Nos mémoires sont ourdies d’images et d’écrits. Le tissé scelle une histoire, manifeste du texte et évoque des mythologies. Ici ou ailleurs, dans notre passé ou présentement, trame et chaîne travaillent et instaurent des successions.
Des figures s’imposent …
C’est décidé, je ne tiendrai pas le fil d’Amina par le biais de l’Odyssée. Je laisse Pénélope à son Homère ; Arachné à Ovide ; Ariane à Eschyle ; … ; Je laisse ces fileuses à leur récréation et me permettrai quelques éloignements.
C’est résolu, je fermerai la porte à Freud et à son for da ; je clorai la fenêtre théorique de la pudeur et du destin biologique de Dora.
Les tissages d’Amina m’invitent plutôt à un égarement et m’autorisent le temps d’un texte à vous faire part de l’anecdote de l’œil qui lit et de la filature du regard qui construit.
Par nécessité l’égarement ne saurait être compagnon de la vitesse, il ne peut s’accomplir qu’en commerçant avec la lenteur. L’égarement du lecteur se plie à la cadence du corps qui tisse, à la convenance d’une horizontale qui ne cesse de se dessiner puis de dévier de sa trajectoire.
Pour Amina, la trajectoire n’est pas planifiée d’avance, emprunte selon l’instant des raccourcis contingents ou des chemins controversés du non plan.
Amina n’a pas peur des aléas de la matière. Elle ne craint ni l’inconstance des courbes ni le hasard des calibres ni celui des épaisseurs.
Car le fil est son royaume, la couleur sa principauté.
Le corps tissant, celui qui s’abandonne au métier et à sa rectitude, celui qui accommode et s’accommode avec son matériau est déjà porteur d’une esthétique de la lenteur. Sans l’avoir accompagnée, je la vois penchée sur son métier, soucieuse de ses gestes, attentive à ses choix, consciente plus que jamais d’elle-même, du temps et de la vie. Tout en lenteur, décidant et tissant à la fois, elle peint une frontalité de l’instant, arrange ses couleurs au gré du moment.
Le carton étant bien évidemment absent, du moins dans sa dimension d’excellence et de programmation.
Relégué à d’autres mains, le travail d’Amina changerait complètement de donne. L’efficacité de l’instant céderait très vite la place à l’utilitarisme et à ses segments.
Par son art et sa manière, par le doux de la laine et de sa chaleur, L’artiste prend le temps de nous rouvrir les fenêtres du plaisir de la lenteur. Elles nous concilient ainsi avec quelques flâneurs d’antan. Entre ses mains, la laine s’arabise et se soufise …
Nadia Jelassi
Tunis, 9 Juillet 2011