Revendiqué comme une autofiction, le roman nous place au plus près des sentiments éprouvés par la narratrice. Elle semble plus engagée dans le travail commun que son interlocuteur. Elle use (et abuse?) d’arguments pour le convaincre: «il faudrait que tu me fasses un peu plus confiance. Tu vois, je croyais qu’on écrivait à deux, mais tu me dis non, toi seule écris à deux.» Elle ne s’inquiète pas trop, en apparence, du déséquilibre de la relation, comptant sur sa force pour entraîner l’autre. Le doute qui surgit par instants est balayé à la lettre suivante, comme si la réponse avait été rassurante.
Une chose en entraînant une autre, une sensualité gourmande investit les phrases, le désir se confond avec l’écriture. «Je voudrais prendre les mots dans mes mains, et les tordre, les mots, jusqu’à ce qu’ils suivent les contours de ton corps, les malaxer jusqu’à ce qu’ils soient chauds, et qu’ils aient la bonne texture, qu’ils soient suffisamment tendres pour recouvrir ta chair d’une seconde peau. Dans mon écriture, je me donne à toi.»
Dans l’intervalle de temps qui sépare la première de la deuxième partie, la rencontre physique s’est substituée aux mots. Ceux-ci poursuivent un dialogue (pour nous, un monologue, rappelons-le) dont les données se sont modifiées. Le verbe s’est fait chair, en quelque sorte. Il court à la poursuite de ce qui est arrivé, ou à la rencontre de ce qui arrivera encore. Ce sont les pages les plus fortes. Elles sont habitées par une plénitude qui crée l’harmonie et conduit les gestes à leur tension extrême.
Entre la partie centrale et la dernière, beaucoup d’événements se sont produits, eux aussi en creux, dont les conséquences habitent la fin du livre. Et lui donnent une énergie paradoxale, de quoi mener jusqu’à son terme un projet qui a bien changé depuis les premières lignes.
Emmanuelle Pagano fait peur pendant une centaine de pages. On se dit qu’elle ne va pas s’en sortir et que ses lettres sont amenées à tourner en rond. Mais elle rebondit merveilleusement pour nous tirer jusqu’à la fin.