La semaine, cette 217ème depuis le 6 mai 2007, a failli être parfaite. Tout était prêt et préparé. Une conférence de presse lundi, un déplacement fraternel avec Fillon mardi, la nomination de Lagarde attendue pour le milieu de semaine. Il ne restait plus qu'à sauver la Grèce en fin de semaine. Les premiers moments de ce scenario si bien écrit dans les bureaux de l'Elysée ne furent pas à la hauteur. On railla la grossièreté de la manoeuvre, le ridicule de la visite d'un élevage de poulets.
Mercredi, la chance souriait enfin à Nicolas Sarkozy : Christine Lagarde intronisée la veille au soir au FMI, puis la libération des deux journalistes otages français d'Afghanistan furent deux excellentes nouvelles. Mais dès jeudi, la mauvaise séquence reprenait. Un malotrus l'agrippa lors d'un déplacement, et, clou du spectacle, l'affaire DSK prenait un tour inédit : l'ancien leader socialiste pourrait être rapidement blanchi.
Nuisances sarkozyennes
Cette semaine, Nicolas Sarkozy avait un objectif et un seul, effacer l'opposition de l'agenda médiatique. Dimanche, Jean-Louis Borloo tenait ses grandes Assises centristes. Il lançait sa confédération, malgré tous les efforts des soutiers de Sarkofrance et de leur patron pour décourager le rival de se lancer dans la course à la présidentielle. Mardi, le Parti socialiste ouvrait sa primaire, et, à 11h30, la première secrétaire Martine Aubry conviait la presse dans une ancienne gare lilloise réhabilitée en centre culturel pour annoncer sa candidature. Mercredi après-midi, enfin, le résultat du premier tour de la primaire écologiste donnait Eva Joly en tête, suivi de Nicolas Hulot.
Lundi, le Monarque avait donc organisé une conférence de presse sur le Grand Emprunt. Il n'y avait aucune espèce d'urgence à faire cela. Sur les 35 milliards d'euros investis, à peine onze ont été engagés, neuf autres le seront d'ici la fin de l'année. Quand à dresser le bilan de ces « investissements d'avenir »... il était évidemment bien trop tôt. Pendant plus d'une heure, Sarkozy discourra donc de ses pôles d'excellence, de ses avions d'excellence, de ses laboratoires d'excellence, etc... Les journalistes baillaient et guettaient la petite phrase
Mardi, Sarkozy s'afficha aux côtés de Fillon, dans la Sarthe, le fief de son premier ministre. Les deux nouveaux meilleurs alliés, après 4 années de cohabitation difficile, se montraient chaleureux face aux champs, attentionnés en visitant un élevage de poulets fermiers de Loué, heureux de déguster les produits du terroir entourés d'une centaine de journalistes pas dupes. Un peu plus tard, une grande salle polyvalente du village voisin avait été remplies de militants UMP amenés dès le matin. La table ronde, filmée mais peu commentée, devait traiter de la sécuroté alimentaire. La seule proposition concrète, et risible, que l'on retint émanait de François Fillon, qui voulait qu'on labellise les Rillettes du Mans.
Sauvé par l'actu
Pour une fois, l'actualité sauva Sarkozy in extrémis. En fin d'après midi, la nomination de Christine Lagarde à la tête du Fond Monétaire international était confirmée. La grande nouvelle ! Enfin, une femme était nommée à la tête d'une telle institution internationale ! Six semaines après l'arrestation de son prédécesseur Dominique Strauss-Kahn puis son inculpation pour viol et agression sexuelle contre une femme de chambre dans un Sofitel new-yorkais, la désignation de la Française Lagarde était un formidable contre-pied.
Le rôle réel de Sarkozy dans ce succès est finalement très mineur : on lui doit la nomination, puis le maintien de Lagarde à la tête du ministère des finances depuis 2007. Et on imagine qu'il a tout fait pour déplacer le jugement de la Cour de Justice de la République à juillet, dans le cadre de l'affaire Tapie/Crédit Lyonnais. Mais pour le reste, la ministre avait peu de concurrents dans cette élection. Son adversaire, un Mexicain, se posait en porte-parole des pays pauvres ou émergents. De quoi effrayer les Etats-Unis. Et l'Europe a 36% des droits de vote.
En France, le bilan de Christine Lagarde est médiocre. Elle n'avait pas la main sur le Budget, soigneusement retiré dès 2007, de son périmètre par Nicolas Sarkozy. Ses prévisions de croissance furent systématiquement surévaluées, sauf en 2010 (nous sortions du désastre); sa chasse aux niches fiscales resta dérisoire. Les paradis fiscaux, contre lesquels Sarkozy l'avait mandaté de sévir au sortir de la crise, sont toujours là. Elle a défendu un paquet fiscal inefficace en 2007 qui, complété d'autres défiscalisations comme la baisse de la TVA sur la restauration, a largement grevé le déficit structurel du pays, comme l'a relevé la Cour des Comptes. On loua sa gestion de la crise bancaire, alors qu'elle ne fit que suivre, comme Sarkozy, les recommandations d'un Gordon Brown plus habile contre le « credit-crunch » qui menaçait d'asphyxie financière toute l'économie. Obéissante, elle a prêté aux banques, et à l'industrie automobile dès l'automne 2008, sans contre-partie sur la gestion (normal, ces entreprises payaient déjà des agios hors marchés), à tel point que deux ans plus tard, les inquiétudes demeurent sur les effets désastreux des délocalisations et de la spéculation. Elle a instruit l'arbitrage favorable à Bernard Tapie dans son litige avec le Crédit Lyonnais, applaudit le pantouflage de François Pérol et d'autres pontes de Sarkofrance dans le privé.Bref, en 4 ans de mandat, Lagarde a couvert de son déconcertant sourire une obéissance inefficace, sans vision et parfois coupable.
Mercredi, la nouvelle de libération des deux otages français Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier réjouit l'Assemblée nationale et le pays tout entier. Jeudi, l'arrivée des deux Français sur le sol national, à l'aéroport, devait être discrète. Les médias s'arrachèrent quelques clichés pris au télé-objectif. On avança le talent de négociation d'Alain Juppé et de nos services secrets. Même l'écologiste Eva Joly loua ce formidable succès, tout en promettant de poser plus tard les questions qui fâchent. Le récent retrait (partiel) des troupes françaises et américaines d'Afghanistan a sans doute joué. A l'Elysée, on laisse Juppé et Fillon se pavaner dans les médias ou à l'Assemblée. Mais on dément toute rançon. On se souvient qu'en 2007, le Qatar avait payé la rançon demandée par Kadhafi pour libérer les infirmières bulgares. Les Talibans expliquèrent avoir procédé à un échange de prisonniers.
Mauvais DRH
Sarkozy pouvait donc jubiler. La couverture médiatique de cette semaine fut tout à son avantage, et, a minima, la déclaration de candidature de Martine Aubry fut bel et bien occultée.
Et pourtant. Il ne fallait chercher bien loin pour s'apercevoir que ce spectacle n'était que théâtre. Une fois de plus, le ver était dans le fruit, et le mal au coeur de l'exécutif sarkozyen. Le départ de Lagarde, d'abord, a déchiré quelques quadras ambitieux de se placer au plus haut pour assurer leur avenir.
Est-ce le « service de la France » qui conduisit l'ancien chiraquien François Baroin, actuel porte-parole et ministre chouchouté du Budget, de menacer Fillon de quitter le gouvernement s'il n'obtenait pas le strapontin de l'Economie ? Baroin pensait au prochain G20, et voulait lui aussi marcher sur le tapis rouge de Cannes, en novembre prochain, aux côtés des grands du G20.
Est-ce le « service de la France » qui propulsa Valérie Pécresse au Budget, et Laurent Wauquiez à l'Enseignement Supérieur ? Alors que la Cour des Comptes, la semaine dernière, dénonçait un budget à la dérive et un endettement public qui s'emballe, voici qu'on place une novice à la tête du Budget. Alors que la zone euro menace de sombrer à la faveur des tourments grecs, voici qu'on change de ministre des affaires européennes...
Est-ce pour le « service de la France » que Nicolas Sarkozy débaucha 3 centristes, quelques jours après le lancement de l'Alliance centriste de Borloo ? Quelle urgence nationale y-avait-il à créer un secrétariat d'Etat aux Français de l'Etranger et de le confier à David Douillet ? Dans 10 mois, quelques 4 millions d'expatriés pourront enfin élire leurs députés. Il fallait une star au coeur du gouvernement Sarkozy pour choyer ce nouvel électorat.
Piètre président
Plutôt que de parler poulet ou grand emprunt, Sarkozy aurait pu s'inquiéter de l'envolée du chômage. La nouvelle a rapidement disparu des radars médiatiques. A fin mai, le nombre de sans-emploi a bondi de 0,7%. Et l'augmentation général du chômage atteint 151.000 personnes sur 12 mois, la plus forte hausse depuis ... octobre 209. Quelle reprise !
Ce vendredi 1er juillet, la réforme des retraites entre en vigueur. Quelques milliers de Français comprennent qu'ils doivent encore attendre 4 mois de plus pour partir à la retraite. Et s'ils sont en fin de droits au chômage, ils découvrent qu'ils n'ont plus droit à l'Allocation équivalent retraite, cette pré-retraite qui permettait de faire la soudure jusqu'à la retraite. C'est normal... Sarkozy l'a supprimée en 2009. Allez donc quémander votre ASS à 450 euros par mois. A moins, que vous ne soyez invalides à 20% après 17 années d'exposition à un risque professionnel...
Mercredi, la France a discrètement reconnu avoir livré des armes aux rebelles libyens. C'est toujours plus glorieux que d'équiper la police de Ben Ali en grenades lacrymogènes quelques jours avant la chute du dictateur tunisien en janvier dernier. Mais cette fois-ci, l'Union africaine, qui soutenait pourtant l'offensive onusienne depuis le 19 mars dernier, a condamné la France.
Un malheur, en Sarkofrance, n'arrivant jamais seul, Nicolas Sarkozy subit un sale jeudi. A Brax, petit village de 2.400 habitants qu'il avait fait au préalable bouclé et sécurisé, le Monarque fut « agrippé » par un spectateur. Tandis que certains médias admiraient la rapidité de la neutralisation de l'agresseur, d'autres observateurs notèrent que finalement la foule compacte filmée au plus près du passage du Monarque n'était en fait qu'une maigre rangée de badauds...
Dans une autre affaire, l'enquête sur l'attentat de Karachi, on apprenait que les deux juges instructeurs avaient trouvé la trace de 23 millions de francs en espèces douteuses dans le financement de la campagne de l'ancien mentor de Nicolas Sarkozy, Edouard Balladur, en 1995. 23 millions, et non pas 10 comme on le croyait initialement.
Enterré par l'actu
Le vrai choc fut pour vendredi. Notre Monarque s'apprêtait à partir pour Monaco, assister ce weekend au mariage princier. Il n'avait pas encore lu l'article du New-York Times, publié dans la nuit. Selon les journalistes du quotidien, les enquêteurs du procureur qui mène l'accusation contre Dominique Strauss-Kahn ont découvert que la prétendue victime n'est pas celle qu'elle disait être; elle a menti sur son passé, elle a reçu 100.000 inexplicables dollars l'année dernière. Juste après l'agression présumée de DSK, elle nettoyait une autre chambre. Et quelques heures plus tard, le jour même de ses rapports sexuels, prouvés par examens ADN, elle demandait à un proche emprisonné pour trafic de drogue comment ou si elle pouvait tirer quelque bénéfice financier de cette affaire.
Vers 17 heures, un juge new-yorkais libérait DSK sur parole. L'accusation de viol est maintenue. Mais qui croire ? A Paris, les ténors socialistes, surtout les strauss-kahniens, confiaient leur joie, ou leur espoir. On supputait déjà sur son éventuel retour, son éventuelle candidature. François Hollande, nouveau leader des sondages, était prêt à décaler la clôture des inscriptions aux primaires socialistes.
A l'Elysée, on imaginait Nicolas Sarkozy abasourdi, comme d'autres, par ce coup de théâtre.
On pouvait enfin, comme Julien Dray, s'interroger. La direction du Sofitel local s'est-elle emballée toute seule ? Pourquoi certains policiers new-yorkais ont-ils fuité aussi vite des informations finalement démenties par l'enquête ? Pourquoi les médias français se sont-ils emballés ?
A Paris, Nicolas Sarkozy avait disparu des radars médiatiques et perdu un bel avantage.
Ami sarkozyste, où es-tu ?