Donc Martine Aubry aurait un problème avec l'alcool (un ancien ministre, cité par le JDD affirme que Martine Aubry aurait fait «deux cures de désintoxication dans une clinique d’Aix-en-Provence»), elle serait lesbienne (l'usager de Twitter Terminalose lui prête une liaison avec Adeline Hazan), et son mari serait "islamiste" car il a défendu des jeunes filles voilées menacées d'exclusion de l'école. Elle est islamique elle-même car la mairie de Lille a mis en place des horaires de piscine réservés pour les femmes musulmanes.
Martine Aubry a donc décidé d'en parler haut et fort et de décrocher son téléphone pour tomber sur le râble des bienfaiteurs de l'humanité qui alimentent les dîners en ville, la presse et internet en ragots. Évidemment, les proches de l'Elysées jouent les vierges effarouchées en l'accusant de se poser en victime. Ils en remettent une couche sur le mode «La violence de sa réaction, ça cache quelque chose…». Jean-François Copé parle lui de «presque diffamation». Il devrait prendre sur lui, car les attaques viennent bien de son camp.
Face aux rumeurs, il faut d'abord être bien informé. Martine Aubry a des réseaux qui l'ont alertée très tôt. C'est indispensable d'identifier les personnes à l'origine. A tout le moins celles qui, par leur position, lui donnent une certaine consistance, une apparence de vérité : «S'il le dit, c'est que c'est vrai !». Car les rumeurs ne naissent pas d'elles-mêmes. Elles ont leur logique propre (un défaut d'information, parfois légitime, une interprétation erronée) qui va susciter l'intérêt de relais moins bien intentionnés dans la recherche de la vérité. Ces derniers vont alors se répandre à demi-mots, clin d'œil complice à la clé.
N'oublions pas en effet que ce sont à la base des hommes et des femmes qui se chargent de donner crédit à ces rumeurs. Souvent pour donner de l'importance à ceux qui les renseignent, qui se sentent ainsi valorisés et confortés dans leur rôle d'alimentation en information de première main sur les adversaires politiques. A ce stade, l'écoute, les relais sont donc cruciaux pour savoir d'où vient la rumeur, si elle enfle et si elle va vous toucher à un moment où à un autre.
Mais comment répondre et faire taire la rumeur ? Martine Aubry a fait le choix de parler à la presse, et de dézinguer un par un les pourvoyeurs de bruits de chiotte. Ce préfet en poste à l'Élysée, qui se répandait en vilénies puantes, s'est pris une soufflante dont il se souviendra longtemps. Et deux fois de suite, car il faisait mine de ne pas la reconnaître au téléphone.
A ce stade, il faut bien distinguer la rumeur malveillante (son alcoolisme, le lesbianisme à la fois dénoncé comme une tare et parce qu'elle refuserait de faire son coming-out) de l'attaque politique. Les accusations de la droite dure contre son islamisme présumé reposent sur des actions contestées. Ainsi, Eric Ciotti en remet une couche car pour lui, il y a une vérité inscrite dans une décision politique.
Autant l'attaque politique réclame une réponse politique, autant la rumeur doit, pour être étouffée, recevoir une réponse en place publique. Plus elle sera forte, plus la rumeur s'en ressentira. L'attaque de Martine Aubry est de cet ordre. Elle est destinée tout autant à répondre à ses détracteurs qu'à couper l'herbe sous le pied aux insinuations, qui ne peuvent prospérer qu'à l'abri des regards. Dès qu'elle devient publique, le bras armé de la justice peut entrer en action. La menace du procès en diffamation fait ainsi reculer ce militant de l'UMP, interrogé sur Twitter par une journaliste.
Reste une dernière manière, très peu utilisée en France, la dérision. On prend acte de la rumeur, on la laisse grandir et envahir l'espace public. Et quand les pourvoyeurs d'insanités s'y attendent le moins, on les descend en flammes en mettant les rieurs de son côté. Barack Obama l'a fait à merveille, en pourfendant Donald Trump. Depuis quelques semaines, le magnat faisait tourner la lessiveuse de ses télés affidées en mettant en doute l'authenticité de l'acte de naissance du premier Président noir, sur l'air de «Notre président n'ose pas nous dire qu'il est né en Afrique».
«Ah oui ?», lança un Obama en grande forme devant la presse rassemblée et un Trump dans ses petits souliers. "Non seulement je vous donne mon acte de naissance, mais vous aurez en prime la vidéo de ma naissance". Et on vit sur l'écran un extrait du roi Lion où le jeune lionceau est présenté aux animaux rassemblés. Reprenant la parole, Barack Obama soumit alors Trump à un véritable calvaire solitaire et interminable, faisant se tordre de rire l'assistance à chaque rappel de la vacuité des émissions du tycoon aux dents serrées.
La dérision, Bill Clinton l'avait utilisée en son temps, avec une extraordinaire vidéo où il prenait au mot ses détracteurs, en s'amusant lui-même de son ennui dans une Maison Blanche désertée par ses collaborateurs, ses stagiaires et même par sa femme, passant la tondeuse, nettoyant sa voiture, cognant sur le distributeur de café ! L'humour et la dérision, voilà la vraie réponse. La rumeur ne s'en remet jamais. Demandez à Donald Trump.
Le dernier jour de Bill Clinton à la Maison... par chichicaca