Ami lecteur, n'aborde pas ces lignes avec effroi : non, je ne traiterai pas ici d'un sordide scandale zoophile impliquant un candidat à la présidentielle et un petit rongeur inoffensif. Le mulot dont je parle n'est pas un animal, ni même à proprement parler un objet, d'ailleurs. Il est un symbole et une métaphore, celle du rapport continuellement compliqué des responsables politiques français aux nouvelles technologies.
On se souvient du premier mulot, ce nom donné à la souris informatique par le Chirac des Guignols de l'Info, après que le vrai Chirac avait fait preuve d'une certaine ignorance en la matière lors de l'inauguration de la nouvelle BNF. Il y avait beaucoup de choses révélées dans cette approximation technologique des deux Chirac : l'apparition fracassante de l'informatique dans la vie des Français ; le choc générationnel autour de cette apparition, et aussi la fracture entre des " vieilles élites " et la société qui bouge ; autant de phénomènes que l'on pouvait considérer avec, au choix, tendresse ou légère consternation.
De l'eau - 15 ans - a depuis coulé sous les ponts. Le choc de la massification de l'informatique puis d'Internet a été digéré et intégré, sur le principe au moins, par les responsables politiques, qu'ils s'y intéressent " nativement " ou qu'ils veillent à s'entourer de collaborateurs plus experts qu'eux-mêmes sur ce questions. L'avantage qu'on peut en tirer en termes d'image, de même que la nécessité d'être présent coûte que coûte sur le front des dernières innovations (les réseaux sociaux en l'occurrence), sont généralement compris. Pour autant, observe-t-on un effort de compréhension intime de ces phénomènes, ne se contentant pas d'un regard superficiel ? Y a-t-il une volonté, pas seulement de ne pas être largué, mais de maîtriser, dominer ces nouveaux champs d'action et leurs implications à moyen et long terme ?
On peut en douter. Fortement. Pour ne prendre que cet exemple, l'échec retentissant des tentatives conjointes de l'UMP et du PS pour développer une stratégie en termes de réseaux sociaux - l'échec des Créateurs de Possibles et de la CooPol, " prophétisé " sur Variae dès leur lancement - traduisait tout à la fois un manque de stratégie, de compréhension des technologies (et de leurs usages) mises en jeu, et une propension assez évidente à ne pas savoir choisir les bonnes personnes pour faire le job. Syndrome du mulot : je veux montrer que je m'intéresse à l'ordinateur, sans doute même que je m'y intéresse réellement, mais quand j'ouvre la bouche, c'est la catastrophe ; catastrophe que pourrait éviter un minimum de travail sérieux (et humble) en amont. Un simple effort de s'intéresser au monde qui va et qui est celui de ses contemporains - ce qui ne semble pas un objectif hors de portée, ou sans intérêt, pour un responsable politique.
C'est encore à ce syndrome du mulot que je pensais en parcourant ce matin un article du Point consacré à l'appropriation des réseaux sociaux, et de Twitter en particulier, par les candidats socialistes aux primaires. Quelques propos saisissants de Martine Aubry y sont rapportés : " Facebook et Twitter, j'ai horreur de ça... C'est typique de cette société où chacun pense à son nombril... Et puis tous ces faux amis... Ce n'est pas mon truc d'expliquer mes états d'âme. La vie, c'est aussi être libre de regarder autour de soi [...] Par exemple, je ne vais pas raconter Je vois un chariot sur le quai ! D'ailleurs, il est renversé ! [...] [les réseaux sociaux ont] pu être utiles, pendant les révolutions arabes, par exemple ". Et l'explication de la Première secrétaire du Parti socialiste d'être justifiée par son collaborateur : " [...] Et elle a raison de le dire, même si ça donne l'impression de jeter le bébé avec l'eau du bain " Aubry n'est pas dans l'autoglorification d'elle-même, disant j'ai fait ça, c'est bien !
Quelques propos, mais très significatifs, et donc intéressants. On y apprend plusieurs choses : que les réseaux sociaux ne seraient qu'un des aspects d'une société égotiste, voyeuriste et exhibitionniste ; qu'ils ne serviraient qu'à parler de soi, ou dire ce que l'on voit ; enfin, que ce serait une forme de sincérité et donc d'habileté politique de dire publiquement cela, puisque c'est ce que pense réellement Martine Aubry.
Reprenons point par point. Premièrement, sur l'usage des réseaux sociaux. Évidemment, il est exact qu'ils favorisent une forme d'exposition de soi qui, par ailleurs, correspond à une . L'utilité et l'intérêt des réseaux sociaux sont donc loin de se limiter à leur capacité révolutionnaire au Maghreb, capacité tendance de notre société ; tendance que l'on est droit de critiquer ou, à titre personnel, de refuser. Mais réduire les réseaux sociaux à cela traduit une naïveté et une méconnaissance certaines. Même les profils Facebook ou compte Twitter les plus ineptes se limitent rarement à cette fonction d'étalage de sa vie privée : viennent s'y mêler des usages de communication, de discussion, de partage de médias ou d'information. Au fond, la réalité du réseau social est bien plus l'échange que l'égotisme. Même réflexion pour les " " : une tentative, ne serait-ce que minime, d'essayer ces réseaux permet de comprendre que ce qu'on y appelle " " (ou , etc.) porte mal son nom et correspond en réalité à une modalité relationnelle nouvelle, et qui reste à définir, mélange à doses variables d'accointance, de relation professionnelle, de copinage, de partage de centres d'intérêts, . Les usagers des réseaux sociaux en sont très conscients et ne pensent pas avoir 300 quand ils ont 300 d'ailleurs elle-même surestimée et donc ici quelque peu caricaturale.
Sur la sincérité et l'honnêteté ensuite. On ne demande pas à Martine Aubry de jouer un rôle ou de mentir - je pense comme elle que c'est la voie royale pour un échec communicationnel, et politique, majeur. Mais même sans appétence personnelle, comment ne pas attendre de la peut-être future Présidente de la République qu'elle s'intéresse suffisamment à ses concitoyens pour tenter de comprendre leur intérêt pour ces réseaux ? Va-t-elle présider un pays de " ", ce pays aux 20 millions de comptes Facebook où " chacun pense à son nombril " ? Plus qu'une maladresse, c'est la traduction d'un regard étonnant sur ses concitoyens. Elle pourrait, devrait dire : . Et puisqu'on parle de sincérité, pourquoi la candidate développe-t-elle une présence sur Twitter, si elle en pense tellement de mal ? La sincérité revendiquée pourrait être comprise, en poussant un peu, comme une forme de cynisme politique ! ce n'est pas mon truc, mais je comprends que pour telle et telle raison positive les Français s'y intéressent
Tout cela est d'autant plus agaçant qu'on sait la maire de Lille femme de culture, et entourée de bons connaisseurs de l'Internet, ceux-là qui lui ont sans doute inspiré " (!). Pourquoi alors cette parole de dépit, la tribune, qu'elle avait signé avant d'entrer en campagne, sur la " France connectée qui rappelle le geste d'un JF Kahn ou d'un Patrick Sébastien il y a un an, confondant Internet tout entier et de ses aspects négatifs ?
Le mulot rôde donc, et menace, je n'ai aucune illusion, . Peut-être pourraient-ils finir par tous les candidats à la présidentielle. A un moment, peut-être pourraient-ils faire l'effort de comprendre que l'on ne parle pas d'un gadget parmi d'autres, mais d'un ressort essentiel de l'économie et de l'innovation, et surtout de la vie quotidienne de la France - d'en-bas, du milieu, d'en-haut, prendre exemple sur Obama, plutôt que d'en .
Romain Pigenel
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