DSK peut-il revenir ? Peut-il reprendre le fil d’une ascension politique que ses amis voyaient déjà se terminer à l’Elysée, tel le comte de Monte-Cristo, accusé à tort, grandi par l’épreuve et animé d’un légitime sentiment de revanche ? Cette question suppose d’abord qu’il le veuille. Le veut-il ? Un détail conté par les journaux donne peut-être une indication. Soudain rétabli dans ses espoirs d’être blanchi, Dominique Strauss-Kahn est allé manger des pâtes à la truffe dans un restaurant raffiné.
Réaction compréhensible quand on voit s’effriter – s’effondrer ? – une accusation infamante qui pouvait conduire à un long séjour en prison. Mais réaction dont les mauvaises langues ne manqueront pas de tirer parti : une nouvelle fois, DSK manie mal les symboles ; il passe de la gauche caviar à la gauche truffe. C’est donc qu’il ne se soucie plus de l’opinion et encore moins de la présidentielle.
Un candidat sur le point de se déclarer
Pourtant il pourrait valablement estimer, si la justice l’innocente, qu’il faut reprendre le film où il s’était arrêté quand il a basculé dans le cauchemar. Un candidat sur le point de se déclarer, vieux militant du PS, ancien ministre respecté, financier devenu, au FMI, médecin sans frontières de la crise, riche mais socialiste, Français mais international, économiste brillant, ductile et ultra compétent qui pouvait concourir avec une grande chance de l’emporter.
Ce destin insigne, la brutalité de la justice américaine le lui a volé, incarcérant un fuyard qui ne fuyait pas, écoutant un procureur qui accusait de manière péremptoire sans avoir vérifié la crédibilité de son témoin, clouant le patron du FMI au pilori médiatique par le truchement d’un « perp walk » humiliant et injuste. La raison et l’équité commanderaient ainsi de renvoyer l’épisode du Sofitel, s’il se ramenait à un banal rapport consenti, aux sinuosités de la vie privée, à la part de romanesque d’un homme qui aurait le droit, après tout, de préférer, en littérature et dans la vie, Catherine Millet à la comtesse de Ségur.
Pourtant, face à cette perspective qui a pour elle une froide logique, un sentiment de malaise se fait jour, qu’on aperçoit dans le sondage que nous publions dans notre dossier. La majorité des personnes interrogées, y compris à gauche, ne souhaitent pas une candidature de DSK à la présidentielle. Rigidité vertueuse de l’opinion ? Effet inique d’une exposition médiatique tapageuse qui aboutit à une destruction de réputation sans preuves ? Pas seulement. On a écrit ici que l’on souhaitait que DSK pût se disculper au plus vite de l’incrimination de viol. S’il y parvient, s’il est prouvé qu’il est tombé dans un piège, on en ressentira une forme de délivrance.
La gauche mérite un champion
Mais on a aussi appris, au passage, que le patron du FMI n’avait rien fait pour éviter le piège en question, au contraire. Comme l’écrit Jean Daniel, et en dehors de toute leçon de morale, on ne prend pas de tels risques quand on postule à la magistrature suprême. On ne peut s’empêcher de penser, une fois l’innocence reconnue, que la gauche française mérite un champion, ou une championne, à la conduite plus conforme à la responsabilité historique qui est la sienne.
On s’étonne surtout de réaliser qu’une partie de son entourage – et l’on ne pense pas ici à l’héroïque Anne Sinclair – n’a pas fait grand-chose pour lui éviter le gouffre, que certains conseillers ont estimé, in fine, qu’une bonne communication triompherait de tous les écarts et de toutes les imprudences. Or il arrive un moment où le storytelling ne peut plus masquer la réalité, où la construction d’une image est impuissante à tromper l’opinion, où la communication, en un mot, ne remplace pas la conviction. Il y a là une leçon politique que tout candidat à l’élection préside présidentielle doit méditer.
Publié le 04-07-11 à 17:47 Modifié le 05-07-11 à 10:33 par Le Nouvel Observateur
Laurent Joffrin – Le Nouvel Observateur