Claude Guéant, le ministre de l'intérieur et de l'immigration, était furax, sur l'antenne de RMC/BFM-TV, jeudi matin : « Avec le vocabulaire qui est bien le sien, la Cour parle de bilan contrasté, mais depuis 2001 nous avons 500 000 victimes de moins, ce n'est pas contrasté, c'est un vrai succès de la politique gouvernementale.». N'y voyez aucun lien de cause à effet, mais le ministre va être opéré mardi « pour un pontage coronarien ».
Le problème des rapports de la Cour des Comptes est qu'il est assez facile de distinguer le factuel de la recommandation. Et les conclusions, factuelles, sont terrifiantes en la matière. D'ailleurs, les ténors de Sarkofrance (Guéant, Copé) n'ont pas critiqué les recommandations de la Cour... mais ses constats.
Quelle peine perdue !
Cela fait quelques années que l'on sait que les résultats de Nicolas Sarkozy depuis 2002 en matière de lutte contre la délinquance sont mauvais. Jusqu'à la campagne de 2007, Sarkozy avait pu faire illusion, grâce à une baisse des infractions contre les biens (plus nombreux que les violences aux personnes) et une agitation législative hors normes. Mais depuis 2008, l'augmentation du nombre de violences aux personnes, continue depuis 2002, est enfin apparue aux yeux de tous. Voici pour les résultats.
Le rapport de la Cour des Comptes apporte la pierre qui manquait à l'édifice : il s'attaque aux moyens mis en oeuvres. Et le bilan est terrible.
Pilotage inefficace
La Cour critique d'abord la définition des objectifs assignés à la police et la gendarmerie. Si elle reconnaît que les objectifs ont été « de plus en plus nombreux et précis au fil des années, complétés par une batterie de leviers d’action pour les atteindre », ces objectifs ont réduit toute marge de manoeuvre et d'initiative des services territoriaux. La lutte contre le trafic de stupéfiants a été ainsi « oubliée » des objectifs prioritaires avant un passé récent. Et elle a été orientée principalement vers « l’interpellation des consommateurs sans amélioration significative des résultats en matière de revente ou de trafics » pour « rehausser le taux moyen d’élucidation ». En d'autres termes, Sarkozy trafique les statistiques...
La Cour fustige aussi l'absence d’objectifs et de systèmes d'information communs
entre ministères de l’intérieur et de la justice, et le « manque de maîtrise des moyens budgétaires et humains à l’échelon local ». Elle relève que les résultats statistiques sont contradictoires : « quasiment chaque mois depuis 2003, l'ONDPR enregistre une baisse sensible des atteintes aux biens, que les enquêtes de « victimation » conduite par l’ONDRP
conduisent à relativiser, et une hausse symétrique des atteintes aux personnes ».
De manière générale, la DGPN et la DGGN, note la Cour, « sont rarement en mesure de relier les évolutions statistiques des principales catégories de délits aux actions engagées par les forces de sécurité ». Faut-il rire de rage ou pleurer de découragement ? Sarkozy, depuis 2002, s'était fait le chantre de l'efficacité. On découvre, près de 10 ans plus tard, que l'homme fut incapable de lier objectifs et mesures de résultats... le B-A-BA de la gestion !!
Moyens rognés
En matière de moyens, la Cour dénonce « une augmentation des effectifs suivie d’une égale diminution » entre 2002 et 2010. Grâce à la loi LOPSI de 2002, la police avait augmenté ses effectifs de 1 037 agents, soit 2,1 % au cours de la période 2003-2009, pour atteindre 51.523 policiers fonctionnaires au 1er janvier 2010. Mais cette hausse a été intégralement effacée depuis. Pire, « compte tenu de la forte baisse du nombre d’adjoints de sécurité, l’effectif total de policiers (fonctionnaires et ADS) a reculé de 5,3 % au cours de la période 2003-2010 ».
Finalement, les moyens de la police ont également été dégradés, car les besoins des services ont été sous-estimés, et les efforts de rationalisation et de réduction des dépenses ont intégralement porté sur « les moyens nécessaires à l’activité opérationnelle et aux enquêtes judiciaires, au renouvellement des équipements informatiques (8 millions d'euros en 2007; 3 millions en 2010) et à l’entretien des locaux (16M euros en 2007; 9M euros en 2010) » . Hors loyers, la police a vu son budget de fonctionnement augmenter de 7,8% en 2007, pour baisser de 2,1% en 2008, rester stable en 2009, puis chuter de 25% en 2010 (sic !).
Par exemple - et le constat est factuel - la Cour mentionne que « les DDSP de nombreux départements, comme ceux du Rhône, Bouches-du-Rhône, Hauts-de-Seine et Seine-Saint-Denis, ont été dotées en 2009 d’un budget initial insuffisant pour couvrir les besoins de leurs services jusqu’à la clôture de l’exercice, même au prix d’une réduction sensible de leurs dépenses. »
Côté gendarmerie nationale, le bilan n'est pas meilleur : « les effectifs régionaux ont commencé à baisser en 2010 après avoir stagné (- 0,75 %) de 2006 à 2009. » Là encore, c'est un constat, pas un jugement.
Mauvaise gestion
Alors que le gouvernement Sarkozy demandait des contractions de crédits et d'effectifs, les conditions de gestion n'ont pas été adaptées : « règles complexes d’organisation du temps de travail », « stock considérable d’heures dues aux agents » (non résolu à ce jour), prise en charge de tâches administratives par des policiers, « faible présence sur la voie publique » à cause de la multiplication des tâches périphériques... En fait, la Cour décrit une organisation de la police totalement obsolète et inefficace, à l'inverse de celle des gendarmeries, plus déconcentrée, davantage présente sur le terrain, grâce à leur statut militaire.
Mais qui donc a été ministre de l'intérieur, responsable de la police, depuis 2002 ? La Cour révèle donc combien le ministre Sarkozy a simplement omis de s'occuper de son propre ministère...
La Cour ne critique pas en soi la réduction des moyens. Elle pointe juste la faiblesse des résultats et l'absence de réorganisation en conséquence : « la répartition territoriale des
effectifs de sécurité publique laisse subsister des inégalités importantes entre les circonscriptions, révélatrices de situations de sur-dotation ou sous-dotation au regard des niveaux de délinquance.»
Ainsi, à Paris, la répartition des policiers dans la capitale et de la petite couronne (qui dépend de la Préfecture de Police et représente près du quart des effectifs nationaux) « ne procède pas d’une évaluation rationnelle des besoins ». Relisez : la Cour critique l'absence d'évaluation rationnelle...
L'organisation des forces de sécurité elle-même pêche aussi. La Cour note que les réformes en cours sont insuffisantes.
- La suppression de la police de proximité a conduit Nicolas Sarkozy à multiplier la création de forces d'intervention spéciale, régionales ou autres. La Cour relève ainsi que « tant la police que la gendarmerie utilisent leurs unités de forces mobiles pour remplir des missions de sécurisation, de manière régulière voire permanente, à Paris et dans des départements réputés sensibles, en renfort des services de proximité ou des unités spécialisées prévues à cet effet ». Or, note la Cour, « ces missions occupent dans l’emploi de ces unités une place largement supérieure à celle du maintien de l’ordre ». Cet abus - la Cour parle d'« emploi croissant » - des forces mobiles présente « un surcoût sensible, par rapport à l’emploi d’unités classiques ». Et pourquoi ? Pour des raisons simples, factuelles et compréhensibles : à cause des « contraintes inhérentes au déplacement et au logement des CRS ou des EGM » (escadrons de gendarmerie mobile), mais aussi de la « réduction de leur disponibilité globale, peu compatible avec leur fonction première de forces de réserve, notamment en cas de nécessités de maintien de l’ordre ».
En bref, ça coûte plus cher et... c'est inefficace !
- L'allocation des moyens et effectifs de sécurité est opaque : « la répartition des effectifs entre les départements les plus touchés par la délinquance et les autres, non fondée sur des critères objectifs connus, continue de manquer de transparence ». Fichtre ! Pourquoi donc le gouvernement Sarkozy n'a-t-il pas établi une meilleure allocation des moyens alors que les statistiques de la délinquance sont régionalement connues ? Erreur involontaire ou démarche volontaire ?
- Dans les grandes villes, le nombre de policiers ou gendarmes (agents de terrain, administratifs, etc) semble indépendant des niveaux de délinquance. La Cour note que l'affectation des moyens et effectifs dépend plutôt du nombre d'habitants. Ainsi, à Marseille en 2009, alors que la délinquance avait augmenté, le nombre de fonctionnaires de sécurité a ... baissé. Et des villes moins insécures telles Nancy, Dijon, Orléans et Reims avaient la même dotation... Et ce n'est pas tout. La Cour livre quelques statistiques édifiantes, un panorama des villes de banlieue parisienne, « pauvres ET mal dotées » en moyens de sécurité :
« Au 1er janvier 2009, certaines villes paraissaient mal dotées au regard de leur niveau élevé de délinquance, notamment celles qui avaient moins d’un policier pour 400 habitants alors que leur taux de délinquance était supérieur ou égal à 90 ‰ : Juvisy-sur-Orge et Massy (Essonne), Le-Blanc-Mesnil, Epinay-sur-Seine, Aulnay-sous-Bois, Les-Lilas et Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Ivry-sur-Seine (Seine-et- Marne), Sarcelles (Val d’Oise). Les Mureaux (Yvelines), Rosny-sous-Bois et Villepinte (Seine-Saint-Denis) avaient même moins d’un policier pour 500 habitants. Bondy, Clichy, Stains et Pantin avaient moins d’un policier pour 400 habitants avec un taux de délinquance supérieur à 100 ‰, de même qu’Aubervilliers avec un taux de 136 ‰. Or, pour beaucoup, ces villes ont subi une baisse de leurs effectifs au cours de la période sous revue : Aubervilliers (- 1,8 %), Epinay-sur-Seine (- 2,0 %), Le Blanc-Mesnil (- 9,5 %), Les Lilas (- 2,0 %), Montreuil (- 4%), Pantin (- 9,5 %), Rosny-sous-Bois (- 2,8 %), Stains (- 3,4 %)»Et à votre avis, quelles sont les communes mieux dotées ? Et bien citons la bourgeoise Raincy dont le député-maire est l'UMP Eric Raoult, prompt à donner des leçons comme « maire de banlieue de Seine Saint-Denis»; ou Gennevilliers et Puteaux (Hauts-de-Seine). Parmi les plus favorisées, on trouve La-Garenne- Colombes (Hauts-de-Seine)...
Sans commentaire.
La Cour reconnaît que « certaines des disparités relevées doivent être relativisées » par « le volume de l’activité consacrée à l’assistance judiciaire et au service d’ordre ». Mais ces facteurs ne suffisent pas à justifier de tels écarts car « les activités dites d’assistance, si elles sont contraignantes, ne représentent qu’une faible part du potentiel disponible (en moyenne 3,7 % en 2009 dans l’ensemble des CSP).»
Police municipale, pis-aller
La Cour a d'abord remarqué que « l’accroissement au cours de la période 2002-2009 des effectifs des polices municipales a été beaucoup plus important que celui des forces de sécurité de l’Etat ».
Elle a ensuite relevé que les policiers municipaux « tendent à devenir des forces de substitution de la police nationale.» Le problème est simple : les statuts et les formations sont différents, et toutes les communes ne disposent pas des moyens de sécurité publique suffisant pour compenser le désengagement de l'Etat... « L’ Etat paraît s’ accommoder de cette situation au nom du principe de libre administration des collectivités territoriales, mais surtout faute de moyens pour exercer une action régulatrice.»
Video-surveillance, jamais étudiée
La Cour des Comptes rappelle que le gouvernement s'est engagé à subventionner 40% du programme de video-surveillance évalué à 300 million d'euros sur la période 2010-2012, 60% restant à charge des collectivités locales. Mais la conclusion est terrifiante : « il aurait été souhaitable, notamment du fait de l’importance des sommes en jeu, qu’une évaluation de l’ efficacité de la vidéosurveillance accompagne, sinon précède, la mise en oeuvre, de ce plan de développement accéléré ». Le constat est factuel : y-a-t-il, oui ou non, étude préalable au lancement du plan de video-surveillance ? La Cour apporte la réponse : c'est non. Une nouvelle fois, on découvre que Nicolas Sarkozy s'est lancé sans préparation. « La France se caractérise par la quasi- absence d’ enquête scientifique sur le sujet. »
La Cour n'a trouvé qu'une étude du ministère de l'intérieur, aux « résultats contradictoires » et sans « enseignements fiables ». Enfin, le contrôle sur les projets de video-surveillance reste imparfait et insuffisant. En particulier, « la Cour et les chambres régionales des comptes ont souvent constaté la faible professionnalisation des agents communaux chargés d’ exploiter les systèmes de vidéosurveillance de la voie publique, notamment de visionner les images ».
Finalement, ce bilan, factuel dans ses constats, est simplement un coup de grâce, le dernier coup qui manquait pour achever la crédibilité sécuritaire de Nicolas Sarkozy.