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Maus, L'intégrale - Art Spiegelman

Par Belzaran

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Titre : Maus, L'intégrale
Scénariste : Art Spiegelman
Dessinateur : Art Spiegelman
Parution : Novembre 1998

Après la Seconde Guerre Mondiale s’est posé une question : comment raconter les horreurs de la Shoah ? Fallait-il tout dire, tout expliciter ? Les survivants n’étaient pas tous d’accord sur les moyens d’exprimer l’horreur afin qu’elle ne revienne plus jamais. Art Spiegelman, dont les parents ont survécu à Auschwitz, a décidé de le faire en bande-dessinée. Cela lui a valu un prix Pulitzer en 1992. Il est à ce jour le seul auteur de bande-dessinée à avoir reçu ce prix prestigieux.

J’avoue que j’ai commencé cette lecture avec beaucoup d’appréhension. Le thème traité me rendait méfiant. « Maus » était-elle une œuvre avant tout de mémoire ou possédait-elle d’autres qualités, bédéistiquement parlant ? Rapidement, j’ai été rassuré.

L’utilisation de la bande-dessinée comme support prend tout son sens ici. De par son trait simple et l’utilisation d’animaux pour figurer les personnages, Art Spiegelman diminue d’emblée l’horreur visuelle et peut ainsi se permettre d’être beaucoup plus factuel. Et des faits, il y en a… Racontés par son père (sa mère étant décédée), ils sont narrés avec beaucoup de précisions. Les protagonistes ne sont jamais vraiment jugés, chacun essayant plus ou moins de survivre. L’accent est mis sur leur individualité. Spiegelman parle ainsi avant tout d’humains, avec leurs défauts et leurs qualités. Malgré le parti pris de représenter chaque « classe » par un animal (les juifs sont les souris, les allemands des chats, les polonais des cochons, les américains des chiens…), il démonte l’aspect communautaire en montrant que l’on retrouve des comportements divers et variés partout. L’apparente simplicité du propos (les souris sont chassées par les chats eux-mêmes chassés par les chiens) cache beaucoup plus de subtilité.

L’aspect documentaire est assez incroyable de richesse. Basée sur des conversations enregistrées entre Artie et son père, l’histoire est pleine de détails que l’on n’imagine pas ou peu, notamment dans la vie au camp d’extermination. Car le père raconte avant tout son quotidien, il ne focalise pas sur l’horreur.

Mais le point fort de Spiegelman est sa capacité à proposer une narration à plusieurs niveaux. Ainsi, on le voit parler avec son père et son père parle des évènements. Mais le tout est englué dans le quotidien. Ainsi, il n’est pas rare qu’en arrivant à des moments cruciaux, le père arrête de parler car il est fatigué ou parce qu’ils doivent passer à table… Si bien que l’on a vraiment l’impression de découvrir l’histoire en même temps que l’auteur.

Cette œuvre est avant tout le portrait du père de Spiegelman, ce qu’il a été pendant la guerre et ce qu’il est aujourd’hui. La description est sans concession, l’auteur le décrivant comme quelqu’un de colérique, avare (ce qui pose d’ailleurs problème à l’auteur, obligé de décrire son père comme le stéréotype du juif radin) et raciste… Mais également débrouillard, courageux et profondément amoureux de son ancienne femme.

Spiegelman en profite pour exorciser également ses démons intérieurs. On le retrouve en psychanalyse au début du deuxième tome, portant un masque de souris et parlant du succès de son premier livre. Il parle de sa peur d’avoir ridiculisé son père aux yeux du public, de son angoisse de ne pas être à la hauteur pour parler des camps d’extermination, de sa culpabilité envers ses parents qui ont survécu à Auschwitz… En parlant de son œuvre dans l’œuvre, Spiegelman montre sa capacité incroyable de narration. Les différents niveaux s’accumulent sans gêner la lecture. Ainsi, quand Artie demande à son père s’il a pu oublier il lui répond : « j’avais oublié mais avec ton livre, tout me revient. »

Le trait animalier de Spiegelman est simple et fort à la fois. Entièrement noir et blanc, il sert avant tout de support à l’histoire. Mais cela va plus loin. La simplicité extrême du dessin n’est pas purement pratique. Tous les personnages se ressemblent tellement (du moins dans une même communauté) qu’il devient difficile de les distinguer. Cela se fait avec les vêtements ou un accessoire (les lunettes pour montrer un âge plus avancé par exemple), mais Spiegelman ramène chaque personnage au clone de l’autre, comme une image du stéréotype. Ainsi, le dessin renforce d’autre plus le cloisonnement des gens dans une image générale que l’on veut bien leur donner.

« Maus », de par tous ses aspects, est un véritable chef-d’œuvre. Certes, le sujet traité lui donne une place à part mais il serait dommage d’y voir uniquement un témoignage sur la Shoah. C’est bien plus que ça. Du grand Art.

par Belzaran

Note : 19/20


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