif dans la structure d’un épisode à celle d’un autre, et s’il vaut mieux connaître assez bien les divers tenants et aboutissants de Mobile Suit Gundam pour aborder sa séquelle afin d’en saisir toutes les subtilités, Zeta Gundam mérite largement sa réputation et reste une œuvre à voir, même pour les spectateurs peu connaisseurs de la franchise ou bien peu intéressés par celle-ci ; en plus de l’inversion des rôles déjà évoquée, on apprécie en particulier la retranscription du climat de guerre civile qui caractérise cette période de l’univers principal de Gundam : plusieurs factions aux intérêts souvent divergents s’y affrontent ou bien s’y allient alors que les nombreux personnages tentent tous de faire ce qui leur semble juste à un moment de l’Histoire où la frontière entre Bien et Mal se montre pour le moins floue… Les connaisseurs noteront néanmoins qu’aucun des éléments propres à Zeta Gundam, ou du moins qui ont largement participé à lui valoir son succès, ne se trouvait pas déjà dans au moins une réalisation passée de Tomino, et en particulier des productions comme Xabungle ou Dunbine.
Voilà peut-être la première des raisons pour lesquelles Mobile Suit Gundam ZZ commence comme une série… comique. Alors que la Fédération est laissée exsangue par la Guerre de Gryps décrite dans l’opus précédent, des troupes survivantes de Zeon réfugiées sur l’astéroïde Axis des années plus tôt à la toute fin de la Guerre-d’Un-An se proclament Neo-Zeon pour exiger des dirigeants de la Terre ce qu’ils estiment leur revenir de droit – la soumission totale et sans condition de toute la sphère humaine. Seul l’AEUG s’affirme en mesure de s’opposer à eux, mais avec ses effectifs décimés par la Guerre de Gryps, le croiseur Argama doit enrôler un jeune éboueur de l’espace expert dans le pilotage des manœuvriers orbitaux qui permettent de collecter les débris de l’espace et dont la manipulation diffère peu de celle des mobile suits ; mais ce jeune homme, Judau Ashta, a un tempérament pour le moins… particulier. On peut voir que c’est un revirement assez radical, et qui en surprit bien sûr plus d’un – surtout après la conclusion pour le moins sanglante de Zeta Gundam. Encore qu’à y regarder de près de telles successions d’inversions caractérisent l’ensemble de l’œuvre de Tomino jusque-là : le sombre et ultra-violent Zambot 3 laisse place à l’insouciant Daitarn 3, les si sérieux et réalistes First Gundam et Ideon se voient suivis par le bien léger Xabungle, et l’apocalyptique Dunbine précède immédiatement le rocambolesque L-Gaim… Bref, le ton léger de ZZ Gundam était en fait assez annoncé par Zeta Gundam. Notons au passage qu’une telle alternance entre l’euphorie et la noirceur reste typique des maniaco-dépressifs, ce qui renforce la théorie de la dépression déjà évoquée.
Toujours est-il que si beaucoup considèrent Gundam ZZ comme un segment assez dispensable de Gundam en raison de sa légèreté, je ne partage pas cet avis. D’abord parce que la seconde moitié de la série relève considérablement le niveau, même si elle n’arrive pas vraiment à celui de son prédécesseur ; ensuite parce que le spectateur y trouvera l’occasion de découvrir diverses facettes de l’univers de Gundam, à travers quelques épisodes qui peuvent sembler anecdotiques mais dont le contenu présente des éléments tout à fait informatifs sur le déroulement de la colonisation de l’espace dans ce futur possible : ici, elle se pose bien loin des clichés de la science-fiction occidentale de l’époque et anglo-saxonne en particulier, qu’on trouve bien souvent teintée d’un optimisme béat, en tous cas dans les œuvres audiovisuelles – en fait, on y retrouve plusieurs des idées développées par Tomino dans le roman de Mobile Suit Gundam qui constitue le sujet principal de ce dossier et qui s’avère une inspiration prépondérante pour l’univers de Gundam pris dans son ensemble, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer dans la partie précédente quand j’expliquais quel rôle tint ce livre dans la réalisation de l’adaptation de la série TV en trois long-métrages pour le cinéma. Bref, ZZ s’avère en réalité bien plus noir qu’il y paraît, mais pour peu qu’on fasse l’effort de ne pas s’arrêter aux apparences immédiates. Et puis c’est aussi le meilleur moyen de saisir pleinement quels événements amènent le tout premier univers Gundam vers la conclusion de son chapitre principal, ce qui ne représente tout de même pas rien (2).
Ses admirateurs, pourtant, accueillirent la nouvelle avec une certaine joie car son nouveau projet s’avère être un autre Gundam, et précisément un autre long-métrage – ce qui, compte tenu du succès de Char’s Counter-Attack, déchaîne quelques nouvelles passions. Mais il s’agit surtout d’une autre histoire, où les fantômes du passé enfin écartés, et pour toujours, laissent place à une nouvelle génération de personnages.
Si ce synopsis rappelle beaucoup First Gundam, à quelques détails près, on retient néanmoins un aspect jusqu’ici inédit dans Gundam, qui peut sembler emprunté au roman Étoiles, garde-à-vous ! (Starship Troopers ; Robert A. Heinlein, 1959) dont l’influence sur la toute première série TV de la franchise a déjà été évoquée dans une partie précédente de cette biographie, mais qui peut aussi s’avérer en fait tiré du Japon féodal : F91, en effet, nous présente les ennemis de la Fédération comme adeptes d’un système social où seuls ceux qui mettent leur vie en jeu pour défendre leur nation, c’est-à-dire les guerriers, peuvent prétendre à jouer un rôle politique au sein de leur société ; s’il s’agit techniquement de ce que Platon appelait une timocratie, ou encore timarchie, un tel système rappelle bien sûr la féodalité du Moyen Âge où régnait la noblesse qu’incarnait en partie la chevalerie dont le samouraï reste bien sûr l’équivalent dans le Japon traditionnel – toute la différence avec Étoiles, garde-à-vous ! tient dans ce qu’ici le soldat ne devient pas un citoyen possédant le droit de vote : le modèle politique des Crossbone Vanguards est en réalité un renouveau du règne de l’aristocratie dans une civilisation de l’espace, soit une organisation sociale assez peu différente de celle présentée dans l’univers de Dune (Frank Herbert ; 1965-1985) par exemple. Mais cet aspect, en raison du format long-métrage qui réduit la longueur du récit, ne pourra hélas se voir présenté avec toute la profondeur qu’il méritait…
Sur ce point, il vaut de rappeler qu’eut lieu en 1989 l’effondrement du rêve japonais, avec l’explosion d’une bulle spéculative soigneusement entretenue depuis de nombreuses années, et l’ensemble du pays bascule à ce moment dans une dépression dont il n’est d’ailleurs toujours pas sorti à ce jour. C’est alors une hécatombe dans l’industrie de l’animation qui ne trouve plus de sponsors pour financer de nouveaux projets et doit donc se rabattre sur des valeurs sûres telles que séquelles ou séries dérivées… Il ne me paraît pas incongru de voir dans cet événement au moins une des causes des disputes déjà mentionnées, à travers les souhaits d’une partie du studio de faire de la nouvelle série Gundam un long-métrage pour le cinéma – c’est-à-dire un projet plus simple à gérer car plus court qu’une série TV, donc moins coûteux et qui donc rapporte plus. Ce qui n’a certainement pas plu à Tomino, d’une part parce qu’il avait travaillé dur pour développer les divers éléments de ce qui devait être au départ une nouvelle série – créations de personnages plus échafaudage d’une intrigue générale en fonction de l’évolution d’un univers à la complexité déjà hors norme – mais qui ne pouvait plus rentrer dans un long-métrage, et d’autre part parce que sa liberté de créatif se voyait soudain ligotée – ce que les artistes vivent très mal le plus souvent – ; ceci suffirait largement à expliquer une certaine mauvaise volonté de sa part à se prêter à ce qui relève du suicide narratif pur et simple… On peut néanmoins mentionner au passage le manga Mobile Suit Crossbone Gundam (Yuichi Hasegawa ; 1994-1997), qui tient lieu de séquelle à F91 mais sur lequel l’influence de Tomino reste assez difficile à cerner avec précision puisqu’il s’y trouve crédité uniquement de créateur du concept du récit – quoi que ça signifie précisément.
Victory Gundam s’affirme vite comme une production tout à fait exceptionnelle dans la chronologie Universal Century. D’abord parce qu’il s’agit de la première série TV de la franchise à l’époque à fonctionner en stand alone depuis First Gundam, au contraire des deux autres qui se suivaient entre elles ou bien suivaient un opus précédent. Ensuite, c’est aussi pour le spectateur l’occasion de constater que le réalisateur a bien des choses à dire sur les femmes, et des choses qui ne rappellent les clichés machistes du Japon contemporain qu’en apparence : si la subtilité d’un auteur dans son traitement de la différence des sexes reste un excellent moyen de mesurer ses qualités de conteur, alors Tomino s’affirme ici comme un narrateur de premier plan. Enfin, parce qu’à travers le portrait d’un matriarcat, Victory reste à ce jour, et dans les limites de mes connaissances, la première tentative réelle pour un réalisateur du genre mecha de se démarquer du schéma traditionnel d’opposition père-fils caractéristique de ce courant : il apparaît assez évident, en effet, que compte tenu des relations qu’entretiennent les pilotes de mechas avec leur père – celui-ci étant le plus souvent mort ou disparu, à moins qu’il ait purement et simplement abandonné son fils –, le protagoniste principal d’une production du genre souffre d’une image du père, c’est-à-dire de l’autorité, pour le moins problématique (5) ; rappelons au passage que dans la branche super robots du genre, le mecha vedette est le plus souvent fabriqué par le père du pilote, avant de préciser que dans la branche real mechas, les engins sont fabriqués par l’état en guerre qui constitue lui aussi une autre image du père puisqu’il représente l’autorité sociale au sens large : le mecha s’affirme en fait depuis le début du genre comme une image du père absent qui continue pourtant à accompagner son fils à travers la machine, du moins d’un point de vue métaphorique, faute d’un meilleur terme, et ainsi à lui conférer son pouvoir et sa force (6) – dans le but, dirait la psychanalyse, de lui donner les moyens de se tailler un chemin vers l’âge adulte.
Mais au-delà de tout cet aspect intellectuel, ou assimilé, c’est surtout une histoire de guerre profondément sombre, qui rivalise tout à fait de noirceur avec Zeta Gundam, et où l’innocence de l’enfance ne protège de rien, bien au contraire. Sur ce point, d’ailleurs, Tomino dépasse largement le cadre de l’éclatement de la Yougoslavie déjà évoqué pour aborder celui des enfants-soldats d’Afrique, ce qui peut éventuellement constituer pour lui un moyen de souligner le statut de nation « tiers-mondiste » de la Terre dans l’avenir de cet univers fictif décidément bien loin des poncifs de la science-fiction dans le format audio-visuel. En effet, le thème de la Terre tombée de son piédestal en tant que monde leader de la sphère humaine reste un élément prépondérant de la science-fiction moderne, depuis l’aube du genre dans les années 30, et surtout celle qui aime les évolutions de paradigmes sociaux provoqués par les progrès techniques. Car ce que nous montre Victory Gundam avant tout, c’est une humanité qui a enfin accepté l’idée d’abandonner le giron de la planète-mère pour accomplir son destin dans les étoiles, en se conformant ainsi aux préceptes élaborés longtemps auparavant par Zeon Zum Deikun qui, pour le coup, apparaît enfin comme un visionnaire véritable : alors qu’Uso devient adulte en abandonnant le Gundam fabriqué par sa mère après avoir gagné la guerre, l’humanité abandonne son enfance en quittant le monde qui l’a vue naître – c’est bien là toute l’essence de Mobile Suit Gundam, dès le tout premier opus de la franchise : j’aurais l’occasion d’y revenir en détail dans une prochaine partie de ce dossier.
Cependant, selon certains on-dits, c’est encore une fois une dépression nerveuse qui pousse Tomino à écrire une histoire aussi pessimiste et sombre. Car dans ce climat de crise durable, les difficultés financières de Sunrise ne s’arrangent pas et en cours de préparation de Victory Gundam des négociations ont lieu avec Bandai en vue de faire racheter le studio par celui-ci, ce qui le condamnerait ainsi à devenir le pantin du fabricant de jouets à travers des productions toujours plus orientées vers un public aveugle et consommateur… Et puisque son bébé reste la licence la plus lucrative de Sunrise, et donc maintenant de Bandai, il est temps à présent pour Tomino de quitter ce navire qu’il ne gouverne plus.
Mais s’il ne reviendra pas à Gundam avant 1999, il a néanmoins d’autres projets sous le coude…
Suite du dossier (L’auteur : e. L’après Gundam)
(1) voir son interview accordée en septembre 2009 au magazine Chopsticks NY – Japanese Culture in New York, dans sa réponse à la question « What’s the good thing about being an anime director? ». ↩
(2) on peut évoquer que, durant la diffusion de Mobile Suit Gundam ZZ, Tomino réalisa une OVA en trois épisodes d’une heure chacun récapitulant sa série TV Heavy Metal L-Gaim : si les défauts typiques de ce genre de production restent bien assez connus du public pour ne pas s’y attarder, surtout dans une partie de ce dossier entièrement consacrée à dix ans de Gundam, il vaut néanmoins de préciser que le dernier épisode de cette très courte série se présente comme un spin-off à la fois de très bonne facture et tout à fait caractéristique du Tomino que ses admirateurs apprécient le plus – d’ailleurs, c’est certainement le segment le plus intéressant de toute la licence L-Gaim… ↩
(3) en français dans le texte. ↩
(4) dans le vocable de la science-fiction, ce terme désigne une suite de récits qui dépeignent un avenir en évolution et dont chaque histoire permet d’en explorer un segment ; beaucoup d’écrivains de science-fiction ont produit des séries de ce type, tels qu’Isaac Asimov, Arthur C. Clarke ou Robert A. Heinlein, pour citer les plus connus. ↩
(5) rappelons néanmoins qu’une telle image du père reste assez caractéristique de la culture manga d’après-guerre en général, ce qui n’étonne pas en raison de ses racines troublées : voir l’article de Jean-Marie Bouissou, « Du Passé faisons table rase ? Akira ou la Révolution self-service » (La Critique Internationale n°7, avril 2000). ↩
(6) pour une démonstration plus complète, voir le court essai de Bounthavy Suvilay, « Robot géant : de l’instrumentalisation à la fusion », dans Belphegor, Dalhousie University, vol. 3, no 2 « Terreurs de la science-fiction et du fantastique », 2004 ; lire ce texte en ligne. ↩
L’auteur :
a. Les débuts
b. Premiers succès
c. Le triomphe
d. Dix ans de Gundam (le présent billet)
e. L’après Gundam (à venir)
Sommaire :
1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur (le présent billet)
4. L’innovation (à venir)
5. La colonisation de l’espace (à venir)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)