Mаrcel42 : pоème FАÇОN DЕ PАRLЕR

Par Illusionperdu @IllusionPerdu

FAÇON DE PARLER

Le visage de ma mère dans sa cuisine, assise à tricoter. Elle lève les yeux sur moi et dit :

- Je n'ai pas ma tête à moi aujourd'hui.

Souvent elle commençait ainsi quand elle lâchait une maille ou qu'elle s'embrouillait dans les diminutions. Je me demandais qui avait bien pu lui piquer sa tête et ou elle avait trouvé celle du jour qui lui ressemblait pourtant comme deux gouttes d'eau.

J'avais une peur bleue d'interpeller une dame dans la rue en lui disant Maman et qu'elle m'entraîne avec elle dans une maison inconnue. Peut-être que cette maman qui avait empruntée le visage aimé et familier, m'obligerais à manger des carottes, puisque ça rend aimable et joli, alors que d'habitude j'échappe à cette calamité culinaire.

C'est certainement à cause de mon aversion pour les carottes, qu'en grandissant j'ai gardé ce caractère bougon qui va si bien avec mon corps dont je suis peu satisfait. Et si je disais : " Je n'ai pas mon corps à moi aujourd'hui." Verrais-je quelques améliorations dans ce corps d'emprunt ?

- Enfin, c'est une façon de parler." Ajoutais-t-elle devant mon désarroi. Il y avait donc plusieurs façons de parler et cela me déroutait autant que cette tête qui n'était pas celle de ma mère et qui s'adressait à moi comme si elle me connaissait.

Aujourd'hui je pratique plusieurs façons de parler et j'emprunte plusieurs têtes selon la situation : la tête de circonstances, celle des mauvais jours, l'innocente, en cul de poule, au carré (mais celle là, je n'en suis pas toujours responsable) et d'autres encore, tellement que certains jours, je ne sais plus où donner de la tête.

Avril mai 2010