Regards croisés : dans cette nouvelle rubrique, nous confrontons environ tous les 2 mois nos 4 points de vue sur une oeuvre ou un artiste contemporain. Pour ce 3ème opus, nous vous présentons l'oeuvre de James Turrell, comme nous l'avons vécue la première fois.
Cécile:
Ma première fois avec une œuvre de James Turrell a eu lieu en terminale lors d’un séjour à Munich et ça a été une véritable découverte. Nous étions dans une pièce sombre au fond de laquelle se trouvait un monochrome bleu. C’est là que quelqu’un m’a dit « Approche-toi, n’hésite pas, touche ». Et moi : « Toucher ? Non ! Jamais je n’oserai… » mais j’ai fini par rejoindre le fond de l’espace et essayer de caresser la toile. Il n’y en avait pas, ma main n’a rencontré que du vide. Ainsi, ce qui semblait être une peinture d’un bleu invitant à s’y plonger, n'était qu'illusion provoquée par un habile travail de la lumière.
James Turrell est un artiste américain qui travaille (avec) la lumière, ça c’est dit ! Mais quand on ne le connaît pas, la première fois que l’on voit l’une de ses œuvres, qu'il nomme « environnements perceptuels », on se laisse piéger par elle, les suivantes aussi même si on sait qu'il y a un truc.
Turrell a fait des études scientifiques et artistiques et mêle ces différentes connaissances dans ses œuvres. Il se joue de nos sens, ce qui semble matériel ne l'est pas, ce qui semble peint, n'est que lumière.
James Turrell,Deer Shelter Skyspace, Yorkshire Sculpture ParkChristelle:
La première fois que j’ai « rencontré » une œuvre de James Turell, j’ai été fasciné. C’était à Venise dans le palais Fortuny en 2009 avec son style si désuet et relativement atypique. C’était au 1er étage dans une petite salle à gauche. J’ai été happé par la couleur rose qui éclaboussait le mur. Je me suis approchée et j’ai cru que j’allais tomber dans le vide. Vide qu’on ne voit justement pas, notre perception de l’espace est totalement bouleversée par la lumière. En effet, ce rose était presque palpable comme s’il habitait physiquement le vide ce qui crée l’impression qu’il n’y a pas de vide mais bel et bien de la matière, de la matière colorée à moins que ce ne soit de la couleur si intense qu’elle nous parait compacte. Un objet lumineux non identifié. Un pur moment d’oubli, de perte, de bonheur. Savoir que cet artiste est diplômé en mathématiques et en psychologie me semble important du point de vue de la compréhension des phénomènes mis en œuvre dans son travail que l’on nomme également « environnements perceptuels ».
Bridgets Bardo by James Turrell, installation 2009 photo by Florian Holzherr
Stefania:
Les oeuvres de James Turrell sont à vivre, il faut y plonger, les admirer de l’intérieur, pas comme on fait d’habitude avec un tableau, une sculpture ou un dessin.
La lumière est la véritable protagoniste et le medium privilegié par l’artiste, né en 1943 aux Etats-Unis, qu’il plie à des jeux expressifs qui impliquent la perception du spectateur.
La première fois que je me suis retrouvée face aux œuvres de Turrell, c’était il y a une dizaine d’années, quand j’ai visité pour la première fois la Collezione Panza di Biumo, à Varese (Italie). Giuseppe Panza, grand collectionneur d’art contemporain, était le mécène de Turrell (et d’autres artistes) et sa collection est un exemple parfait d’harmonie entre installations d’art contemporain et espaces d’exposition classiques (la Villa Litta Biumo, qui abrite sa collection, date du XVIII siècle). L’installation de Turrell était dans une des pièces des « Rustici » et elle était une simple « fenêtre » rectangulaire coupée dans les murs du bâtiment. Cette coupure était annoncée par un brusque changement de température (la perception n’est pas que visuelle !), puis, une fois à l’intérieur, on contemplait le ciel à travers cette entaille nette dans les murs. Et le ciel, si découpé, ressemblait vraiment à une de ces toiles classiques peintes à l’huile, où le regard se perd.
Diffile de décrire une installation de James Turrell… mon conseil le plus sincère est de courir en faire l’expérience ! En Allemagne, par exemple, vous pouvez visiter l’observatoire au musée Lichtkunst, je vous en avais parlé dans un précédent post.