J’ai accordé une interview au webzine Atlantico en réponse à la question « Les valorisations mirobolantes des grandes entreprises du web, comme les réseaux sociaux, sont-elles en phase avec la réalité ? »
David Fayon : Il existe un risque certain de bulle spéculative, car 70 milliards de dollars pour Facebook, qui compte environ 350 millions d’utilisateurs actifs (pour près de 700 millions de comptes soit un peu plus de 500 millions d’utilisateurs), cela valorise 200 dollars l’utilisateur ! Or, les utilisateurs rapportent pour l’heure tout au plus quelques dollars par an en publicité, ce qui est largement insuffisant pour rentabiliser les investissements, même sur plusieurs années. Cette survalorisation résulte d’hypothèses quant à une croissance future de l’entreprise qui capitaliserait sur la base de données gigantesque qu’est en train de constituer l’entreprise, mais aussi d’un phénomène de panurgisme : on investit sur les réseaux sociaux car tout le monde le fait.
Toutefois, certains réseaux sociaux sont plus sains que d’autres. LinkedIn, par exemple, ne repose pas uniquement sur la publicité, mais aussi sur les recettes de ses abonnements Premium, qui subventionnent le développement d’un service pour tous. Malgré ses 100 millions de comptes, il n’est donc pas victime d’une bulle spéculative.
Il faut également garder en tête l’une des spécificités d’Internet : beaucoup d’entreprises n’ont pas été rentables pendant plusieurs années, privilégiant une stratégie de conquête de marchés et d’audience, pour ensuite engranger les bénéfices. Par exemple, Amazon a dû attendre quatre ou cinq ans avant de gagner de l’argent, et c’est sûrement la politique actuelle de Facebook : développer dans un premier temps la base de données, et penser ensuite à la rentabilité.
Le rachat de Skype par Microsoft repose-t-il sur un même enthousiasme spéculatif ?
Microsoft a pris le train d’Internet en marche, mais il ne faut pas le sous-estimer : racheter Skype peut permettre d’offrir de la téléphonie par IP dans sa suite bureautique Office de demain. Toutefois, il est impossible de savoir si Microsoft pourrait concurrencer les réseaux sociaux (il détient une part minoritaire et symbolique de Facebook) : c’est donc aussi un pari.
La bulle peut-elle exploser ?
Tout le monde a en mémoire la bulle de mars 2000 : le secteur a été écrémé, et certains en ont profité. Google a par exemple racheté des sociétés déclinantes et attiré les meilleurs talents qui se sont retrouvés au chômage. Il y aura donc peut-être bientôt une correction, avec certaines valeurs qui seront ébranlées, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas croire en l’avenir.
Le secteur est solide pour les acteurs qui ont du cash : même s’il y a une bulle 2.0, Microsoft, Apple et Google la passeront sans problèmes, car ils ont des profitabilités à deux chiffres (25% pour Google !). Le risque, c’est que les business angels réduisent alors le financement des nouvelles start-ups innovantes.
L’époque reste toutefois porteuse de grandes opportunités, notamment autour des applications mobiles, ou de la géolocalisation : Foursquare a déjà dépassé les 10 millions d’utilisateurs. Il faut donc absolument encourager les start-ups françaises et européennes pour que la géopolitique d’Internet ne se résume pas à un duel entre les Etats-Unis et l’Asie.