Des avocats, du juridique au médiatique
Certes, il y a toujours des avocats "médiatiques" dans l'actualité. Parfois médiatiques et anonymes comme Maître Eolas dont le blog est l'un des plus fréquentés. Sur Twitter ou Facebook, d'autres confrères s'expriment, à visage couvert ou découvert. Dans les gazettes, les noms des "ténors" du barreau, sont trés souvent inscrits en Une ou cités à longueur d'articles, à l'occasion de telle ou telle affaire. Généralement pénalistes, ces avocats sont souvent filmés tels que submergés par des forêts de caméras à la sortie de telle audience pour des déclarations tonitruantes - et de moins de 140 signes par phrase - qui feront le bonheur de Twitter et des agenciers. A quelques exceptions prés, tant mieux. Les choses sont ainsi faites qu'un client ne se defend pas qu'à la barre mais aussi dans le couloir.
L'affaire DSK le démontre presque jusqu'à la caricature. Conférence de presse des avocats devant le Tribunal, analyses d'avocats sur tous les plateaux des chaines de télévision d'information continue, articles à foison sur la vie et l'oeuvre du conseil de l'ancien directeur du FMI.... Les avocats ont été partout dans cette affaire autant juridique que médiatique. Il en était de même pour l'affaire du trader de la Société Générale ou lors du Procés Erignac... "L'américanisation" du droit passe ici par la médiatisation de ses acteurs. Inutile de s'en féliciter ou de le déplorer : c'est ainsi et la tendance est à la hausse.
Attention, la communication ne suppose pas toujours l'exposition. Certains cabinets communiquent ainsi beaucoup sur le fait qu'ils ne communiquent pas. Le problème est assez compliqué car ces cabinets, souvent anglo saxons, communiquent sur une marque et alimentent constammment la presse professionnelle de leurs succès dans telle ou telle opération de fusion absorption. Il suffit de lire la Lettre des Juristes d'affaires pour s'en convaincre. Reste que même les cabinets qui ne communiquaient que sur une marque et non sur la personnalité de leurs avocats se mettent à personnifier leur communication. Difficile de développer un grand cabinet sans s'exposer. Il est même possible de lire de trés nombreux articles de presse sur tel grand avocat d'affaires qui assure assurer à ses clients la plus complète discrétion. En réalité, paradoxalement, prendre un avocat connu peut aussi être le meilleur moyen de s'assurer que personne ne saura que l'on prend un avocat, si tel est le but recherché. Compliqué donc.
Des avocats, du juridique au politique
Les "ténors du barreau" n'ont sans doute jamais été aussi présents, profitant notamment d'un reflux assez net auprés des journalistes de la figure du Juge. Non seulement, les Avocats font parler d'eux dans les journaux mais ils investissent les lieux de pouvoirs. Prenons la prochaine présidentielle : plusieurs candidats dont Jean-Louis Borloo, Nicolas Sarkozy ou Arnaud Montebourg sont d'anciens confrères. Et le flux entre le Barreau et la Politique est à deux sens : chaque semaine ou presque des hommes et femmes politiques prêtent serment devant la Cour d'appel de Paris. Anciens ministres ou députés préparent leur avenir ou changent de vie en créant ou en intégrant des cabinets qui acquiérent ainsi une notoriété, un carnet d'adresse ou des compétences précises, parfois tout cela à la fois, parfois rien de cela.
Ici aussi, la chose n'est pas nouvelle. Les avocats étaient présents dans la vie politique de la 3ème République avant d'être "concurrencés" par les anciens élèves de l'ENA au cours de la 5ème. L'histoire est aussi faite de flux et de reflux. Reste qu'à l'heure actuelle, les mérites de la gestion parfois technocratique de la chose publique et du discours gris ont manifestement lassé et qu'un peu de Verbe et d'Eloquence permettent de renouveler un discours politique qui s'estconsidérablement affadi. Le fond et la forme étant liés, un peu de rhétorique ne fait pas de mal. L'emphase peut aussi créer l'empathie n'est ce pas.
En toute hypothèse, il est trés instructif de décrypter le fond et la forme des propos des politiques qui ont exercé au Barreau. On peut alors identifier de nombreuses techniques argumentaires que l'on retrouve dans les salles d'audience. La question posée par le journaliste ne vous plaît pas ? Il est alors utile d'y répondre par une autre question à laquelle on répondra. Se poser ses propres questions est précieux et plus commode. On gagne du temps. Le Chef de l'Etat excelle dans cet art. Lors d'une interview télévisée, ses questions sont souvent plus nombreuses que celles posées par les journalistes présents. Manier le contradictoire, faire des phrases courtes, manier les images et les métaphores, éviter les formules négatives qui se retournent contre soi, créer des contradictions dans le discours adverse....autant de techniques de langage indispensables en politique.
Les communications de l'Avocat
Toutefois, la "communication" est un objet aussi décrié qu'imprécis. Il serait sans doute utile de consacrer de plus amples développements à ce qu'est exactement cette matière qui n'est pas vraiment une science mais un art de plus en plus rationnalisé, avec ses règles. D'une particulière complexité au demeurant. Inssaissable souvent.
Tentons d'identifiquer quelques uns des aspect du rapport de l'Avocat à la communication.
La communication sert tout d'abord à trouver un emploi. Certains élèves avocats, encore à l'Ecole du Barreau et à la recherche d'une première collaboration comprennent trés vite qu'il peut être trés utile de se faire connaître de leurs futurs "patrons" avant et plus que les autres. Il est ainsi précieux d'écrire des articles dont les références seront mentionnées sur le CV. Il est également intéressant, en cours de stage, de ne pas se terrer au fond de la bibliothèque mais de se faire connaître d'un maximun d'avocats en leur adressant la parole, voire parfois, en profitant de leurs propres réseaux. Enfin, la diffusion d'un CV sur les réseaux sociaux (en prenant soin de les sélectionner) est une excellente initiative dans la mesure où elle est bien maîtrisée. Gérer sa réputation sur internet devrait faire l'objet d'un enseignement à l'Ecole du Barreau. Trop de nos jeunes confrères laissent encore en accès libre des photos de soirées arrosées publiées sur internet et consultables par n'importe quel employeur ou, pire, par n'importe quel client potentiel.
La communication - interne - permet de faire tourner un cabinet. Etre associé c'est être aussi responsable des parcours professionnels d'autres hommes et femmes : collaborateurs(trices), secrétaires, assistants, juristes, documentalistes, consultants, comptables, partenaires... Communiquer revient alors à exposer ses choix, à orienter et coordoonner les travaux de toutes et tous, à convaincre. Bref : à travailler. Cette communication interne peut se prolonger auprés de ses confrères. Car les dossiers viennent aussi de la part des autres confrères. Un spécialiste en droit de la propriété intellectuelle pourra ainsi orienter un dossier de permis de construire vers un avocat en droit public. Cette communication interne au barreau peut aller de l'adhésion à un syndicat jusqu'à la présentation de sa candidature au Conseil de l'Ordre.
La communication sert bien sûr aussi à se faire connaître et donc à informer des clients potentiels de sa seule existence puis de ses compétences. Pour ce faire, de multiples manières de faire sont possibles : dîners en ville, relations presse, cercles divers et variés, blogs, associations, articles, livres, etc... Des agences spécialisées dans la communication des cabinets d'avocats ont d'ailleurs été créées, parfois par d'anciens confrères. Le marché de la communication des avocats existe et connaîtra sans doute encore de beaux jours. Je rencontre de plus en plus de confrères qui reconnaissent avoir réalisé un média training.
La communication permet par ailleurs à l'avocat d'analyser ... la communication de son client. Je suis de plus en plus souvent saisi par des agences ou des sociétés qui souhaitent savoir si tel support de publicité, telle campagne ou tel rapport de développement durable est susceptible de comporter un risque juridique ou contentieux. S'intéresser au droit de la communication ne suffit évidemment pas : il faut aussi s'intéresser à la communication elle-même.
La communication est cependant à double tranchant. Il est particulièrement dangereux de communiquer dans un domaine que l'on ne connaît pas. Cela finira un jour ou l'autre par se voir. Crier partout que l'on est le meilleur avocat en droit des marques sans avoir jamais traité un dossier dans cette branche revient à prendre un risque considérable. Le bouche à oreille demeurera toujours le premier moyen de faire ou de défaire la réputation d'un avocat. Si le buzz médiatique est contraire à ce bouche à oreille, il y a fort à parier que c'est ce dernier qui l'emportera.
Le droit de l'environnement constitue de ce point de vue un trés bel exemple. Lorsque j'ai choisi de me consacrer à cette matière, il y a une petite décennie et bien avant le Grenelle de l'environnement, nombre de mes professeurs et de camarades se sont demandés pourquoi je décidais de refuser par avance une belle carrière. Quel gâchis ! Au demeurant, consacrer son sujet de thèse représentait une forme d'assurance de n'être jamais agrégé. J'étais même promis à "finir au fond d'une poubelle" à vouloir ainsi traiter de droits des déchets. Réaliser des "due diligence" en "corporate" aurait été bien plus profitable du point des "invoice". Les cabinets proposant des compétences en droit de l'environnement se comptaient alors sur les doigts d'une seule main. Désormais, la concurrence a explosé et tous les grands cabinets se sont dépêchés, au lendemain du Grenelle, de créer des départements en droit de l'environnement et/ou du développement durable. Le droit de l'environnement sort de l'ombre, est pris au sérieux et il faut s'en réjouir. Reste qu'afficher cette compétence sur son site internet alors qu'aucun collaborateur au cabinet ne sait ce qu'est une installation classée peut s'avérer délicat et finit toujours par se savoir.
Clients, dossiers et communication
La communication sert - dans certains cas - à défendre ses clients. Ils sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à choisir un avocat, non seulement en raison de sa compétence juridique mais aussi en fonction de sa capacité à parler aux journalistes, à diffuser une idée au plus grand nombre, à raconter une histoire dans une époque de storytelling renforcé.
L'avocat travaille de plus en plus avec des communicants professionnels pour la préparation d'un procès ou d'une négociation sensible. Le temps d'une affaire, l'avocat devient en quelque sorte le porte parole de son client, particulier ou grand groupe. La gestion de la procédure elle-même est souvent fonction de l'articulation entre le temps du droit et celui de la communication. Le problème tient à ce que le temps du droit est souvent bien plus lent et long que celui de la communication, souvent en temps réel.Cela n'est toutefois pas toujours un handicap. La lenteur d'une procédure peut aussi jouer en faveur des intérêts d'une partie. Articuler le temps du droit et celui du média est de plus en plus souvent au nombre des enjeux d'un dossier. A l'évidence, introduire un recours le 15 août ou le 31 décembre n'aura pas le même impact que de le faire hors période de vacances scolaires, alors que l'actualité juridique n'est pas trop chargée. Le métier d'avocat évolue. Ce qui contribue également à en faire un métier aux mutliples facettes et décidément passionnant.