Monnaies privées : la révolution FB

Publié le 10 juillet 2011 par Egea

Cela fait quelque temps que je m'interroge sur la nature de la monnaie et ses conséquences géopolitiques (voir ici, pour un exemple récent).

source

L'article du Figaro économie de vendredi, sur la monnaie Face Book, m'interpelle d'autant plus. Comme si la perte de souveraineté s'exerçait dorénavant par le bas.

En effet, il y a un lien ancien entre le droit de battre monnaie et la souveraineté. C'est, me semble-t-il, l'autre attribut de l'Etat avec le monopole de la violence légitime. Il y a d'ailleurs peut-être un lien entre cette souveraineté guerrière et la souveraineté monétaire (au travers de l'impôt) mais le sujet reste à creuser et approfondir. Là n'est pas le sujet de ce soir.

Parlons de la virtualisation de la monnaie, bien connue depuis quelques années : on est passé de la monnaie fiduciaire à la monnaie électronique, qui constitua une des premières manifestations (et vecteurs) de la mondialisation. Il reste que cette monnaie utilisait une valeur "publique" (dollar, euro, yen....). Ainsi, la monnaie comme unité de valeur et instrument d'échange pouvait avoir une technique privatisée (via les mécanismes de crédits, accélérés par les outils informatiques), elle demeurait publique dans sa définition.

Bien sûr, le niveau de la puissance publique peut varier : ainsi, il n'a pas toujours été national, puisque l'aventure de l'euro consiste justement à dépasser ce cadre national pour créer un instrument commun. On justifie cette "élévation" par l'inefficacité d'une politique monétaire nationale, et donc par la volonté de peser d'un plus grand poids dans le système monétaire international. On peut transférer sa souveraineté si, dnas les faits, on n'a plus les moyens de l'exercer. Mais il peut y avoir des transferts involontaires de souveraineté.

Il y a eu ainsi d'autres tentatives de monnaie alternative :

  • par exemple les DTS (droits de tirage spéciaux) du FMI, dont le montant a d'ailleurs été remonté à l'occasion de la crise de 2008. Il reste que ces DTS sont peu utilisés, et sont surtout une monnaie publique, entre puissances publiques.
  • je pense également aux monnaies locales, qui permettent une sorte de troc et qui rencontrent de plus en plus de succès (voir ici ou ici) : toutefois, elles sont conçues comme des compléments aux monnaies souveraines, et elles sont... locales !
  • il y a eu également une expérience de création monétaire privée et 2.0 dans l'espace Virtual Life : toutefois, c'était exclusivement virtuel, et VL a périclité.
  • paypal est un système web 2.0, mais c'est un compte bancaire, adossé aux monnaies courantes.

Avec les FB crédits, les conditions changent :

  • les produits sont réels (même s'ils sont pour l'instant dématérialisés, mais je ne doute pas que FB s'alliera bientôt à Wallmart ou Amazon)
  • la monnaie sera utilisée massivement, à la différence des monnaies locales : FB compte 750 M d'utilisateurs
  • surtout, c'est une monnaie "privée"

Ce qui change tout dans notre rapport à la souveraineté et constitue une rupture dans le chemin de la planétisation : ce n'est pas seulement l'usage des NTIC (désolé pour ce mot odieusement ringard), ce n'est pas seulement financier, c'est désormais massif, populaire et socialisé : c'est une 2.0-isation de la finance. Une monnaie générale est désormais privée.

Ce ne sera pas géopolitiquement neutre.

O. Kempf